Ça veut dire quoi « faire du théâtre » ? Par où ça passe ? Où ça se passe ? Où ça se joue et comment s’en sort-on ? Ça veut dire quoi avoir envie de jouer, avoir envie de créer au point de ne se satisfaire d’aucune invitation à la hauteur de celle de l’urgence de faire tout de suite, ici et maintenant, à cette heure et en ce lieu ? Le metteur en scène Alejandro Muller Salas et la récente troupe de la Petite Appartenance créent Les Justes, la célèbre pièce d’Albert Camus — in situ. La pièce se passe dans un appartement et la représentation se joue dans un appartement ; un « véritable » appartement, avec l’espace étroit et le trivial d’un vrai appartement, avec la peur de parler trop haut parce que les voisins pourraient entendre les plans de Boria, de Stepan, de Dora, de Voinov et de Yanek, s’apprêtant à commettre un attentat et exécuter le grand-duc. En fond de scène, la rue est la rue et les regards depuis l’hiver russe début 20e siècle se perdent en ligne de fuite dans la nuit pour de bon d’un Montréal cent ans plus tard.
« Un projet artistique peut exister à l’extérieur des lieux conventionnels et des règles établies ! Vous allez peut-être nous dire “Bien sûr, évidemment !”, mais l’évidence ne nous a jamais frappés aussi fort, à nous, que pendant ce projet », dit la troupe de la Petite Appartenance.
La pièce, qui se déploie au centre d’une cuisine inquiète des plans découverts et d’une chambre de cellule de prison éclairée à la bougie, conteste la légitimité du geste révolutionnaire qu’est l’attentat et la question du groupe qui y prend part. Un but révolutionnaire simple et facile : exécuter le grand-duc et ainsi « hâter la libération du peuple russe.». Un duel au cœur de cet amour révolutionnaire qu’on retrouve, au départ, entre le guerrier poétique Yanek, qui affirme « J’aime la vie. Je ne m’ennuie pas. Je suis entré dans la révolution parce que j’aime la vie ». Et le soldat politique Stepan qui réplique : « Je n’aime pas la vie, mais la justice qui est au-dessus de la vie ».
La troupe de la Petite Appartenance, par la mise en scène si juste d’Alejandro Muller Salas qui fait confiance à la radicalité du théâtre et de l’interprétation si intelligente des six interprètes qui plongent dans la lucide folie des intentions limites, nous fait oublier le 4 et demi montréalais pour nous condamner dans l’appartement tragique des révolutionnaires.
Radicalité du théâtre
Pendant 1 heure 45, tout se vit et existe dans cette scène nouvelle d’un quotidien à l’autre : l’obsession de prendre des décisions dans un empire qui traîne ses tyrans et l’obstination de croire aux gestes radicaux pour que vivre ait un sens déraisonnable. Entre la cheffe Boria qui essaie de suivre les plans avec intransigeance et empathie révolutionnaire, la camarade Dora qui fabrique les bombes et pèse les déflagrations, un Voinov très humain qui vit pour nous les failles de la volonté et une grande-duchesse qui vient un peu plus encore tourner le couteau dans la plaie, on rejoue tous les soirs les plus intimes paris camusiens présents dans son essai L’Homme révolté, depuis son « Qu’est-ce qu’un homme révolté ? Un homme qui dit non », incarné par un Stepan en lumière nocturne et un Yanek qui rejoue la pensée de midi : « La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent ».
La jeune troupe hypothèse : « Et si le milieu artistique québécois était désormais trop petit pour tous les artistes qui aimeraient exister au sein de celui-ci ? ». Elle a déjà l’acte révolutionnaire : tout faire pour que l’action ait lieu.
Les Justes
Texte : Albert Camus. Mise en scène : Alejandro Muller Salas. Directrice de production et assistance à la mise en scène : Stéphanie Lacasse. Photographe : Élyse de Mulder. Interprétation : Yoanie Bélanger, Maëlle Caballero-Cléroux, Léa Drolet, Aurélien Grandjeand, Justin Simon, Lily Taillefer. Une production de la troupe Une petite appartenance, du 1er au 12 décembre 2025. Infos et réservations : stephanie.lacasse@gmail.com
Ça veut dire quoi « faire du théâtre » ? Par où ça passe ? Où ça se passe ? Où ça se joue et comment s’en sort-on ? Ça veut dire quoi avoir envie de jouer, avoir envie de créer au point de ne se satisfaire d’aucune invitation à la hauteur de celle de l’urgence de faire tout de suite, ici et maintenant, à cette heure et en ce lieu ? Le metteur en scène Alejandro Muller Salas et la récente troupe de la Petite Appartenance créent Les Justes, la célèbre pièce d’Albert Camus — in situ. La pièce se passe dans un appartement et la représentation se joue dans un appartement ; un « véritable » appartement, avec l’espace étroit et le trivial d’un vrai appartement, avec la peur de parler trop haut parce que les voisins pourraient entendre les plans de Boria, de Stepan, de Dora, de Voinov et de Yanek, s’apprêtant à commettre un attentat et exécuter le grand-duc. En fond de scène, la rue est la rue et les regards depuis l’hiver russe début 20e siècle se perdent en ligne de fuite dans la nuit pour de bon d’un Montréal cent ans plus tard.
« Un projet artistique peut exister à l’extérieur des lieux conventionnels et des règles établies ! Vous allez peut-être nous dire “Bien sûr, évidemment !”, mais l’évidence ne nous a jamais frappés aussi fort, à nous, que pendant ce projet », dit la troupe de la Petite Appartenance.
La pièce, qui se déploie au centre d’une cuisine inquiète des plans découverts et d’une chambre de cellule de prison éclairée à la bougie, conteste la légitimité du geste révolutionnaire qu’est l’attentat et la question du groupe qui y prend part. Un but révolutionnaire simple et facile : exécuter le grand-duc et ainsi « hâter la libération du peuple russe.». Un duel au cœur de cet amour révolutionnaire qu’on retrouve, au départ, entre le guerrier poétique Yanek, qui affirme « J’aime la vie. Je ne m’ennuie pas. Je suis entré dans la révolution parce que j’aime la vie ». Et le soldat politique Stepan qui réplique : « Je n’aime pas la vie, mais la justice qui est au-dessus de la vie ».
La troupe de la Petite Appartenance, par la mise en scène si juste d’Alejandro Muller Salas qui fait confiance à la radicalité du théâtre et de l’interprétation si intelligente des six interprètes qui plongent dans la lucide folie des intentions limites, nous fait oublier le 4 et demi montréalais pour nous condamner dans l’appartement tragique des révolutionnaires.
Radicalité du théâtre
Pendant 1 heure 45, tout se vit et existe dans cette scène nouvelle d’un quotidien à l’autre : l’obsession de prendre des décisions dans un empire qui traîne ses tyrans et l’obstination de croire aux gestes radicaux pour que vivre ait un sens déraisonnable. Entre la cheffe Boria qui essaie de suivre les plans avec intransigeance et empathie révolutionnaire, la camarade Dora qui fabrique les bombes et pèse les déflagrations, un Voinov très humain qui vit pour nous les failles de la volonté et une grande-duchesse qui vient un peu plus encore tourner le couteau dans la plaie, on rejoue tous les soirs les plus intimes paris camusiens présents dans son essai L’Homme révolté, depuis son « Qu’est-ce qu’un homme révolté ? Un homme qui dit non », incarné par un Stepan en lumière nocturne et un Yanek qui rejoue la pensée de midi : « La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent ».
La jeune troupe hypothèse : « Et si le milieu artistique québécois était désormais trop petit pour tous les artistes qui aimeraient exister au sein de celui-ci ? ». Elle a déjà l’acte révolutionnaire : tout faire pour que l’action ait lieu.
Les Justes
Texte : Albert Camus. Mise en scène : Alejandro Muller Salas. Directrice de production et assistance à la mise en scène : Stéphanie Lacasse. Photographe : Élyse de Mulder. Interprétation : Yoanie Bélanger, Maëlle Caballero-Cléroux, Léa Drolet, Aurélien Grandjeand, Justin Simon, Lily Taillefer. Une production de la troupe Une petite appartenance, du 1er au 12 décembre 2025. Infos et réservations : stephanie.lacasse@gmail.com