Chroniques

King Dave de retour sur son trône

Ce n’est pas d’hier qu’on déplore le fait que les bons spectacles de théâtre tiennent trop peu de temps l’affiche des théâtres montréalais, qu’ils ne sont pas assez repris ou encore qu’ils ne tournent pas suffisamment au Québec et ailleurs. Pourquoi répéter six semaines pour en jouer trois ou quatre? Pourquoi ne pas permettre à un spectacle de rejoindre pleinement son public? Ce sont des questions qui se posent encore et toujours.

La semaine dernière, au téléphone, le metteur en scène français Joël Pommerat me disait que cette saison, ce sont cinq productions de sa compagnie, Louis Brouillard, qui sont en tournée à travers le monde. «Ce n’est pas, même dans le modèle français, très en vogue, précise-t-il quand on lui explique qu’une situation comparable est à peu près impossible au Québec. Je pense que ce n’est pas seulement le signe d’une réussite de notre part, c’est aussi une volonté. J’ai la volonté de ne pas laisser mourir les spectacles. Laisser un spectacle mourir après une année, s’il se passe quelque chose artistiquement et dans le rapport au public, c’est terriblement triste. Il faut se battre pour que ça dure! Tout le monde a sa responsabilité. Les metteurs en scène, qui ont une forme de négligence par rapport à ça, mais aussi les programmateurs et les directeurs de théâtre, qui sont pour ainsi dire drogués à la création. Il y a quelque chose d’absurde à continuellement produire du nouveau alors que de très belles choses sont abandonnées. Le théâtre a besoin de ces spectacles marquants qui devraient continuer à vivre des années!»

Il y a tout de même quelques raisons de se réjouir de ce qui se passe en ce moment au Québec. Parmi les saisons qui sont d’ores et déjà dévoilées, on remarque un bon nombre de reprises: Les aiguilles et l’opium, L’absence de guerre, Moi, dans les ruines rouges du siècle, Un, Une vie pour deux, Billy (Les jours de hurlement), L’assassinat du président, Chlore… Il y a quelques jours, nous apprenions avec bonheur le retour de King Dave à la salle intime du Théâtre Prospero, là où le solo a vu le jour en 2005. Le monologue écrit et interprété par Alexandre Goyette et mis en scène par Christian Fortin, une production Les Idées Flottantes: Théâtre, a été présenté plus de 120 fois à travers le Québec!

En 2006, emballé par le spectacle, j’écrivais dans le journal Voir: «King Dave effectue une percée troublante, parce que tragique et comique à la fois, dans les quartiers les plus violents de Montréal. Il s’agit du portrait brutal d’une persécution quotidienne, le témoignage plus vrai que nature d’un jeune homme entraîné par la peur dans l’engrenage de la violence. Dans un monologue qui croise les voix et les langues, un texte qui secoue formidablement le temps et l’espace, Alexandre Goyette décrit, avec une extrême sensibilité, la descente aux enfers de David Morin, un garçon tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Ce pourrait être votre frère, votre fils, votre ami… lancé dans une recherche désespérée de lui-même.»

Puis j’ajoutais: «La mise en scène de Christian Fortin excelle à traduire, avec sobriété et minutie, la fatalité qui préside au destin du jeune homme. Avec autant d’authenticité émotive et d’exactitude factuelle, avec une force d’évocation aussi exceptionnelle, le récit défile littéralement sous nos yeux. Cette prise de parole, Alexandre Goyette ne fait pas que l’endosser, il la fait sienne. Il se glisse avec agilité dans la peau d’un garçon capable de ténacité et de faiblesse, de grandeur et de petitesse, capable d’autant de colère que de vulnérabilité. Durant les quelque 75 minutes que dure le voyage, on reste constamment suspendu à ses lèvres.»

On dit qu’un projet de long-métrage sera déposé cet automne par la productrice Nicole Robert. C’est Podz qui assurerait la réalisation. Si vous voulez pouvoir dire que vous faites partie des gens qui ont vu la pièce au moment de la sortie du film, vous savez ce que vous avez à faire…

King Dave. Texte et interprétation: Alexandre Goyette. Mise en scène: Christian Fortin. Une production Les Idées Flottantes: Théâtre, à la salle intime du Théâtre Prospero du 30 avril au 18 mai 2013. Billetterie: 514 526-6582.

 

Christian Saint-Pierre

Critique de théâtre, on peut également le lire dans Le Devoir et Lettres québécoises. Il a été rédacteur en chef et directeur de JEU de 2011 à 2017.