Critiques

Pig : Fable douce-amère

Malgré sa jeune trentaine, Simon Boulerice possède une feuille de route éblouissante. Il jouit surtout d’une qualité rare: une voix que l’on reconnaît en quelques lignes. Avec une ingénuité d’éternel adolescent, il sait se servir d’une situation en apparence banale, la détourner à son avantage et ce faisant, il se révèle l’un des conteurs les plus convaincants de sa génération.

Paul, neuf ans, a deux mamans: Claire qui ne sourit plus depuis qu’elle a perdu un sein et Phoebe qui continue de chercher la magie en tout. Comme elle, Paul pose sur les événements un regard émerveillé, ne peut concevoir que le mal puisse exister. «La vie serait plate, sans magie.» Il aime les films d’horreur, mais rêve de porter une robe de muse pour l’Halloween. Claire s’y refuse; Paul s’entête. Avec l’aide de son gardien Sunny, parviendra-t-il à s’extraire de sa chrysalide?

On dispose de suffisamment d’avenues pour ériger un texte cohérent et Pig (comme le roman Javotte) aurait pu se décliner comme une relecture d’un conte dont on croit connaître les rouages. Simon Boulerice voit plus grand et nous propose plutôt un récit gigogne, dans lequel s’emboitent le destin tragique de Sharon Tate, vedette du Bal des vampires, assassinée par la bande à Charles Manson, les souvenirs d’adolescence douloureux de Sunny Riendeau, qui a grandi dans une porcherie, fan de Polanski, ainsi qu’une réflexion sur la foi et l’identité. «Je suis une lesbienne et je vais brûler en enfer, c’est tout ce que je mérite, non?», criera d’ailleurs Claire.

La mise en scène de Gaétan Paré insuffle une touche de noirceur à l’univers en apparence tout en légèreté de Simon Boulerice. Il juxtapose l’éclat radieux de l’enfant au côté obscur de ceux qui l’entourent: l’incapacité de Claire à assumer entièrement son homosexualité et celle de son fils, le désarroi des mères quand Paul disparaît, les agissements un peu troubles de Sunny, l’incertitude par rapport à un au-delà. Les éclairages de Marie-Aube St-Amand Duplessis et la scénographie de Clélia Brissaud appuient d’ailleurs adroitement le propos.

Paré a surtout su diriger de main de maître sa distribution. Le jeune Gabriel Szabo transmet à merveille, sans jamais forcer, la pureté de Paul, Marie Charlebois les tiraillements de Claire et Violette Chauveau la folie douce de Phoebe. Marie-Laurence Moreau traduit une belle fragilité en témoin de Jéhovah pas entièrement convaincue de la véracité de certains préceptes et se montre confondante dans le rôle de Sharon Tate. Philippe Robert maîtrise bien la palette plus exigeante de Sunny, misant sur une ambiguïté qui perturbe le spectateur, qui se demande parfois s’il n’est pas le méchant loup de l’histoire.

Pig se révèle un texte touffu, essentiel, qui démontre hors de tout doute que Simon Boulerice a atteint une réelle maturité.

Pig. Texte de Simon Boulerice. Mise en scène de Gaétan Paré. Une production d’Abat-Jour Théâtre. Au Théâtre Prospero jusqu’au 19 février 2014.

 

Lucie Renaud

À propos de

Décédée en 2016, elle était professeure, journaliste et rédactrice spécialisée en musique classique, en théâtre et en nouvelle littérature québécoise.