Au statut apparemment unidimensionnel des « Québécois et Québécoises de souche », les protagonistes d’ICI, spectacle présenté en 2018 au Carrefour international de théâtre, proposent en contrepartie une identité multiple. Sept nouveaux arrivants et nouvelles arrivantes et une fille d’immigrante nous entretiennent de leur parcours. Ce parcours aux mille ramifications, motivé par l’amour, par l’appel de la découverte, par les études, par la fuite d’une dictature, aboutit toujours au même endroit : un pays nouveau qu’il faut apprivoiser. Huit chaises en fond de scène, puis, entre eux, elles et nous, une mappemonde étendue sur les planches. Au violon, la polyvalente violoniste Andrée Bilodeau amplifie leur parole, se glissant dans leurs traditions musicales, pour les faire danser, pour raviver leurs souvenirs.
Car la trame est semblable pour tous et toutes. Une personne quitte son pays, ses amis, sa culture quotidienne pour s’avancer dans l’inconnu. Il y a le deuil du passé et la promesse de l’avenir. Ces deux combats doivent être menés de front, car si le deuil est forcé, il faut souvent se battre pour concrétiser la promesse. Sur la scène de la Bordée, seule Irène Gonzales, venue du Chili, est une réfugiée politique, mais tous et toutes passent par les mêmes entraves : la langue souvent, le racisme ordinaire toujours, truffé de remarques blessantes ou stupides, la confrontation à la différence, le chauvinisme atavique, le métier perdu, et, pour les plus âgé·es, le déclassement social.
À partir de témoignages par petites touches de leur envol et de leur atterrissage en terre québécoise, Nancy Bernier a remarquablement orchestré un texte riche en émotions. La scène se remplit d’anecdotes tragi-comiques, parfois d’une grande tristesse, mais toujours sur un ton passionné avec des accents latino, polonais, italien, anglais, chinois. Il y a l’identique arrachement : ce qu’on abandonne, ceux et celles qu’on laisse, le pays de l’enfance qui s’évanouit dans la distance et dans le temps. Puis il y a la dure adaptation au nouveau territoire. Et, enfin, il y a l’acclimatation, l’acceptation des contraintes locales, dont l’hiver et les tracasseries du quotidien, comme autant d’écart au pays d’origine. Et petit à petit, la distance s’amenuise. Nous sommes séduit·es par la danse traditionnelle de Chara Foo (Singapour), puis conquis par Flavia Nascimento (Brésil) qui nous pousse une chanson à répondre sur un air de rigodon. Sans compter ce moment charnière où Carmen-Gloria Fortin (née au Québec, d’une mère chilienne) s’adresse aux autres en leur expliquant qu’elle mange leurs mets, qu’elle sent leurs odeurs, qu’elle écoute leur musique. Et c’est suivi de Natalie Fontalvo, qui, en citant Emil Cioran « On n’habite pas un pays, on habite une langue », nous parle de son héritage culturel métissé. Ses ancêtres étant partis d’Afrique sur un négrier ayant transité par le Brésil et la Colombie, elle habite, deux siècles plus tard, la langue du Québec.
ICI pose une pierre précieuse pour la construction du nouveau monde, fragilisé par les questions identitaires. Il n’y a pas de débat ontologique, mais une information sensible sur les manières de se métamorphoser sur le chemin du guerrier ou de la guerrière. Et sur la nécessité de ne pas mourir lentement, comme le dit Pablo Neruda dans son poème Il meurt lentement celui qui ne voyage pas… Ce qui peut concerner les sociétés d’accueil, parfois refermées sur elles-mêmes. Les témoignages et réflexions de chacun·e ainsi livrés dans une facture dynamique, entrelacés les uns aux autres, frappent juste. Bien sûr, la distribution s’appuie sur des immigrant·es qui se sont intégré·es dans la vie culturelle de Québec, puisqu’ils et elles viennent presque tous et toutes des arts de la scène. À part Irène Gonzales, qui a fui les généraux chiliens qui venaient d’exécuter Allende, il n’y pas ici de fugitifs, de fugitives, de migrants illégaux, de migrantes illégales, de survivant·es syrien·nes. Mais voici un spectacle qui permet d’apprivoiser l’autre.
En complément de programme, l’Irano-Québécois Mani Soleymanlou viendra échanger avec le public dans la série Enjeux en scène, le samedi 14 décembre.
Texte collectif. Mise en scène : Nancy Bernier. Assistance à la mise en scène : Edwige Morin. Scénographie et costumes : Amélie Trépanier. Lumières : Félix Bernier Guimond. Montage sonore : Marc Doucet. Musique : Andrée Bilodeau. Vidéo : Marilyn Laflamme Violoniste : Andrée Bilodeau. Avec Charo Foo, Carmen-Gloria Fortin, Natalie. Fontalvo, Irène Gonzalez, Ania Luczak-Leblanc, Michael Maynard, Mélissa Merlo et Flavia Nascimento. Présenté à la Bordée jusqu’au 14 décembre 2019.
Au statut apparemment unidimensionnel des « Québécois et Québécoises de souche », les protagonistes d’ICI, spectacle présenté en 2018 au Carrefour international de théâtre, proposent en contrepartie une identité multiple. Sept nouveaux arrivants et nouvelles arrivantes et une fille d’immigrante nous entretiennent de leur parcours. Ce parcours aux mille ramifications, motivé par l’amour, par l’appel de la découverte, par les études, par la fuite d’une dictature, aboutit toujours au même endroit : un pays nouveau qu’il faut apprivoiser. Huit chaises en fond de scène, puis, entre eux, elles et nous, une mappemonde étendue sur les planches. Au violon, la polyvalente violoniste Andrée Bilodeau amplifie leur parole, se glissant dans leurs traditions musicales, pour les faire danser, pour raviver leurs souvenirs.
Car la trame est semblable pour tous et toutes. Une personne quitte son pays, ses amis, sa culture quotidienne pour s’avancer dans l’inconnu. Il y a le deuil du passé et la promesse de l’avenir. Ces deux combats doivent être menés de front, car si le deuil est forcé, il faut souvent se battre pour concrétiser la promesse. Sur la scène de la Bordée, seule Irène Gonzales, venue du Chili, est une réfugiée politique, mais tous et toutes passent par les mêmes entraves : la langue souvent, le racisme ordinaire toujours, truffé de remarques blessantes ou stupides, la confrontation à la différence, le chauvinisme atavique, le métier perdu, et, pour les plus âgé·es, le déclassement social.
À partir de témoignages par petites touches de leur envol et de leur atterrissage en terre québécoise, Nancy Bernier a remarquablement orchestré un texte riche en émotions. La scène se remplit d’anecdotes tragi-comiques, parfois d’une grande tristesse, mais toujours sur un ton passionné avec des accents latino, polonais, italien, anglais, chinois. Il y a l’identique arrachement : ce qu’on abandonne, ceux et celles qu’on laisse, le pays de l’enfance qui s’évanouit dans la distance et dans le temps. Puis il y a la dure adaptation au nouveau territoire. Et, enfin, il y a l’acclimatation, l’acceptation des contraintes locales, dont l’hiver et les tracasseries du quotidien, comme autant d’écart au pays d’origine. Et petit à petit, la distance s’amenuise. Nous sommes séduit·es par la danse traditionnelle de Chara Foo (Singapour), puis conquis par Flavia Nascimento (Brésil) qui nous pousse une chanson à répondre sur un air de rigodon. Sans compter ce moment charnière où Carmen-Gloria Fortin (née au Québec, d’une mère chilienne) s’adresse aux autres en leur expliquant qu’elle mange leurs mets, qu’elle sent leurs odeurs, qu’elle écoute leur musique. Et c’est suivi de Natalie Fontalvo, qui, en citant Emil Cioran « On n’habite pas un pays, on habite une langue », nous parle de son héritage culturel métissé. Ses ancêtres étant partis d’Afrique sur un négrier ayant transité par le Brésil et la Colombie, elle habite, deux siècles plus tard, la langue du Québec.
ICI pose une pierre précieuse pour la construction du nouveau monde, fragilisé par les questions identitaires. Il n’y a pas de débat ontologique, mais une information sensible sur les manières de se métamorphoser sur le chemin du guerrier ou de la guerrière. Et sur la nécessité de ne pas mourir lentement, comme le dit Pablo Neruda dans son poème Il meurt lentement celui qui ne voyage pas… Ce qui peut concerner les sociétés d’accueil, parfois refermées sur elles-mêmes. Les témoignages et réflexions de chacun·e ainsi livrés dans une facture dynamique, entrelacés les uns aux autres, frappent juste. Bien sûr, la distribution s’appuie sur des immigrant·es qui se sont intégré·es dans la vie culturelle de Québec, puisqu’ils et elles viennent presque tous et toutes des arts de la scène. À part Irène Gonzales, qui a fui les généraux chiliens qui venaient d’exécuter Allende, il n’y pas ici de fugitifs, de fugitives, de migrants illégaux, de migrantes illégales, de survivant·es syrien·nes. Mais voici un spectacle qui permet d’apprivoiser l’autre.
En complément de programme, l’Irano-Québécois Mani Soleymanlou viendra échanger avec le public dans la série Enjeux en scène, le samedi 14 décembre.
Ici
Texte collectif. Mise en scène : Nancy Bernier. Assistance à la mise en scène : Edwige Morin. Scénographie et costumes : Amélie Trépanier. Lumières : Félix Bernier Guimond. Montage sonore : Marc Doucet. Musique : Andrée Bilodeau. Vidéo : Marilyn Laflamme Violoniste : Andrée Bilodeau. Avec Charo Foo, Carmen-Gloria Fortin, Natalie. Fontalvo, Irène Gonzalez, Ania Luczak-Leblanc, Michael Maynard, Mélissa Merlo et Flavia Nascimento. Présenté à la Bordée jusqu’au 14 décembre 2019.