Critiques

Collection printemps-été : Des mots et des roses

Depuis des années, Christian Vézina agit comme passeur de poèmes : les siens, mais surtout ceux des autres. Doté d’une mémoire phénoménale, il faut le voir insuffler vie à des textes dans le cadre de ses rendez-vous du Poète en robe de chambre, alors qu’il se transforme en véritable jukebox littéraire.

Avec Collection printemps-été, il a choisi de sortir de cette relative zone de confort et de céder le bâton de parole à trois comédiennes aux personnalités complémentaires (Danielle Proulx, Salomé Corbo et Elkahna Talbi), qui font entendre la voix de six femmes : deux Québécoises (Hélène Monette et Suzanne Jacob), deux Françaises (Marie Étienne et Brigitte Fontaine), une Égyptienne (Joyce Mansour) et une Mauricienne (Ananda Devi).

Comment livrer ces textes aux esthétiques foncièrement différentes sans que cela donne une impression de collage ou de soirée de poésie à l’avenant? En les articulant en six tableaux indépendants et en transformant l’espace scénique en podium. Le metteur en scène détourne les codes mêmes du défilé, alors que des femmes-objets se déhanchent sur des musiques tonitruantes, porte-parures au regard vide et à la moue boudeuse. Ici, les vêtements – des créations magnifiques de Judy Jonker – deviennent prétextes, accessoires, l’éloquence féminine passant au premier plan.

La palette des thèmes abordés se veut vaste : des préceptes sarcastiques de Joyce Mansour aux invectives à l’homme qui n’a rien compris d’Hélène Monette, de la réflexion sur la filiation de Suzanne Jacob au délire jubilatoire de Brigitte Fontaine, des textes rappelant l’univers des Mille et une nuits de Marie Étienne ou Ananda Dévi (qui résonnent ici en écho) à l’érotisme assumé de Mansour (Le désir du désir sans fin).

Certains poèmes se déclinent sur le ton de la confidence (l’extrait de Kyrie Eleison de Monette livré avec une grande économie de moyens par Danielle Proulx), d’autres de façon volontairement décalée, explosive même (Montréal brûle-t-elle? également de Monette, dans laquelle une Salomé Corbo hallucinante crache son fiel, soutenue par deux poupées qui dansent). Ils deviennent presque magiques quand traités en demi-teintes (Les écrits de l’eau de Suzanne Jacob transmis avec une retenue et une douceur des plus touchantes par Elkahna Talbi).

Si certaines collections s’enchaînent naturellement (le surréalisme pur et dur de De l’âne à l’analyste et retour de Mansour et Montréal brûle-t-elle? par exemple), d’autres transitions se font moins bien. Difficile de passer de l’effervescence des Églantines de Fontaine (qui aurait fait un excellent dernier tableau) à Mina d’Ananda Devi, malgré le solo de guimbarde envoutant de Marie-Sophie Picard (qui agissait en tant qu’accessoiriste masquée) et la splendide robe de mariée présentée sur ce qui jusque-là servait de coulisses, segment obligé de tout défilé qui se respecte.

« Ne prenez pas vos désirs pour des banalités », rappelle Brigitte Fontaine. Si le spectacle ne se décline pas comme un pamphlet féministe, il se lit assurément comme un appel à la prise de parole. Dans ces temps troubles, cela relève presque du militantisme.

Collection printemps-été

Collage de texte et mise en scène de Christian Vézina. Une production du Nouveau Théâtre Expérimental. À Espace Libre jusqu’au 11 avril 2015.

Lucie Renaud

À propos de

Décédée en 2016, elle était professeure, journaliste et rédactrice spécialisée en musique classique, en théâtre et en nouvelle littérature québécoise.