Que ce serait-il produit si un vogueur s’était joint aux expérimentateurs de la Judson Church en 1963? À partir de cette intrigante proposition, Trajal Harrel élabore depuis 2009 une série en huit pièces (de tailles XS à XL) qui ne répond pas tant à la question qu’elle offre un regard sur la société dans laquelle nous vivons, explorant ce faisant les concepts de genre, de sexualité, de race et de culture.
Après Antigone Jr, le chorégraphe retrouve pour la deuxième fois l’héroïne de Sophocle, articulant son propos autour de résumés de la tragédie antique, de harangues au public (plus ou moins réceptif hier) et de tableaux plus réflexifs, comme cette litanie de « I am »… John et Yoko, Cage et Cunningham, Dr Jekill et M. Hyde, Israéliens et Palestiniens, tout y passe et plus encore… Les confrontations de Sophocle sont transformées en désopilantes battles de voguing, défilés qui misent sur la surenchère, dans lesquels les danseurs androgynes, tous stupéfiants, parodient le monde de la mode et démontrent un certain flair pour les amalgames inusités.
Oui, « c’est une tragédie grecque et il faut aller jusqu’au bout ». La catharsis, une fois atteinte, demeure d’une rare puissance, les corps aussi bien des danseurs que des spectateurs se tendant en une même fièvre qui se rapproche presque de la transe. Il faudra cependant parfois s’armer de patience pour ne pas perdre le fil narratif ténu (et faire fi des problèmes techniques de son). Les segments pendant lesquels les cinq interprètes (dont Harrel), dansent « vraiment », magnifiquement mis en lumière par Jan Maertens, restent les plus intéressants – et ne sont pas sans rappeler certaines lignes et esthétiques de Martha Graham.
La superposition entre les personnages d’Antigone ou de Créon et la sous-culture gaie (plus particulièrement celle des drag queens afro ou latino-américaines) se révèle souvent pertinente – même si souvent trop autoréférencielle pour mener à une réflexion profonde –, ainsi que cette volonté assumée de défendre la place de la femme dans une société dominée par les hommes, de lui permettre l’émancipation à travers l’éducation. On appréciera aussi le côté bricolé du spectacle, chaque tableau semblant s’improviser sous nos yeux, dans une atmosphère carnavalesque qui décoince l’image que l’on peut se faire du théâtre grec.
Une fois la (parfois lâchement nouée) boucle bouclée, on ne peut que saluer la symétrie avec laquelle Harrel a tendu son arc de pensée et le vent de liberté qu’il a su instiller à cette Antigone des temps postmodernes.
Chorégraphie de Trajal Harrell. Une production de Trajal Harrell. Présenté à l’Usine C jusqu’au 4 juin, à l’occasion du FTA.
Que ce serait-il produit si un vogueur s’était joint aux expérimentateurs de la Judson Church en 1963? À partir de cette intrigante proposition, Trajal Harrel élabore depuis 2009 une série en huit pièces (de tailles XS à XL) qui ne répond pas tant à la question qu’elle offre un regard sur la société dans laquelle nous vivons, explorant ce faisant les concepts de genre, de sexualité, de race et de culture.
Après Antigone Jr, le chorégraphe retrouve pour la deuxième fois l’héroïne de Sophocle, articulant son propos autour de résumés de la tragédie antique, de harangues au public (plus ou moins réceptif hier) et de tableaux plus réflexifs, comme cette litanie de « I am »… John et Yoko, Cage et Cunningham, Dr Jekill et M. Hyde, Israéliens et Palestiniens, tout y passe et plus encore… Les confrontations de Sophocle sont transformées en désopilantes battles de voguing, défilés qui misent sur la surenchère, dans lesquels les danseurs androgynes, tous stupéfiants, parodient le monde de la mode et démontrent un certain flair pour les amalgames inusités.
Oui, « c’est une tragédie grecque et il faut aller jusqu’au bout ». La catharsis, une fois atteinte, demeure d’une rare puissance, les corps aussi bien des danseurs que des spectateurs se tendant en une même fièvre qui se rapproche presque de la transe. Il faudra cependant parfois s’armer de patience pour ne pas perdre le fil narratif ténu (et faire fi des problèmes techniques de son). Les segments pendant lesquels les cinq interprètes (dont Harrel), dansent « vraiment », magnifiquement mis en lumière par Jan Maertens, restent les plus intéressants – et ne sont pas sans rappeler certaines lignes et esthétiques de Martha Graham.
La superposition entre les personnages d’Antigone ou de Créon et la sous-culture gaie (plus particulièrement celle des drag queens afro ou latino-américaines) se révèle souvent pertinente – même si souvent trop autoréférencielle pour mener à une réflexion profonde –, ainsi que cette volonté assumée de défendre la place de la femme dans une société dominée par les hommes, de lui permettre l’émancipation à travers l’éducation. On appréciera aussi le côté bricolé du spectacle, chaque tableau semblant s’improviser sous nos yeux, dans une atmosphère carnavalesque qui décoince l’image que l’on peut se faire du théâtre grec.
Une fois la (parfois lâchement nouée) boucle bouclée, on ne peut que saluer la symétrie avec laquelle Harrel a tendu son arc de pensée et le vent de liberté qu’il a su instiller à cette Antigone des temps postmodernes.
Antigone Sr.
Chorégraphie de Trajal Harrell. Une production de Trajal Harrell. Présenté à l’Usine C jusqu’au 4 juin, à l’occasion du FTA.