Les auteurs dramatiques italiens contemporains se font assez rares, semble-t-il. Dans un pays aux fortes traditions, où les politiques culturelles se consacrent essentiellement à la préservation du patrimoine, on ne saurait s’en étonner. En Italie, si on caricature un peu, on peut dire qu’il n’y a que deux chemins possibles pour qui veut s’adonner au spectacle vivant: le théâtre institutionnel classique, bien subventionné, ou le théâtre indépendant, enfant pauvre confiné à la marge. Les nouvelles dramaturgies sont peu soutenues par les fonds publics; elles sont donc isolées et peu nombreuses. Un très petit nombre d’auteurs italiens contemporains sont d’ailleurs traduits en français et connus du public francophones – nommons rapidement Spiro Scimone, Eduardo de Filippo et Fausto Paravidino, trois grands noms dont le travail est largement diffusé. Les autres restent dans l’ombre.
On suppose donc que la quête de nouveaux textes italiens n’a pas été de tout repos pour la metteure en scène Luce Pelletier, qui travaille sur un cycle de pièces italiennes débuté avec Bar, de Spiro Scimone, et Il Campiello, de Goldoni (mise en scène de Serge Denoncourt). Du moins, on espère qu’elle aura bientôt plus costaud à nous proposer que ce texte d’Emanuelle Delle Piane, Les enfants de la pleine lune, qui se joue au Prospero ces jours-ci.
C’est une sorte d’allégorie de la caverne remasterisée, où, en plus d’être coupés de la lumière du jour, les protagonistes sont les victimes d’une violence constante, déguisée en bienveillance. Le Vieux (Jacques L’Heureux) emprisonne la Mère (Louise Cardinal) et les Jumeaux (Steve Gagnon et Catherine Paquin-Béchard) dans un réduit de quelques mètres carrés au sous-sol. Dehors, c’est la guerre, leur dit-il, pour garder le contrôle sur la petite famille et continuer de violer à répétition la mère, puis la fille. L’histoire s’inspire d’un fait divers connu, l’affaire Fritzl. Or, les enfants, d’abord inconscients de leur condition, se nourrissent des lumineux récits de leur mère, qui a vu le dehors et leur raconte les joies des villes. Ce qui fera naître en eux le désir de sortir de la caverne et de voir le monde tel qu’il est, malgré leur frayeur. C’est là que les choses se corsent.
Une très prévisible fable, qui n’emprunte jamais les chemins dramatiques les plus fertiles qu’elle contient, au profit d’un huis clos stérile où rien ne se joue vraiment. La paranoïa du Vieux, par exemple, et son obsession de la sécurité et du contrôle: d’où viennent-elles et de quel vil monde cherche-t-il à se protéger? On ne le saura jamais. Fort dommage. Au lieu de ça, il montre aux jumeaux le ciel étoilé de la nuit et leur présente la lune comme une menace. S’ensuit une série de lourdes métaphores lunaires, où la lune devient emblématique du froid, de l’obscurité et du confinement, tout en éveillant l’espoir et les rêves des enfants. On se croirait atterri dans le dictionnaire des symboles!
Certes, quand la pièce bifurque et explore brièvement les mécanismes de transmission de la violence (du père au fils), le propos se dégage plus clairement. Mais trop brièvement. Et la direction d’acteurs de Luce Pelletier ne suit pas. Jamais les forces obscures guidant la violence du père, puis celle des enfants, ne sont rendues visibles ou même subtilement déployées. Ça aurait pu être une courageuse et délicate pièce sur la violence et ses chemins insaisissables. Mais l’interprétation, très carrée, ne daigne pas s’y rendre.
Texte : Emmanuelle Delle Piane. Mise en scène : Luce Pelletier. Assistance à la mise en scène : Claire l’Heureux, David Trottier. Scénographie : Olivier Landreville. Costumes : Julie Breton. Musique : Catherine Gadouas. Lumières : Erwann Bernard. Avec Louise Cardinal, Steve Gagnon, Jacques l’Heureux, Catherine Paquin Béchard. Une production du Théâtre de l’Opsis présentée au Théâtre Prospero jusqu’au 19 novembre 2011.
Les auteurs dramatiques italiens contemporains se font assez rares, semble-t-il. Dans un pays aux fortes traditions, où les politiques culturelles se consacrent essentiellement à la préservation du patrimoine, on ne saurait s’en étonner. En Italie, si on caricature un peu, on peut dire qu’il n’y a que deux chemins possibles pour qui veut s’adonner au spectacle vivant: le théâtre institutionnel classique, bien subventionné, ou le théâtre indépendant, enfant pauvre confiné à la marge. Les nouvelles dramaturgies sont peu soutenues par les fonds publics; elles sont donc isolées et peu nombreuses. Un très petit nombre d’auteurs italiens contemporains sont d’ailleurs traduits en français et connus du public francophones – nommons rapidement Spiro Scimone, Eduardo de Filippo et Fausto Paravidino, trois grands noms dont le travail est largement diffusé. Les autres restent dans l’ombre.
On suppose donc que la quête de nouveaux textes italiens n’a pas été de tout repos pour la metteure en scène Luce Pelletier, qui travaille sur un cycle de pièces italiennes débuté avec Bar, de Spiro Scimone, et Il Campiello, de Goldoni (mise en scène de Serge Denoncourt). Du moins, on espère qu’elle aura bientôt plus costaud à nous proposer que ce texte d’Emanuelle Delle Piane, Les enfants de la pleine lune, qui se joue au Prospero ces jours-ci.
C’est une sorte d’allégorie de la caverne remasterisée, où, en plus d’être coupés de la lumière du jour, les protagonistes sont les victimes d’une violence constante, déguisée en bienveillance. Le Vieux (Jacques L’Heureux) emprisonne la Mère (Louise Cardinal) et les Jumeaux (Steve Gagnon et Catherine Paquin-Béchard) dans un réduit de quelques mètres carrés au sous-sol. Dehors, c’est la guerre, leur dit-il, pour garder le contrôle sur la petite famille et continuer de violer à répétition la mère, puis la fille. L’histoire s’inspire d’un fait divers connu, l’affaire Fritzl. Or, les enfants, d’abord inconscients de leur condition, se nourrissent des lumineux récits de leur mère, qui a vu le dehors et leur raconte les joies des villes. Ce qui fera naître en eux le désir de sortir de la caverne et de voir le monde tel qu’il est, malgré leur frayeur. C’est là que les choses se corsent.
Une très prévisible fable, qui n’emprunte jamais les chemins dramatiques les plus fertiles qu’elle contient, au profit d’un huis clos stérile où rien ne se joue vraiment. La paranoïa du Vieux, par exemple, et son obsession de la sécurité et du contrôle: d’où viennent-elles et de quel vil monde cherche-t-il à se protéger? On ne le saura jamais. Fort dommage. Au lieu de ça, il montre aux jumeaux le ciel étoilé de la nuit et leur présente la lune comme une menace. S’ensuit une série de lourdes métaphores lunaires, où la lune devient emblématique du froid, de l’obscurité et du confinement, tout en éveillant l’espoir et les rêves des enfants. On se croirait atterri dans le dictionnaire des symboles!
Certes, quand la pièce bifurque et explore brièvement les mécanismes de transmission de la violence (du père au fils), le propos se dégage plus clairement. Mais trop brièvement. Et la direction d’acteurs de Luce Pelletier ne suit pas. Jamais les forces obscures guidant la violence du père, puis celle des enfants, ne sont rendues visibles ou même subtilement déployées. Ça aurait pu être une courageuse et délicate pièce sur la violence et ses chemins insaisissables. Mais l’interprétation, très carrée, ne daigne pas s’y rendre.
Les enfants de la pleine lune
Texte : Emmanuelle Delle Piane. Mise en scène : Luce Pelletier. Assistance à la mise en scène : Claire l’Heureux, David Trottier. Scénographie : Olivier Landreville. Costumes : Julie Breton. Musique : Catherine Gadouas. Lumières : Erwann Bernard. Avec Louise Cardinal, Steve Gagnon, Jacques l’Heureux, Catherine Paquin Béchard. Une production du Théâtre de l’Opsis présentée au Théâtre Prospero jusqu’au 19 novembre 2011.