Critiques

Entre vous et moi il n’y a qu’un mur : Incommunicabilité

© Gabriel Talbot-Lachance

Entre vous et moi il n’y a qu’un mur. Et ce mur impalpable s’est érigé à la face du monde, dans l’espace même où on croyait la communication idéale, là où elle devrait servir de levain. Or tous les personnages qu’on nous présente sont des amas de solitude, des blocs erratiques qui sont tous en dehors de leur terreau naturel. Le couple dysfonctionnel entre baiser et crachat, entre baise et extase; la mère tellement idéale et parfaite qu’elle en vient à ignorer ses propres enfants, réduits à une image elle aussi idéalisée ; la jeune fille séduite qui ira faire l’amour avec une rencontre d’un soir pour comprendre ensuite qu’elle est filmée et que leur copulation est transmise sur le Web; le jeune homme laid, qui devient la risée de tous ses camarades d’école, et qui sera peut-être celui par qui la catastrophe frappe l’institution.

Le texte de Jocelyn Pelletier est un collage de petits morceaux, parfois en forme de dialogues, mais plus souvent en petits soliloques qui s’entrecroisent sur la scène, donnant l’illusion qu’il y a communication, mais qui de fait ne parviennent pas à franchir ce mur. Tout le monde parle avec tout le monde, mais personne ne communique vraiment. La langue est souvent saccadée, brève, incisive, vulgaire ou tendance, remplie de tics de langage qui ne veulent rien dire,  qui sont des clichés réducteurs issus des médias sociaux, des textos, des jargons scolaires. Il n’y a pas de langue commune ici, mais une langue clanique réservée aux initiés.

Le théâtre de Pelletier (texte et mise en scène) est un spectacle sur l’état de la société. Un fourre-tout violent porté par une guitare électrique hurlante. Mots-clefs : violence, viol, désillusion, amour trahi, mesquinerie, hypocrisie, amour bâclé, propos haineux, partout, la haine comme moteur essentiel d’une communauté disloquée. Cet univers sombre, malgré une ligne finale qui parle de lumière et donne l’amour comme remède aux maux du monde, nous apparaît sans issu. Un cul-de-sac du no future, où sont tapis tous les monstres de la déliquescence sociale.

Tous ces êtres interchangeables occupent un espace en cinémascope où les protagonistes se heurtent, s’apostrophent, se câlinent, se rejettent en une ligne sinusoïdale qui vacille entre érotisme, brutalité, tendresse et exclusion. Les dispositifs sont ceux de l’immédiat, conversations en lignes multiples sur un iPhone, utilisation d’une caméra et diffusion en direct sur les murs de la cité, et surtout un jeu lascif d’échange de vêtements où l’on troque sa peau pour celle de l’autre, annonçant ainsi les métamorphoses successives auxquelles les réseaux sociaux nous condamnent.

Il y a dans le jeune théâtre des procédures qu’il faudrait ausculter plus à fond: les emprunts à la performance, le travail avec des chorégraphes, l’utilisation brute des technologies, l’usage des tableaux, qui n’ont en commun que leur thème général. Et parfois, il faut bien le dire une certaine complaisance pour une trouvaille qui ne justifie pas pleinement son emploi. Mais au final, cette pièce, malgré quelques longueurs, nous place devant un mur d’autant plus pernicieux qu’il n’est pas fait de pierres que l’on puisse démontées, mais d’une césure profonde dans la tête de chacun.

Entre vous et moi il n’y a qu’un mur

Texte et mise en scène : Jocelyn Pelletier. Assistance à la mise en scène : Rachel Lapointe. Scénographie, costumes et accessoires : Dominic Thibault. Lumières : Jean-François Labbé. Environnement sonore : Pascal Asselin. Avec Frédérique Bradet, Alexa-Jeanne Dubé, Guillaume Perreault et Eliot Laprise. Une production de SUSHI (POISSE/SON/MORT) présentée à Premier Acte jusqu’au 29 octobre 2011.