Comment rencontrer l’autre, vraiment? Cette question traverse la nouvelle pièce de Christian Bégin, et le comédien-animateur-auteur l’a répété maintes et maintes fois en entrevue au cours des jours qui ont précédé la première. Dommage que la pièce la pose exactement de la même manière et la sur-souligne sans grande subtilité: un propos asséné de manière un brin infantilisante et peu approfondie. Et ce, malgré le fait que l’intrigue se développe en six temporalités parallèles où se dévoilent peu à peu des personnages dont la psychologie, prise individuellement, est potentiellement riche.
Nous sommes dans un motel quelconque en Abitibi. Dans la première chambre, un vieux couple brisé par un drame indicible tente de recoller les morceaux. Emprisonnés dans la lassitude et la quotidienneté, les anciens amoureux interprétés par Marie Charlebois (également metteure en scène du spectacle) et Patrice Coquereau sont coincés dans une incapacité de dire le trouble qui les éloigne l’un de l’autre. Dans la deuxième chambre, un homme seul (Pier Paquette) veut mettre fin à ses jours et s’y prend plutôt maladroitement. Dans la troisième, un volubile universitaire (Christian Bégin) s’apprête à passer la nuit avec une coiffeuse terre-à-terre (Isabelle Vincent) qui n’en peut plus de l’écouter raconter son expérience de bouteilles à la mer regorgant de troublants récits de solitude et de détresse.
Il n’y a pas de cloisons, et à mesure que sera rejouée, à six reprises, la même scène soumise à diférentes variations, les personnages entreront en contact avec les voisins. Il y aura d’abord confrontation, méfiance, puis une certaine ouverture à l’autre, qui va de pair avec un plus grand dévoilement de soi. Malgré la fragmentation et le principe de la répétition, la progression est linéaire et sans surprises, menant tout droit ces cinq personnages à un happy end sentimentaliste, qui contraste trop avec le pessimisme de la situation de départ et se développe un peu courtement. Certes, la pièce transmet un filet d’espoir et donne envie de croire que la compassion humaine existe encore, que l’individualisme ne nous a pas complètement empêché de considérer l’altérité. Mais ce propos ne dépasse pas tellement les voeux pieux lorsqu’il est ainsi déployé, sans fournir de pistes de réflexion sur les causes sociales de notre enfermement. Chaque personnage semble contraint dans son rapport à l’autre pour des raisons plus psychologiques et plus intimes que sociales, lesquelles ne sont pas très approfondies.
Or, il ne fait pas de doute que l’absence de considération pour autrui est un phénomène de société, dont les causes ne sont pas qu’individuelles. L’interpénétration des trois intrigues suggère d’ailleurs que ces personnages souffrent de l’absence de lien social, de sens commun. Le texte n’offre pourtant pas la possibilité de réfléchir à l’enjeu social derrière la solitude de chacun, puisqu’il ne propose qu’une progression tatillonnante et hasardeuse vers l’ouverture à l’autre. Bien sûr, c’est en arrivant à parler d’eux mêmes et à cesser de jouer le jeu des apparences que ces âmes esseulées arriveront à voir les gens qui les entourent. Ils sont coincés par les convenances et ont désappris à entretenir un rapport authentique avec eux-mêmes et avec les autres. Il aurait été intéressant d’explorer plus à fond les sources de ce processus de repliement sur soi. Autrement, la réflexion manque de substance.
Néanmoins, les Éternels Pigistes proposent ici un spectacle accessible, aux dialogues bien tournés. Les comédiens donnent de la couleur à ces personnages habiles dans la répartie et porteurs d’une psychologie fertile. Pier Paquette s’en tire particulièrement bien dans le rôle d’un homme vieillissant. Son interprétation rend tout à fait limpides les contradictions de cet homme en détresse, en proie à une agressivité mal contrôlée et malhabile avec les mots. Christian Bégin rend de manière très sensible le choc entre le corps et l’esprit qui déchire entièrement son personnage d’universitaire déconnecté des plaisirs de la chair.
Après moi
De Christian Bégin
Mise en scène par Marie Charlebois
Une production des Éternels Pigistes, à La Licorne jusqu’au 14 avril
Comment rencontrer l’autre, vraiment? Cette question traverse la nouvelle pièce de Christian Bégin, et le comédien-animateur-auteur l’a répété maintes et maintes fois en entrevue au cours des jours qui ont précédé la première. Dommage que la pièce la pose exactement de la même manière et la sur-souligne sans grande subtilité: un propos asséné de manière un brin infantilisante et peu approfondie. Et ce, malgré le fait que l’intrigue se développe en six temporalités parallèles où se dévoilent peu à peu des personnages dont la psychologie, prise individuellement, est potentiellement riche.
Nous sommes dans un motel quelconque en Abitibi. Dans la première chambre, un vieux couple brisé par un drame indicible tente de recoller les morceaux. Emprisonnés dans la lassitude et la quotidienneté, les anciens amoureux interprétés par Marie Charlebois (également metteure en scène du spectacle) et Patrice Coquereau sont coincés dans une incapacité de dire le trouble qui les éloigne l’un de l’autre. Dans la deuxième chambre, un homme seul (Pier Paquette) veut mettre fin à ses jours et s’y prend plutôt maladroitement. Dans la troisième, un volubile universitaire (Christian Bégin) s’apprête à passer la nuit avec une coiffeuse terre-à-terre (Isabelle Vincent) qui n’en peut plus de l’écouter raconter son expérience de bouteilles à la mer regorgant de troublants récits de solitude et de détresse.
Il n’y a pas de cloisons, et à mesure que sera rejouée, à six reprises, la même scène soumise à diférentes variations, les personnages entreront en contact avec les voisins. Il y aura d’abord confrontation, méfiance, puis une certaine ouverture à l’autre, qui va de pair avec un plus grand dévoilement de soi. Malgré la fragmentation et le principe de la répétition, la progression est linéaire et sans surprises, menant tout droit ces cinq personnages à un happy end sentimentaliste, qui contraste trop avec le pessimisme de la situation de départ et se développe un peu courtement. Certes, la pièce transmet un filet d’espoir et donne envie de croire que la compassion humaine existe encore, que l’individualisme ne nous a pas complètement empêché de considérer l’altérité. Mais ce propos ne dépasse pas tellement les voeux pieux lorsqu’il est ainsi déployé, sans fournir de pistes de réflexion sur les causes sociales de notre enfermement. Chaque personnage semble contraint dans son rapport à l’autre pour des raisons plus psychologiques et plus intimes que sociales, lesquelles ne sont pas très approfondies.
Or, il ne fait pas de doute que l’absence de considération pour autrui est un phénomène de société, dont les causes ne sont pas qu’individuelles. L’interpénétration des trois intrigues suggère d’ailleurs que ces personnages souffrent de l’absence de lien social, de sens commun. Le texte n’offre pourtant pas la possibilité de réfléchir à l’enjeu social derrière la solitude de chacun, puisqu’il ne propose qu’une progression tatillonnante et hasardeuse vers l’ouverture à l’autre. Bien sûr, c’est en arrivant à parler d’eux mêmes et à cesser de jouer le jeu des apparences que ces âmes esseulées arriveront à voir les gens qui les entourent. Ils sont coincés par les convenances et ont désappris à entretenir un rapport authentique avec eux-mêmes et avec les autres. Il aurait été intéressant d’explorer plus à fond les sources de ce processus de repliement sur soi. Autrement, la réflexion manque de substance.
Néanmoins, les Éternels Pigistes proposent ici un spectacle accessible, aux dialogues bien tournés. Les comédiens donnent de la couleur à ces personnages habiles dans la répartie et porteurs d’une psychologie fertile. Pier Paquette s’en tire particulièrement bien dans le rôle d’un homme vieillissant. Son interprétation rend tout à fait limpides les contradictions de cet homme en détresse, en proie à une agressivité mal contrôlée et malhabile avec les mots. Christian Bégin rend de manière très sensible le choc entre le corps et l’esprit qui déchire entièrement son personnage d’universitaire déconnecté des plaisirs de la chair.
Après moi
De Christian Bégin
Mise en scène par Marie Charlebois
Une production des Éternels Pigistes, à La Licorne jusqu’au 14 avril