Dave St-Pierre se prend pour Rodrigo Garcia. Et il s’y prend un peu maladroitement.
Avec un peu de mauvaise foi, c’est ainsi que je résumerais Le cycle de la boucherie, sorte de patchwork croisant trois récentes pièces de Dave St-Pierre. Le corps y est viande, objet de consommation, bouillie sanglante (des récurrences dans l’œuvre de Garcia). Les images parfois s’empilent, parfois se rencontrent, de manière souvent forcée, à d’autre moments lumineuses. Bref, une coexistence de formes et de pratiques, doublée d’une certaine littéralité. Tout Garcia. Ce ne sera pas la première fois que les influences de St-Pierre transpercent la scène. Dans What’s next, il m’avait semblé qu’il rendait un bel hommage aux Jan Fabre et autres Pina Bausch, inscrivant son œuvre dans leur chemin, les poursuivant à sa manière, se les appropriant tout de même un peu. Mais cette fois, le tissage manque de solidité et se contente de pasticher Garcia sans le renouveler ou l’honorer. C’est un travail vite fait, il faut le dire, qui gagnera certainement en profondeur au fil du temps, et après avoir été retravaillé. Au moment où j’écris ces lignes, le spectacle a certainement déjà subi quelques modifications.
De Moribonds, justement inspiré de textes de Garcia (notamment L’Histoire de Ronald, le clown de McDonald’s), le chorégraphe n’a heureusement gardé que l’essentiel. La pièce dans sa version intégrale, vue l’an dernier au Théâtre de l’Esquisse, ne proposait que le ressassement de clichés sur la société de consommation, dans une tonalité clownesque mais superficielle. C’est une scène familiale grotesque: Ronald McDonald dégustant des hamburgers avec femme et enfants, avant de finir enseveli de ketchup. On y surexpliquait et surdémontrait un propos éculé, dénué d’une réflexion structurante (ni propos éclairants sur la surconsommation, ni sur les dysfonctions familiales). Mais une fois dépouillées et mises en relation avec les chorégraphies Libido et Jambon cuit, ces courtes et dégoulinantes scènes prennent une nouvelle dimension: on y remarque davantage les corps. La critique de la société de consommation est alors transmise par la métaphore de la dévoration de l’autre, cet autre qui n’est qu’une marchandise périssable, vite consommée et vite oubliée. N’empêche, c’est le segment le plus faible du Cycle – il n’est éclairé que lorsqu’il se joue simultanément avec Libido, érotique chorégraphie interprétée par Vincent Morelle et Sylvia Camarda.
Des interprètes formidables, ces deux-là, et pleinement engagés dans une chorégraphie qui porte davantage la marque St-Pierre: le romantisme y côtoie la brutalité, le sexe y est aussi violent que nécessaire. Le désir, chez eux, se confond avec le consumérisme le plus désincarné, mais la chorégraphie de leurs corps se toisant et se percutant dans une mare de sang est puissante.
Finale en forme de généreux jardin d’Eden: Debbie Lynch-White et Katia Lévesque, les grosses de service, ondulent sur un lit de pommes, avant d’obéir à la tentation et de croquer le fruit défendu. Faut-il vraiment en dire plus?
Il y a disparité de tons et manque d’organicité. Le chorégraphe essaie de coller les morceaux en s’improvisant chef d’orchestre bourru, grimpant sur scène pour jouer les metteurs en scène narcissiques ou interrompre le spectacle d’un discours senti mais maladroit sur le subventionnnement de l’art. De beaux efforts, mais ça ne colle pas vraiment. Sans compter la trop facile image de la femme en cage, à tête de lapin…
Mais peut-être ne manque-t-il pas grand-chose pour que ce spectacle trouve une meilleure forme et un meilleur équilibre entre ses parties. Dave St-Pierre cherche. Laissons-le creuser encore un peu.
Textes : Sarah Berthiaume, Dave St-Pierre. Avec Vincent Morelle, Sylvia Camarda, Gaétan Nadeau, Marie-France Marcotte, Guillaume Lambert, Isabelle Duchesneau, Mickael Lamoureux, Debbie Lynch-White, Katia Lévesque, Dave St-Pierre. Au Théâtre La Chapelle jusqu’au 17 décembre 2011.
Dave St-Pierre se prend pour Rodrigo Garcia. Et il s’y prend un peu maladroitement.
Avec un peu de mauvaise foi, c’est ainsi que je résumerais Le cycle de la boucherie, sorte de patchwork croisant trois récentes pièces de Dave St-Pierre. Le corps y est viande, objet de consommation, bouillie sanglante (des récurrences dans l’œuvre de Garcia). Les images parfois s’empilent, parfois se rencontrent, de manière souvent forcée, à d’autre moments lumineuses. Bref, une coexistence de formes et de pratiques, doublée d’une certaine littéralité. Tout Garcia. Ce ne sera pas la première fois que les influences de St-Pierre transpercent la scène. Dans What’s next, il m’avait semblé qu’il rendait un bel hommage aux Jan Fabre et autres Pina Bausch, inscrivant son œuvre dans leur chemin, les poursuivant à sa manière, se les appropriant tout de même un peu. Mais cette fois, le tissage manque de solidité et se contente de pasticher Garcia sans le renouveler ou l’honorer. C’est un travail vite fait, il faut le dire, qui gagnera certainement en profondeur au fil du temps, et après avoir été retravaillé. Au moment où j’écris ces lignes, le spectacle a certainement déjà subi quelques modifications.
De Moribonds, justement inspiré de textes de Garcia (notamment L’Histoire de Ronald, le clown de McDonald’s), le chorégraphe n’a heureusement gardé que l’essentiel. La pièce dans sa version intégrale, vue l’an dernier au Théâtre de l’Esquisse, ne proposait que le ressassement de clichés sur la société de consommation, dans une tonalité clownesque mais superficielle. C’est une scène familiale grotesque: Ronald McDonald dégustant des hamburgers avec femme et enfants, avant de finir enseveli de ketchup. On y surexpliquait et surdémontrait un propos éculé, dénué d’une réflexion structurante (ni propos éclairants sur la surconsommation, ni sur les dysfonctions familiales). Mais une fois dépouillées et mises en relation avec les chorégraphies Libido et Jambon cuit, ces courtes et dégoulinantes scènes prennent une nouvelle dimension: on y remarque davantage les corps. La critique de la société de consommation est alors transmise par la métaphore de la dévoration de l’autre, cet autre qui n’est qu’une marchandise périssable, vite consommée et vite oubliée. N’empêche, c’est le segment le plus faible du Cycle – il n’est éclairé que lorsqu’il se joue simultanément avec Libido, érotique chorégraphie interprétée par Vincent Morelle et Sylvia Camarda.
Des interprètes formidables, ces deux-là, et pleinement engagés dans une chorégraphie qui porte davantage la marque St-Pierre: le romantisme y côtoie la brutalité, le sexe y est aussi violent que nécessaire. Le désir, chez eux, se confond avec le consumérisme le plus désincarné, mais la chorégraphie de leurs corps se toisant et se percutant dans une mare de sang est puissante.
Finale en forme de généreux jardin d’Eden: Debbie Lynch-White et Katia Lévesque, les grosses de service, ondulent sur un lit de pommes, avant d’obéir à la tentation et de croquer le fruit défendu. Faut-il vraiment en dire plus?
Il y a disparité de tons et manque d’organicité. Le chorégraphe essaie de coller les morceaux en s’improvisant chef d’orchestre bourru, grimpant sur scène pour jouer les metteurs en scène narcissiques ou interrompre le spectacle d’un discours senti mais maladroit sur le subventionnnement de l’art. De beaux efforts, mais ça ne colle pas vraiment. Sans compter la trop facile image de la femme en cage, à tête de lapin…
Mais peut-être ne manque-t-il pas grand-chose pour que ce spectacle trouve une meilleure forme et un meilleur équilibre entre ses parties. Dave St-Pierre cherche. Laissons-le creuser encore un peu.
Le cycle de la boucherie
Textes : Sarah Berthiaume, Dave St-Pierre. Avec Vincent Morelle, Sylvia Camarda, Gaétan Nadeau, Marie-France Marcotte, Guillaume Lambert, Isabelle Duchesneau, Mickael Lamoureux, Debbie Lynch-White, Katia Lévesque, Dave St-Pierre. Au Théâtre La Chapelle jusqu’au 17 décembre 2011.