Guillaume Corbeil fait partie de ces dramaturges que l’on a très vite qualifiés de prometteurs. Déjà l’auteur d’un recueil de nouvelles (L’art de la fugue) et d’un roman (Pleurer comme dans les films), il a beaucoup fait parler de lui alors qu’il était encore étudiant au programme d’écriture de l’École nationale de théâtre, lorsqu’il nous a gratifiés d’une passionnante biographie d’André Brassard (Brassard). Inutile de dire que l’on avait hâte de voir un de ses textes monté sur scène. C’est chose faite avec Le Mécanicien, à l’affiche ces jours-ci au Théâtre d’aujourd’hui, dans une production d’Aquilon Théâtre (mise en scène de Francis Richard, avec Anne-Hélène Prévost et Pierre-Luc Léveillé).
Dans cette pièce, Corbeil se penche sur la fascination qu’exerce l’horreur sur certains de nos concitoyens, comme si se repaître de la violence qui survient dans la vie des autres pouvait nous permettre de surmonter la banalité de notre propre quotidien, de mettre de côté – pour un temps au moins – la vacuité de nos existences, et, blasés que nous sommes, de ressentir enfin quelque chose.
De retour du garage, un couple réintègre son tout nouvel appartement. Mettre de la musique, ouvrir une bouteille de vin, faire la cuisine. Lui souhaite aller de l’avant avec le programme habituel de la soirée, mais elle ne l’entend pas de cette oreille. C’est que cette scène épouvantable à laquelle ils viennent tous deux d’assister – le mécanicien tuant sauvagement un écureuil – refuse de se laisser oublier. N’est-elle pas la preuve que cet individu est un monstre sanguinaire? Refusant d’abord de s’appesantir sur cet épisode, lui entre bientôt dans son jeu et se met à imaginer au mécanicien un passé trouble. Quand le téléphone sonne, ils sont paralysés: peut-être est-ce lui qui les appelle, peut-être est-il à leurs trousses. D’abord malaisés, les échanges du couple deviennent de plus en plus tendus, jusqu’à ce que, à force de parler de violence, ils ne mettent en place un jeu de rôle malsain qui finit par tourner au cauchemar.
On aimerait pouvoir voir dans la première partie de la pièce une métaphore d’un Québec dans lequel certains tentent de prendre la parole tandis que la majorité essaie de les en empêcher, mais les dialogues manquent trop de relief et les clichés sont trop nombreux (l’homme qui tente de complimenter sa blonde en lui disant «tu es belle comme tu es»; la discussion sur le thème de «qu’est-ce que tu ressentirais si tu devais m’enterrer»; l’homme qui consulte un psychologue à cause de «la pression d’être à la hauteur»; la femme qui est une emmerdeuse; etc.) pour que l’on parvienne à s’amuser de la dérision, et à voir dans cette scène autre chose qu’un couple qui s’ennuie et qui, malheureusement, nous ennuie aussi.
L’idée de faire basculer une situation banale dans l’horreur, quoique maintes fois exploitée, nous séduirait elle aussi si elle n’était amenée de manière aussi abrupte et maladroite. Il faut dire que la mise en scène et le jeu plaqué des comédiens servent très mal le texte et contribuent à rendre ce basculement peu crédible. Ainsi, la violence extrême, si elle est bien sûre éminemment dérangeante, nous apparaît comme purement gratuite. Et quand l’homme lance un: «les gens qui nous regardent sont sur le point d’obtenir ce qu’ils sont venus chercher», on est agacés que l’auteur veuille faire de nous des voyeurs de manière aussi artificielle. Quant à l’incident initial, l’écrabouillement de l’écureuil, il est trop dénué d’intérêt pour que l’on accepte d’adhérer à la proposition selon laquelle la femme serait à la fois horrifiée et fascinée, voire excitée sexuellement (mais là encore, la direction d’acteurs n’arrange rien).
Maladroit est bien l’adjectif qui vient le plus souvent en tête pour qualifier Le Mécanicien. On a parfois l’impression que Corbeil, en bon élève, a tenté de mettre dans son texte tous les ingrédients d’une bonne pièce de théâtre – le véritable enjeu qui se cache derrière le faux enjeu, des dialogues à saveur pinterienne où le malaise pointe derrière l’apparence de normalité, de la violence type «in your face», l’attirance des personnages pour ce qui devrait les rebuter – mais qu’il lui manque encore la dextérité du grand chef pour que la sauce prenne.
Heureusement, ce n’est pas sur cette première fausse note que l’on devra s’arrêter cette saison, puisque deux autres textes de Corbeil nous seront offerts prochainement: fin septembre, à l’occasion du Festival international de la littérature, on pourra découvrir un monologue intitulé Tu iras la chercher. Puis, en février, Claude Poissant mettra en scène pour le Théâtre PàP Cinq visages pour Camille Brunelle, une réflexion sur l’influence des réseaux sociaux sur la construction identitaire.
Guillaume Corbeil fait partie de ces dramaturges que l’on a très vite qualifiés de prometteurs. Déjà l’auteur d’un recueil de nouvelles (L’art de la fugue) et d’un roman (Pleurer comme dans les films), il a beaucoup fait parler de lui alors qu’il était encore étudiant au programme d’écriture de l’École nationale de théâtre, lorsqu’il nous a gratifiés d’une passionnante biographie d’André Brassard (Brassard). Inutile de dire que l’on avait hâte de voir un de ses textes monté sur scène. C’est chose faite avec Le Mécanicien, à l’affiche ces jours-ci au Théâtre d’aujourd’hui, dans une production d’Aquilon Théâtre (mise en scène de Francis Richard, avec Anne-Hélène Prévost et Pierre-Luc Léveillé).
Dans cette pièce, Corbeil se penche sur la fascination qu’exerce l’horreur sur certains de nos concitoyens, comme si se repaître de la violence qui survient dans la vie des autres pouvait nous permettre de surmonter la banalité de notre propre quotidien, de mettre de côté – pour un temps au moins – la vacuité de nos existences, et, blasés que nous sommes, de ressentir enfin quelque chose.
De retour du garage, un couple réintègre son tout nouvel appartement. Mettre de la musique, ouvrir une bouteille de vin, faire la cuisine. Lui souhaite aller de l’avant avec le programme habituel de la soirée, mais elle ne l’entend pas de cette oreille. C’est que cette scène épouvantable à laquelle ils viennent tous deux d’assister – le mécanicien tuant sauvagement un écureuil – refuse de se laisser oublier. N’est-elle pas la preuve que cet individu est un monstre sanguinaire? Refusant d’abord de s’appesantir sur cet épisode, lui entre bientôt dans son jeu et se met à imaginer au mécanicien un passé trouble. Quand le téléphone sonne, ils sont paralysés: peut-être est-ce lui qui les appelle, peut-être est-il à leurs trousses. D’abord malaisés, les échanges du couple deviennent de plus en plus tendus, jusqu’à ce que, à force de parler de violence, ils ne mettent en place un jeu de rôle malsain qui finit par tourner au cauchemar.
On aimerait pouvoir voir dans la première partie de la pièce une métaphore d’un Québec dans lequel certains tentent de prendre la parole tandis que la majorité essaie de les en empêcher, mais les dialogues manquent trop de relief et les clichés sont trop nombreux (l’homme qui tente de complimenter sa blonde en lui disant «tu es belle comme tu es»; la discussion sur le thème de «qu’est-ce que tu ressentirais si tu devais m’enterrer»; l’homme qui consulte un psychologue à cause de «la pression d’être à la hauteur»; la femme qui est une emmerdeuse; etc.) pour que l’on parvienne à s’amuser de la dérision, et à voir dans cette scène autre chose qu’un couple qui s’ennuie et qui, malheureusement, nous ennuie aussi.
L’idée de faire basculer une situation banale dans l’horreur, quoique maintes fois exploitée, nous séduirait elle aussi si elle n’était amenée de manière aussi abrupte et maladroite. Il faut dire que la mise en scène et le jeu plaqué des comédiens servent très mal le texte et contribuent à rendre ce basculement peu crédible. Ainsi, la violence extrême, si elle est bien sûre éminemment dérangeante, nous apparaît comme purement gratuite. Et quand l’homme lance un: «les gens qui nous regardent sont sur le point d’obtenir ce qu’ils sont venus chercher», on est agacés que l’auteur veuille faire de nous des voyeurs de manière aussi artificielle. Quant à l’incident initial, l’écrabouillement de l’écureuil, il est trop dénué d’intérêt pour que l’on accepte d’adhérer à la proposition selon laquelle la femme serait à la fois horrifiée et fascinée, voire excitée sexuellement (mais là encore, la direction d’acteurs n’arrange rien).
Maladroit est bien l’adjectif qui vient le plus souvent en tête pour qualifier Le Mécanicien. On a parfois l’impression que Corbeil, en bon élève, a tenté de mettre dans son texte tous les ingrédients d’une bonne pièce de théâtre – le véritable enjeu qui se cache derrière le faux enjeu, des dialogues à saveur pinterienne où le malaise pointe derrière l’apparence de normalité, de la violence type «in your face», l’attirance des personnages pour ce qui devrait les rebuter – mais qu’il lui manque encore la dextérité du grand chef pour que la sauce prenne.
Heureusement, ce n’est pas sur cette première fausse note que l’on devra s’arrêter cette saison, puisque deux autres textes de Corbeil nous seront offerts prochainement: fin septembre, à l’occasion du Festival international de la littérature, on pourra découvrir un monologue intitulé Tu iras la chercher. Puis, en février, Claude Poissant mettra en scène pour le Théâtre PàP Cinq visages pour Camille Brunelle, une réflexion sur l’influence des réseaux sociaux sur la construction identitaire.
Le Mécanicien
Texte de Guillaume Corbeil
Mise en scène de Francis Richard
Au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 29 septembre