Critiques

Dimanche napalm : « Familles, je vous hais ! »

Valérie Remise

Dimanche napalm est la pièce de Sébastien David qui a le caractère social le plus marqué, mais on y retrouve de nouveau des personnages englués dans un quotidien sur lequel ils n’ont pas de prise. L’auteur (Les Morb(y)des, Les Haut-parleurs, En attendant Gaudreault précédé de Ta Yeule Kathleen) y dépeint trois générations d’une famille québécoise comme il y en a tant, s’attardant sur le fossé générationnel mis en évidence par les événements du printemps 2012. Il nous offre ici un texte très abouti, succession de monologues où chaque phrase fait mouche, à la fois tragique, comique et kitsch.

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Deux épisodes historiques sont invoqués dans cette histoire : le printemps érable et la célèbre photo de Nick Ut montrant une petite-fille vietnamienne brûlée au napalm et courant pour fuir l’horreur. Après la jeunesse victime de la guerre, la jeunesse désillusionnée qui ne se reconnaît pas dans les valeurs des générations précédentes et leurs discours utilitaristes (trouver une job stable, acheter une maison, faire des enfants, tout ça pour mourir seul à l’hospice baignant dans des couches sales). Une jeunesse qui a tenté de ruer dans les brancards au printemps 2012 et que l’on a renvoyée dans ses buts en la taxant d’immaturité et en lui refusant le droit de rêver à un avenir meilleur ou au moins différent.

Choc des générations

Dans cette pièce, les jeunes de la génération Y sont pris en étau dans un monde qui ne leur ressemble pas, avec des parents qui veulent être leur ami (buddy-buddy) ou qui passent leurs nerfs sur eux, à la limite de la maltraitance. Le frère de 24 ans (Alex Bergeron), coincé dans un fauteuil roulant après une tentative de suicide ratée, s’est enfermé dans le mutisme, renonçant une fois pour toutes à essayer de se faire entendre. Son silence est-il la marque de la défaite et de la résignation ou un acte de résistance, plus éloquent qu’une longue tirade ? La sœur de 16 ans (Geneviève Schmidt), coincée dans un corps trop massif et dans une maison de banlieue, ne rêve que d’échapper à l’ennui, à la tyrannie sociale de l’apparence et aux bitches de l’école privée.

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L’univers de Dimanche napalm, c’est le royaume de la médiocrité, alimentée par ceux-là mêmes qui affirment avoir toujours pris leurs responsabilités. Mais quelle responsabilité ont les parents envers leurs enfants ? Celle de les nourrir et de leur donner un toit, ou celle de leur donner les moyens d’exister pour eux-mêmes ?

Avec un personnage central muet, la direction d’acteurs prend une importance cruciale. Un regard, un hochement de tête, une posture plus ou moins affaissée, c’est par la gestuelle que tout se dit. Face à la violence insoutenable de ce silence, les autres personnages plongent dans l’auto-analyse, projetant sur lui leurs peurs et leurs bassesses, décortiquant leurs échecs et leurs espoirs, cherchant à se libérer des carcans familial, sociétal, amoureux, tout en étant les propres fossoyeurs de leur autonomie.

Le texte est porté par une distribution excellente en tous points. Dans le rôle de la grand-mère atteinte d’Alzheimer, Louison Danis est méconnaissable. Sylvie Léonard, apporte beaucoup de nuances au personnage de la mère, qui tente en vain de redonner vie à la cellule familiale, contrôlante, et aveugle aux émotions de ceux qui l’entourent. Sur un plateau vide à l’exception d’une estrade, d’une immense fenêtre brisée évoquant l’accident du jeune homme et de trois escaliers s’enfonçant sous la scène, les comédiens effectuent un ballet sophistiqué d’entrées et de sorties, qui jamais ne devient redondant. La mise en scène, également l’œuvre de Sébastien David, est aussi satisfaisante que son texte. Dire que l’on en sort chamboulé est un euphémisme.

Dimanche napalm

Texte et mise en scène : Sébastien David.  Assistance à la mise en scène et régie : Catherine Comeau. Scénographie, costumes, accessoires : Odile Gamache. Éclairages : Julie Basse. Conception sonore : Larsen Lupin. Maquillages : Angelo Barsetti. Avec Alex Bergeron, Henri Chassé, Louison Danis, Sylvie Léonard, Geneviève Schmidt et Cynthia Wu-Maheux. Une coproduction de la Bataille et du Théâtre d’Aujourd’hui. Au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 26 novembre 2016.