Critiques

Contre le temps : Acte de résistance

© Jérémie Battaglia

Presque dix ans que Geneviève Billette ne nous avait pas donné une pièce pour adultes. Personnellement, je dois avouer que son regard sur notre époque, un regard attentif, clairvoyant, c’est-à-dire honnête, réaliste et malgré tout plein d’espoir, me manquait beaucoup. On peut dire que ça valait la peine d’attendre puisque les retrouvailles qui se déroulent ces jours-ci entre les murs du Théâtre d’Aujourd’hui et sous la houlette de René Richard Cyr sont plus que réjouissantes.

Depuis ses débuts, Billette est sensible au choc des idées et des idéaux, aux utopies qu’on met à mal et aux dystopies qui nous guettent. En ce sens, ses pièces précédentes, Crime contre l’humanité et le Goûteur, avaient même quelque chose de futuriste. Elles nous alertaient contre les dérives de l’esprit d’entreprise, les affres du capitalisme, donnaient à voir les engrenages de cette machine à broyer le sens et la beauté, cette mécanique inhumaine que les puissants actionnent avec une ardeur chaque jour renouvelé, une détermination tout simplement terrifiante.

© Jérémie Battaglia

Sous des dehors de pièce historique, Contre le temps n’échappe pas à la règle. C’est bien son époque que l’auteure continue ici d’éclairer, mais cette fois en revisitant le passé. L’action, qui n’est pas sans évoquer les Misérables de Victor Hugo ou encore les Justes d’Albert Camus, se déroule dans le Paris de 1832. On y fait de bien belles rencontres. Benoît Gouin est un fantôme plein d’esprit, un homme pétri de remords qui paraît s’être échappé d’un roman de Dickens. Bruno Marcil, un Gérard de Nerval aussi truculent qu’émouvant. Monique Spaziani, une poignante mère courage.

Bien que servi dans des costumes d’époque, d’ailleurs somptueux, le drame n’a rien de poussiéreux. Il ne s’agit pas d’une reconstitution, pas non plus d’une actualisation, pas davantage que le fruit d’une volonté de confronter les années 30 et les années 2000. Tant mieux. Parce que tout en étant campé de manière franche dans le passé, le spectacle génère une réflexion sur l’ici et maintenant. Comment les combats de nos prédécesseurs peuvent-ils nous servir d’inspiration? Comment se saisir de cet héritage pour le porter plus loin, plus haut? Voilà le genre de questions qui sous-tendent la pièce.

Évariste Galois, le personnage principal, interprété avec une intensité admirable par Benoît Drouin-Germain, a véritablement existé. Mathématicien, ardent militant politique, opposé à la monarchie et en faveur de l’élargissement de la pensée, il est l’auteur de la théorie des groupes, annonciatrice de l’algèbre moderne. En s’attachant aux combats de l’homme, à ses espoirs pour la science et l’humanité, à son indignation, à sa capacité de rêver, mais aussi aux relations tendues qu’il entretenait avec ses proches, la pièce captive et émeut, inscrit notre soif de justice sociale dans la continuité de ceux et celles qui nous ont précédés.

© Jérémie Battaglia

Contre le temps

Texte : Geneviève Billette. Mise en scène : René Richard Cyr. Avec Kim Despatis, Benoît Drouin-Germain, Benoit Gouin, Bruno Marcil, Benoit McGinnis, Frédéric Paquet, Monique Spaziani, Alexis Plante, Émilien Néron. Assistance à la mise en scène et régie : Marie-Hélène Dufort. Scénographie : Jean Bard. Costumes : Marie-Chantale Vaillancourt. Éclairages : Erwann Bernard. Musique : Alain Dauphinais. Maquillages et coiffures : Florence Cornet. Perruques : Rachel Tremblay. Assistance aux costumes : Carole Castonguay. Au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 3 décembre 2011.

Christian Saint-Pierre

Critique de théâtre, on peut également le lire dans Le Devoir et Lettres québécoises. Il a été rédacteur en chef et directeur de JEU de 2011 à 2017.