Chroniques

Censure un jour, censure toujours

© Angelo Barsetti

L’histoire se répète, dit l’adage. Chaque semaine, je fouillerai dans les archives de JEU (disponibles en ligne sur Érudit) pour y dénicher des articles qui font écho à l’actualité théâtrale et culturelle, espérant y trouver matière à réflexion ou simplement un éclairage inusité sur les questions brûlantes du moment. Chronique boule à mites, c’est parti!

Le couperet est tombé en début de semaine dernière: l’affiche de l’Opéra de Quat’sous, production de Sibyllines, n’ornera pas les murs des couloirs du métro de Montréal. La société MétromédiaPlus, qui gère la publicité dans le métro, a jugé que la photo montrant des jeunes femmes en tenue légère (mais tout de même habillées) risquait d’offenser certains usagers. L’affaire survient trois ans après que l’affiche de Blasté, autre production de Sibyllines, ait été interdite (on y voyait le comédien Roy Dupuis ensanglanté).

Ça n’empêchera pas Brigitte Haentjens de présenter son spectacle et de faire à sa tête, et ça lui a même valu un considérable appui populaire. Nous ne sommes pas en Iran, où le cinéaste Jafar Panahi, sans surprise, a appris cette semaine qu’il serait bel et bien condamné à six ans de prison pour avoir réalisé un film politique sur la réélection controversée du président Mahmoud Ahmadinejad. Au même moment, toujours en Iran, on apprenait que l’actrice Marzieh Vafamehr a été condamnée à un an de prison et 90 coups de fouet pour avoir joué dans un film évoquant les difficultés faites aux artistes dans la République islamique. C’est à se demander quand la communauté internationale interviendra pour mettre fin à ces abjections. Rappelons qu’il y a quelques mois, le spectacle d’un jeune metteur en scène iranien et ex-étudiant de l’École nationale de théâtre de Montréal, Vahid Rahbani, a été censuré parce qu’on y voyait deux femmes s’embrasser.

Quand on se compare, on se console. N’empêche, le cas Sibyllines nous rappelle que la liberté de parole de l’artiste n’est pas une chose acquise dans notre société conformiste et politiquement correcte. La censure ne touche plus directement la représentation théâtrale, comme ce fut le cas à maintes reprises dans notre histoire (l’affaire Tartuffe en 1694, Huis Clos, production de L’Équipe en 1946 ou Les Fées ont soif en 1978) mais s’est déplacée en périphérie du spectacle.

Il n’y a pas si longtemps, comme nous l’apprennent les archives de JEU, la censure venait des écoles accueillant des compagnies de théâtre en leurs murs. En 1985, Brigitte Haentjens (eh oui!) relatait l’épisode de censure dont elle disait avoir été victime de la part d’une commission scolaire du nord de l’Ontario (elle dirigeait alors le Théâtre du Nouvel Ontario). Une quinzaine d’écoles dans les environs de Sudbury avaient annulé les représentations de la pièce Les Rogers, sans que les animateurs culturels de ces établissements aient vu le spectacle et puissent vraiment juger de son contenu. Cinq ans plus tôt, notre collaboratrice Hélène Beauchamp dénonçait aussi des cas de censure dans le milieu scolaire, cette fois dans la région métropolitaine, alors que la commission des écoles catholiques de Montréal avait annulé coup sur coup les représentations de certains spectacles du Théâtre de Quartier, du Théâtre de Carton et de La Marmaille.

Je serais curieux de savoir où en sont aujourd’hui les rapports entre les compagnies de théâtre et les écoles. Cette situation se produit-elle encore régulièrement?

  • Lire le texte de Brigitte Haentjens dans le numéro 34, en 1985.
  • Lire l’article d’Hélène Beauchamp dans le numéro 14, en 1980.
Philippe Couture

À propos de

Critique de théâtre, journaliste et rédacteur web travaillant entre Montréal et Bruxelles, Philippe Couture collabore à Jeu depuis 2009. En plus de contribuer au Devoir, à des émissions d’ICI Radio-Canada Première, au quotidien belge La Libre et aux revues Alternatives Théâtrales et UBU Scènes d’Europe, il est l’un des nouveaux interprètes du spectacle-conférence La Convivialité, en tournée en France et en Belgique.