Même quand on a vu les handicapés de Pippo Delbono (ah ! le remarquable Bobò jouant Beckett!), ou les corps atypiques de Romeo Castellucci, voire auparavant ceux de Gilles Maheu dans la Forêt, on demeure mal à l’aise devant des acteurs lourdement atteints physiquement et sur le plan intellectuel. Un interprète trisomique obèse, Mark, soupirant laborieusement trois mots incompréhensibles, qui se fait dire qu’il a le cerveau d’un poisson rouge… c’est dur à prendre!
Dans cette pièce, un metteur en scène – joué par un acteur non déficient intellectuel, Luke – dirige quatre comédiens handicapés pour évoquer l’histoire de Ganesh, le dieu indien parti dans l’Allemagne nazie chercher le svastika volé par Hitler. Ce faisant, les interprètes, dont les personnages ont les noms des acteurs, endossent des personnages de juifs, du dieu à tête d’éléphant (le grassouillet Brian), d’un soldat SS puis d’Hitler lui-même (ce qu’on présente à l’acteur Scott, non sans humour, comme une « promotion » !). Celui qui est apparemment le moins atteint, Brian, se montre tout de même prompt à élever la voix sans mesure lors de ses fréquentes sautes d’humeur.
Une série de « défauts » font obstacle à la communication théâtrale habituelle. Non seulement les acteurs sont-ils raides et difformes (caractéristique accentuée par des costumes épouvantables), ils se tiennent mal, articulent difficilement ou marmonnent dans un anglais au fort accent australien (heureusement, les surtitres français permettent de suivre le fil) ; sans compter que, comme ils sont tous munis de micros sans fil et qu’ils demeurent souvent inexpressifs, on prend un moment à distinguer celui qui parle. L’effet est très étrange.
Mais le plus dur à prendre, c’est le rôle que tient Luke, le seul acteur «normal», qui interprète un personnage colérique, soupe au lait, mesquin, manipulateur, dont la direction d’acteurs suscite beaucoup de tension. Il montre combien diriger ces quatre comédiens constitue une mission quasi impossible. Il parvient pourtant à le faire même en allemand! Tantôt par le non-dit, tantôt par un excès d’explications vaseuses, le metteur en scène s’adresse aux spectateurs, les accusant d’être venus voir un spectacle de monstres, de bêtes étranges comme à l’aquarium ou au zoo. Il nous culpabilise en nous traitant de pervers avides de «freak porn». Puis, reproduisant des séances d’improvisation survenues en répétition, il demande constamment son avis au seul acteur qui n’y participe pas, le trisomique silencieux qui bafouille un commentaire abscons…
La scène clé est celle où le metteur en scène en costume militaire devient fou furieux –singeant Hitler– quand Scott n’arrive pas à «mourir» comme il faut lorsqu’il reçoit un coup de pistolet sur la nuque. Le mouvement qu’on lui fait reprendre plusieurs fois, sous une musique lancinante et de plus en plus stressante, révèle à quel point on peut malmener ces êtres apparemment fragiles au risque de les briser. Cela rappelle 15 secondes du difforme Dave Richer qui, il y a une décennie à l’Espace Libre, se faisait carrément jeter par terre à plusieurs reprises pour montrer qu’il n’était pas fait de porcelaine!
Le (vrai) metteur en scène Bruce Gladwin voulait sans doute tester les limites de sa troupe avec qui il travaille depuis des années. À ce titre, la scène violente qui semble vouloir aller jusqu’à une totale perte de contrôle et qui se solde par la mise à la porte du (faux) metteur en scène pour qu’il aille se calmer représente certes une prouesse. Seulement, j’aurais souhaité plus de subtilité à ce qui apparaît comme une démonstration.
Même quand on a vu les handicapés de Pippo Delbono (ah ! le remarquable Bobò jouant Beckett!), ou les corps atypiques de Romeo Castellucci, voire auparavant ceux de Gilles Maheu dans la Forêt, on demeure mal à l’aise devant des acteurs lourdement atteints physiquement et sur le plan intellectuel. Un interprète trisomique obèse, Mark, soupirant laborieusement trois mots incompréhensibles, qui se fait dire qu’il a le cerveau d’un poisson rouge… c’est dur à prendre!
Dans cette pièce, un metteur en scène – joué par un acteur non déficient intellectuel, Luke – dirige quatre comédiens handicapés pour évoquer l’histoire de Ganesh, le dieu indien parti dans l’Allemagne nazie chercher le svastika volé par Hitler. Ce faisant, les interprètes, dont les personnages ont les noms des acteurs, endossent des personnages de juifs, du dieu à tête d’éléphant (le grassouillet Brian), d’un soldat SS puis d’Hitler lui-même (ce qu’on présente à l’acteur Scott, non sans humour, comme une « promotion » !). Celui qui est apparemment le moins atteint, Brian, se montre tout de même prompt à élever la voix sans mesure lors de ses fréquentes sautes d’humeur.
Une série de « défauts » font obstacle à la communication théâtrale habituelle. Non seulement les acteurs sont-ils raides et difformes (caractéristique accentuée par des costumes épouvantables), ils se tiennent mal, articulent difficilement ou marmonnent dans un anglais au fort accent australien (heureusement, les surtitres français permettent de suivre le fil) ; sans compter que, comme ils sont tous munis de micros sans fil et qu’ils demeurent souvent inexpressifs, on prend un moment à distinguer celui qui parle. L’effet est très étrange.
Mais le plus dur à prendre, c’est le rôle que tient Luke, le seul acteur «normal», qui interprète un personnage colérique, soupe au lait, mesquin, manipulateur, dont la direction d’acteurs suscite beaucoup de tension. Il montre combien diriger ces quatre comédiens constitue une mission quasi impossible. Il parvient pourtant à le faire même en allemand! Tantôt par le non-dit, tantôt par un excès d’explications vaseuses, le metteur en scène s’adresse aux spectateurs, les accusant d’être venus voir un spectacle de monstres, de bêtes étranges comme à l’aquarium ou au zoo. Il nous culpabilise en nous traitant de pervers avides de «freak porn». Puis, reproduisant des séances d’improvisation survenues en répétition, il demande constamment son avis au seul acteur qui n’y participe pas, le trisomique silencieux qui bafouille un commentaire abscons…
La scène clé est celle où le metteur en scène en costume militaire devient fou furieux –singeant Hitler– quand Scott n’arrive pas à «mourir» comme il faut lorsqu’il reçoit un coup de pistolet sur la nuque. Le mouvement qu’on lui fait reprendre plusieurs fois, sous une musique lancinante et de plus en plus stressante, révèle à quel point on peut malmener ces êtres apparemment fragiles au risque de les briser. Cela rappelle 15 secondes du difforme Dave Richer qui, il y a une décennie à l’Espace Libre, se faisait carrément jeter par terre à plusieurs reprises pour montrer qu’il n’était pas fait de porcelaine!
Le (vrai) metteur en scène Bruce Gladwin voulait sans doute tester les limites de sa troupe avec qui il travaille depuis des années. À ce titre, la scène violente qui semble vouloir aller jusqu’à une totale perte de contrôle et qui se solde par la mise à la porte du (faux) metteur en scène pour qu’il aille se calmer représente certes une prouesse. Seulement, j’aurais souhaité plus de subtilité à ce qui apparaît comme une démonstration.
Ganesh versus the third reich
De Bruce Gladwin
Une production Back to Back Theatre (Melbourne)
À l’Usine C jusqu’au 2 juin dans le cadre du Festival TransAmériques