Ines Pérée et Inat Tendu sont-ils, comme les personnages de Samuel Beckett, englués dans une action sans achèvement et confrontés, au fil de leur quête sans aboutissement, à l’absence de sens de leur existence? Sont-ils des égoïstes immatures, qui, malgré leur désir d’amour, se montrent incapables de réellement s’ouvrir aux autres? Peut-être. Mais l’immaturité a de grands charmes quand elle est synonyme d’indépendance d’esprit et de juste révolte, comme c’est toujours le cas chez Ducharme.
Inès et Inat se battent contre un monde qui voudrait leur dérober leur attachement aux idées et à la liberté. À ce titre le papillon et le violon qu’ils trimballent ont une valeur inestimable – ce sont les dernières traces d’un monde de liberté qu’ils ont du mal à faire perdurer au milieu des convenances sociales et de l’obéissance docile à laquelle se plient leurs contemporains, devenus des personnages-fonctions (infirmières, pompiers et autres porteurs d’uniformes) plutôt que des êtres humains vraiment habilités à aimer et à penser.
Frédéric Dubois, habitué des univers festifs et des bruyantes rébellions, s’en est donné à cœur joie dans ce contraste : Inès (Catherine Larochelle) et Inat (Steve Gagnon) sont habités de l’énergie de l’enfance et leurs corps agités et perméables sont constamment sur le qui-vive (sauf quand ils dorment). Ils se distinguent nettement de la raideur d’Isalaide (France Larochelle) et de la fermeté du pompier (Miro Lacasse). La liberté et la fougue de leur pensée se ressent puissamment et éveille chez le spectateur des désirs de désobéissance civile (le metteur en scène a d’ailleurs ajouté un clin d’œil tout à fait pertinent au mouvement mondial des indignés pour cette série de représentations montréalaises ayant lieu quelques mois après l’occupation des lieux publics de l’automne dernier par les indignés).
Tout ça se fait aussi avec un ludisme bien dosé. Sensible à l’humour ducharmien, Dubois a eu la merveilleuse idée de faire interpréter le personnage de l’infirmière, Pauline-Emilienne, par un homme. Le costaud Jonathan Gagnon, dans son uniforme blanc et ses talons aiguille, donne à ce personnage une prestance qui n’a d’égal que son ridicule. Pauline-Emilienne est un running gag, ou un running character, comme le disait Pierre-Louis Vaillancourt dans son essai Paysages de Réjean Ducharme (Fides), et Dubois en fait un personnage profondément grotesque et ambigu, insistant sur l’absurdité de ce personnage qui n’existe que pour traverser la scène, ne sachant plus pourquoi elle le fait et accomplissant sans relâche son étrange et aliénant rituel. Inès et Inat, heureusement, n’atteindront jamais un tel état de déshumanisation. Au risque de sombrer dans la folie et d’atterrir à l’asile du docteur Escalope.
En somme, plutôt que d’accentuer l’étrangeté et l’inventivité de la langue ducharmienne, Dubois en a saisi le plein potentiel théâtral. L’espace scénique, vaste et ouvert, représente plusieurs lieux à la fois et est investit de toutes parts par les acteurs, qui en font un espace de tous les possibles, à la hauteur de la quête démesurée d’amour et de liberté d’Inès et d’Inat. Parfois proches de la parodie ou du grotesque, mais sans excès, les comédiens se démènent dans un jeu physique agile et explosif. Ils n’en perdent pas pour autant leur spontanéité, de sorte que la scène semble constamment plongée dans une déroutante imprévisibilité et dans un éclatement de l’espace et du temps.
Il y a des similitudes entre ce spectacle et la formidable mise en scène de l’Asile de la pureté, de Gauvreau, par le metteur en scène Martin Faucher en 2009 au Trident. À cause des personnage un brin grotesquisés, kitschisés, très justement ridiculisés en tant que représentants du conformisme social qu’Inès et Inat, comme Donatien Marcassilar, cherchent à éviter.
Le gros bémol? Par moments, France Larochelle et Édith Patenaude, interprètes d’Isalaide et Aidez-moi, surdramatisent les situations et semblent jouer dans un intense drame psychologique. Leur interprétation, trop affectée et trop sérieuse, est en décalage avec le jeu libéré et intempestif des autres acteurs. Surtout lorsqu’Isalaide prend aussi la route pour rejoindre les orphelins dans leur quête. Mais c’est une faute bien vite pardonnée.
Texte : Réjean Ducharme. Mise en scène : Frédéric Dubois. Scénographie : Jasmine Catudal. Costumes : Yasmina Giguère et Virginie Leclerc. Éclairages : Denis Guérette. Musique : Jasmin Cloutier et Pascal Robitaille. Avec Anne-Élisabeth Bossé, Jonathan Gagnon, Steve Gagnon, Miro Lacasse, Catherine Larochelle, France LaRochelle et Édith Patenaude. Une production du Théâtre des Fonds de Tiroirs. Au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 14 mars 2012.
Ines Pérée et Inat Tendu sont-ils, comme les personnages de Samuel Beckett, englués dans une action sans achèvement et confrontés, au fil de leur quête sans aboutissement, à l’absence de sens de leur existence? Sont-ils des égoïstes immatures, qui, malgré leur désir d’amour, se montrent incapables de réellement s’ouvrir aux autres? Peut-être. Mais l’immaturité a de grands charmes quand elle est synonyme d’indépendance d’esprit et de juste révolte, comme c’est toujours le cas chez Ducharme.
Inès et Inat se battent contre un monde qui voudrait leur dérober leur attachement aux idées et à la liberté. À ce titre le papillon et le violon qu’ils trimballent ont une valeur inestimable – ce sont les dernières traces d’un monde de liberté qu’ils ont du mal à faire perdurer au milieu des convenances sociales et de l’obéissance docile à laquelle se plient leurs contemporains, devenus des personnages-fonctions (infirmières, pompiers et autres porteurs d’uniformes) plutôt que des êtres humains vraiment habilités à aimer et à penser.
Frédéric Dubois, habitué des univers festifs et des bruyantes rébellions, s’en est donné à cœur joie dans ce contraste : Inès (Catherine Larochelle) et Inat (Steve Gagnon) sont habités de l’énergie de l’enfance et leurs corps agités et perméables sont constamment sur le qui-vive (sauf quand ils dorment). Ils se distinguent nettement de la raideur d’Isalaide (France Larochelle) et de la fermeté du pompier (Miro Lacasse). La liberté et la fougue de leur pensée se ressent puissamment et éveille chez le spectateur des désirs de désobéissance civile (le metteur en scène a d’ailleurs ajouté un clin d’œil tout à fait pertinent au mouvement mondial des indignés pour cette série de représentations montréalaises ayant lieu quelques mois après l’occupation des lieux publics de l’automne dernier par les indignés).
Tout ça se fait aussi avec un ludisme bien dosé. Sensible à l’humour ducharmien, Dubois a eu la merveilleuse idée de faire interpréter le personnage de l’infirmière, Pauline-Emilienne, par un homme. Le costaud Jonathan Gagnon, dans son uniforme blanc et ses talons aiguille, donne à ce personnage une prestance qui n’a d’égal que son ridicule. Pauline-Emilienne est un running gag, ou un running character, comme le disait Pierre-Louis Vaillancourt dans son essai Paysages de Réjean Ducharme (Fides), et Dubois en fait un personnage profondément grotesque et ambigu, insistant sur l’absurdité de ce personnage qui n’existe que pour traverser la scène, ne sachant plus pourquoi elle le fait et accomplissant sans relâche son étrange et aliénant rituel. Inès et Inat, heureusement, n’atteindront jamais un tel état de déshumanisation. Au risque de sombrer dans la folie et d’atterrir à l’asile du docteur Escalope.
En somme, plutôt que d’accentuer l’étrangeté et l’inventivité de la langue ducharmienne, Dubois en a saisi le plein potentiel théâtral. L’espace scénique, vaste et ouvert, représente plusieurs lieux à la fois et est investit de toutes parts par les acteurs, qui en font un espace de tous les possibles, à la hauteur de la quête démesurée d’amour et de liberté d’Inès et d’Inat. Parfois proches de la parodie ou du grotesque, mais sans excès, les comédiens se démènent dans un jeu physique agile et explosif. Ils n’en perdent pas pour autant leur spontanéité, de sorte que la scène semble constamment plongée dans une déroutante imprévisibilité et dans un éclatement de l’espace et du temps.
Il y a des similitudes entre ce spectacle et la formidable mise en scène de l’Asile de la pureté, de Gauvreau, par le metteur en scène Martin Faucher en 2009 au Trident. À cause des personnage un brin grotesquisés, kitschisés, très justement ridiculisés en tant que représentants du conformisme social qu’Inès et Inat, comme Donatien Marcassilar, cherchent à éviter.
Le gros bémol? Par moments, France Larochelle et Édith Patenaude, interprètes d’Isalaide et Aidez-moi, surdramatisent les situations et semblent jouer dans un intense drame psychologique. Leur interprétation, trop affectée et trop sérieuse, est en décalage avec le jeu libéré et intempestif des autres acteurs. Surtout lorsqu’Isalaide prend aussi la route pour rejoindre les orphelins dans leur quête. Mais c’est une faute bien vite pardonnée.
Ines Pérée et Inat Tendu
Texte : Réjean Ducharme. Mise en scène : Frédéric Dubois. Scénographie : Jasmine Catudal. Costumes : Yasmina Giguère et Virginie Leclerc. Éclairages : Denis Guérette. Musique : Jasmin Cloutier et Pascal Robitaille. Avec Anne-Élisabeth Bossé, Jonathan Gagnon, Steve Gagnon, Miro Lacasse, Catherine Larochelle, France LaRochelle et Édith Patenaude. Une production du Théâtre des Fonds de Tiroirs. Au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 14 mars 2012.