Étrange spectacle que celui-ci, qui mutliplie les genres et observe avec différentes loupes la réalité de la guerre irakienne. Comme si le metteur en scène Mokhallad Rasem, jeune Irakien vivant et travaillant désormais en Belgique, voulait nous sensibiliser aux différents filtres ou aux mutliples voiles qui nous cachent la vue et nous empêchent de véritablement saisir cette réalité complexe. Mais la partition, éclatée, manque ainsi de direction et de cohérence.
Rasem cherche à multiplier les perspectives et les regards, en s’intéressant toutefois davantage aux répercussions de la guerre sur le quotidien des Irakiens qu’aux événements guerriers eux-mêmes. Ainsi, il évoque des corps en état de choc, des lieux défigurés et des âmes blessée, mettant en scène ceux qui ont vécu la guerre (trois acteurs irakiens) et ceux qui ne la connaissent que de façon lointaine (deux actrices belges menant une sorte d’enquête et se fondant souvent au paysage et aux situations). Il s’agit d’exprimer son rapport à la guerre par un théâtre d’images, en courtes scènes décalées. On est ici dans une certaine dramaturgie de la répétition: textes répétés plusieurs fois dans plusieurs langues et corps nerveux répétant les mêmes gestes d’aliénation ou d’agression. Pas de doute, cela souligne le caractère interminable et répétitif de cette guerre maintes fois interrompue et maintes fois réenclenchée. Les corps sont sautillants, comme bombardés, traversés par la peur et inquiets de la mort violente, qui, peut-être les attend au détour d’un coup de feu. La pièce répond aussi à une certaine logique de la superposition et à une certaine simultanéité de l’action, créant un univers par moments très agité: un symbole du chaos et de la panique que cause le climat de guerre. Notamment dans une très belle scène d’avant-guerre, au moment où les femmes préparent les maisons pour affronter les durs temps à venir. S’emmêlent indistinctement les gestes simples de concoction de repas, les textures des aliments et les voix criardes de la maisonnée, jusqu’à ce que la terre se mette à trembler et qu’une musique artificiellement tragique et pompeuse s’ajoute au concert des voix.
Car Irakese Geesten, au final, porte surtout sur l’impossibilité d’être en contact avec des images authentiques et directes de la guerre, laquelle devient un spectacle médiatique soumis à l’enflure, à la scénarisation, au grossissement. Bagdad, au début du spectacle, est d’ailleurs ironiquement représenté par un extrait du dessin animé Aladdin, de Disney: un monde lisse et merveilleux qui sera soudainement perverti et s’éteindra dans un assourdissant concert de bombardements. Puis, le spectacle s’attarde, de manière souvent détournée, à la manière dont les médias de masse et le cinéma hollywoodien récupèrent la guerre pour la transformer en drame scénarisé selon les codes du spectacle, avec émotions exacerbées et trame sonore grandiloquente. Le spectacle culmine en une fausse Cérémonie des Oscars où sont attribués les prix de la «meilleure victime», de la «meilleure peur» et du «meilleur choc». Intelligente, cette mise en lumière de l’information-spectacle et du grossier regard que portent les Occidentaux sur la guerre porte une forte critique sociale et invite à mesurer la distance qui nous sépare des événements et notre méconnaissance des réels enjeux, en dehors des scènes spectaculaires qui nous sont toujours données à voir.
Les scènes plus oniriques, dans lesquelles est cultivé un certain effet d’étrangeté, semblent alors manquer de substance et n’offrent pas de regard particulier, cherchant plutôt à créer, assez simplement, une atmosphère inquiétante. Ainsi en est-il de cette scène de lendemain de guerre où des personnages portant un masque de visage tuméfié semblent traversés de douleur et où des enfants grandissent dans les débris. Bref, on a parfois l’impression d’assister à deux spectacles distincts, à rencontrer des univers déconnectés l’un de l’autre, qui entrent difficilement en interaction même s’ils s’attardent au même objet. La réalité dépeinte en est parfois diluée.
Irakese Geesten
Mise en scène de Mokhallad Rasem
Une production Monty, au Théâtre Prospéro jusqu’au 27 mai
Dans le cadre du Festival TransAmériques
Étrange spectacle que celui-ci, qui mutliplie les genres et observe avec différentes loupes la réalité de la guerre irakienne. Comme si le metteur en scène Mokhallad Rasem, jeune Irakien vivant et travaillant désormais en Belgique, voulait nous sensibiliser aux différents filtres ou aux mutliples voiles qui nous cachent la vue et nous empêchent de véritablement saisir cette réalité complexe. Mais la partition, éclatée, manque ainsi de direction et de cohérence.
Rasem cherche à multiplier les perspectives et les regards, en s’intéressant toutefois davantage aux répercussions de la guerre sur le quotidien des Irakiens qu’aux événements guerriers eux-mêmes. Ainsi, il évoque des corps en état de choc, des lieux défigurés et des âmes blessée, mettant en scène ceux qui ont vécu la guerre (trois acteurs irakiens) et ceux qui ne la connaissent que de façon lointaine (deux actrices belges menant une sorte d’enquête et se fondant souvent au paysage et aux situations). Il s’agit d’exprimer son rapport à la guerre par un théâtre d’images, en courtes scènes décalées. On est ici dans une certaine dramaturgie de la répétition: textes répétés plusieurs fois dans plusieurs langues et corps nerveux répétant les mêmes gestes d’aliénation ou d’agression. Pas de doute, cela souligne le caractère interminable et répétitif de cette guerre maintes fois interrompue et maintes fois réenclenchée. Les corps sont sautillants, comme bombardés, traversés par la peur et inquiets de la mort violente, qui, peut-être les attend au détour d’un coup de feu. La pièce répond aussi à une certaine logique de la superposition et à une certaine simultanéité de l’action, créant un univers par moments très agité: un symbole du chaos et de la panique que cause le climat de guerre. Notamment dans une très belle scène d’avant-guerre, au moment où les femmes préparent les maisons pour affronter les durs temps à venir. S’emmêlent indistinctement les gestes simples de concoction de repas, les textures des aliments et les voix criardes de la maisonnée, jusqu’à ce que la terre se mette à trembler et qu’une musique artificiellement tragique et pompeuse s’ajoute au concert des voix.
Car Irakese Geesten, au final, porte surtout sur l’impossibilité d’être en contact avec des images authentiques et directes de la guerre, laquelle devient un spectacle médiatique soumis à l’enflure, à la scénarisation, au grossissement. Bagdad, au début du spectacle, est d’ailleurs ironiquement représenté par un extrait du dessin animé Aladdin, de Disney: un monde lisse et merveilleux qui sera soudainement perverti et s’éteindra dans un assourdissant concert de bombardements. Puis, le spectacle s’attarde, de manière souvent détournée, à la manière dont les médias de masse et le cinéma hollywoodien récupèrent la guerre pour la transformer en drame scénarisé selon les codes du spectacle, avec émotions exacerbées et trame sonore grandiloquente. Le spectacle culmine en une fausse Cérémonie des Oscars où sont attribués les prix de la «meilleure victime», de la «meilleure peur» et du «meilleur choc». Intelligente, cette mise en lumière de l’information-spectacle et du grossier regard que portent les Occidentaux sur la guerre porte une forte critique sociale et invite à mesurer la distance qui nous sépare des événements et notre méconnaissance des réels enjeux, en dehors des scènes spectaculaires qui nous sont toujours données à voir.
Les scènes plus oniriques, dans lesquelles est cultivé un certain effet d’étrangeté, semblent alors manquer de substance et n’offrent pas de regard particulier, cherchant plutôt à créer, assez simplement, une atmosphère inquiétante. Ainsi en est-il de cette scène de lendemain de guerre où des personnages portant un masque de visage tuméfié semblent traversés de douleur et où des enfants grandissent dans les débris. Bref, on a parfois l’impression d’assister à deux spectacles distincts, à rencontrer des univers déconnectés l’un de l’autre, qui entrent difficilement en interaction même s’ils s’attardent au même objet. La réalité dépeinte en est parfois diluée.
Irakese Geesten
Mise en scène de Mokhallad Rasem
Une production Monty, au Théâtre Prospéro jusqu’au 27 mai
Dans le cadre du Festival TransAmériques