Dans Place du marché 76, tout est là pour nous embarquer: le dispositif à vue, l’irrévérence, le sens des images, la musique, les interprètes au jeu physique (une équipe soudée, aguerrie), mais, malgré tout ça, on s’ennuie ferme!
Jan Lauwers a «commencé à écrire cette pièce alors (qu’il était) quelque peu fâché, irrité par l’état actuel du monde qui (l’)entoure». Il a voulu parler des pauvres, des sans-abris, des immigrants illégaux, autant de gens rejetés qu’il place face à la communauté d’un petit village, soudée par l’habitude. Le village devient donc la métaphore du monde. Autour de la fontaine, assemblage de tables autour d’un bassin, on se prépare à célébrer l’anniversaire d’une catastrophe: une bombonne de gaz a explosé dans la boucherie — tuant 24 personnes et faisant de nombreux blessés — à cause d’une négligence de la bouchère, qui y a laissé son fils et sa colonne vertébrale.
Une étrange autarcie
Le village voit s’accumuler les catastrophes (suicide, enlèvement, pédophilie, re-suicide, mort par non-assistance…) et fonctionne en une étrange autarcie. On y rend la justice collectivement et on a du mal à se faire à l’arrivée d’étrangers: le balayeur, puis un homme tombé d’un radeau qui s’écrase du ciel, tous deux vêtus d’une combinaison orange, appartiennent à ce groupe qui va aller grossissant, tous endossant progressivement des tenues oranges, au fur et à mesure que se lézardent les fonctions et statuts de chacun.
Le jour de cette célébration, le jeune Oscar se défenestre, sa sœur Pauline est enlevée par le plombier pédophile. 76 jours plus tard, elle parvient à s’échapper des catacombes où il la retenait. Le plombier, asthmatique, finit par tomber dans la fontaine où il se noie. Puis le village condamne sa femme, Kim-Ho (l’étrangère, jamais vraiment acceptée, au courant, mais consentante, car elle pensait alors protéger sa propre fille), à 76 jours de réclusion, pendant lesquels plus d’un homme vient coucher avec elle; ce qui aboutit à la naissance d’un enfant, seul épisode heureux: une succession de catastrophes qui se veut distanciée!
Des recettes
On sent par trop les recettes et même la reprise d’éléments de spectacles anciens, ce qui fait que les uns et les autres rejouent des personnages semblables: la femme alcoolique, la frustrée sexuellement, le rustre… Lauwers dit qu’il écrit le texte à même la peau de ses interprètes, sa famille en quelque sorte — avec qui il passe plus de 200 jours par an en tournée, explique-t-il dans le programme. En fait, il faudrait plutôt dire qu’il leur taille le même costume. Eux, ravis, refont ce qu’ils aiment, ce mélange de théâtre, de performance, d’adresse directe, de moments dansés, de musique en direct, de ruptures… Mais cette fois, on reste vraiment à quai!
On trouve bien sûr de beaux moments. Je pense notamment à la séquence où Pauline, enfermée dans les catacombes, subit les sévices du plombier. La scène est vue sur un grand écran placé au bord du bassin. Derrière, la scène se joue en direct. On en voit les ombres projetées au fond du cloître, ce qui renforce l’accroche dramatique. Gros plan sur les visages effrayés ou effrayants, sur la culotte de Pauline qui doit se masturber… L’accouchement de Kim-Ho, qui donne naissance à un enfant gonflable de plusieurs mètres qui l’ensevelit. Lauwers manie souvent bien le off centre, comme il le nomme: «différents centres, différentes sources d’énergie sur le plateau». Des dispositifs s’improvisent avec des petits praticables qu’on apporte ou en accumulant tout ce qui a déjà été utilisé et qui devient la cabane des gens en orange.
Danse, chant et musique
Le plateau est organisé en plusieurs espaces de jeux et encadré de portants avec les costumes. Les interprètes circulent en tous sens, courent, dansent, coupent du bois. Les morts sont encore parmi les vivants et tous chantent ensemble une étrange mélodie du bonheur. Il y a évidemment de belles séquences dansées, des moments de chants et de musique drôles, touchants ou maniant assez bien le mauvais esprit, mais, malgré les interventions de Lauwers, tout à la fois musicien et narrateur, il n’y a plus cette intelligence du texte, cette joie du faire ensemble qui marquait si fort Le bazar du homard ou La chambre d’Isabella.
De nouveaux interprètes ont rejoint l’équipe, dont le Québécois Emmanuel Schwartz — qui fait en gros le narrateur comme chez Mouawad, tout en jouant de la musique en plus —, sans y apporter réellement un sang neuf. La manière devient systématisme. Ça devient lisse alors que ça se veut incisif. La mise à distance amusée ne tient pas, un coup de gueule qui fait flop en quelque sorte!
Place du marché 76. Texte et mise en scène: Jan Lauwers. Une production Needcompany présentée au Cloître des Carmes, à l’occasion du Festival d’Avigon, du 8 au 17 juillet. Tournée: le 6 août à la Biennale de Venise, les 10 et 11 septembre à la Bâtie (Genève), le 18 novembre à Munich, et les 21 et 22 novembre sur la Scène nationale de Sète.
Dans Place du marché 76, tout est là pour nous embarquer: le dispositif à vue, l’irrévérence, le sens des images, la musique, les interprètes au jeu physique (une équipe soudée, aguerrie), mais, malgré tout ça, on s’ennuie ferme!
Jan Lauwers a «commencé à écrire cette pièce alors (qu’il était) quelque peu fâché, irrité par l’état actuel du monde qui (l’)entoure». Il a voulu parler des pauvres, des sans-abris, des immigrants illégaux, autant de gens rejetés qu’il place face à la communauté d’un petit village, soudée par l’habitude. Le village devient donc la métaphore du monde. Autour de la fontaine, assemblage de tables autour d’un bassin, on se prépare à célébrer l’anniversaire d’une catastrophe: une bombonne de gaz a explosé dans la boucherie — tuant 24 personnes et faisant de nombreux blessés — à cause d’une négligence de la bouchère, qui y a laissé son fils et sa colonne vertébrale.
Une étrange autarcie
Le village voit s’accumuler les catastrophes (suicide, enlèvement, pédophilie, re-suicide, mort par non-assistance…) et fonctionne en une étrange autarcie. On y rend la justice collectivement et on a du mal à se faire à l’arrivée d’étrangers: le balayeur, puis un homme tombé d’un radeau qui s’écrase du ciel, tous deux vêtus d’une combinaison orange, appartiennent à ce groupe qui va aller grossissant, tous endossant progressivement des tenues oranges, au fur et à mesure que se lézardent les fonctions et statuts de chacun.
Le jour de cette célébration, le jeune Oscar se défenestre, sa sœur Pauline est enlevée par le plombier pédophile. 76 jours plus tard, elle parvient à s’échapper des catacombes où il la retenait. Le plombier, asthmatique, finit par tomber dans la fontaine où il se noie. Puis le village condamne sa femme, Kim-Ho (l’étrangère, jamais vraiment acceptée, au courant, mais consentante, car elle pensait alors protéger sa propre fille), à 76 jours de réclusion, pendant lesquels plus d’un homme vient coucher avec elle; ce qui aboutit à la naissance d’un enfant, seul épisode heureux: une succession de catastrophes qui se veut distanciée!
Des recettes
On sent par trop les recettes et même la reprise d’éléments de spectacles anciens, ce qui fait que les uns et les autres rejouent des personnages semblables: la femme alcoolique, la frustrée sexuellement, le rustre… Lauwers dit qu’il écrit le texte à même la peau de ses interprètes, sa famille en quelque sorte — avec qui il passe plus de 200 jours par an en tournée, explique-t-il dans le programme. En fait, il faudrait plutôt dire qu’il leur taille le même costume. Eux, ravis, refont ce qu’ils aiment, ce mélange de théâtre, de performance, d’adresse directe, de moments dansés, de musique en direct, de ruptures… Mais cette fois, on reste vraiment à quai!
On trouve bien sûr de beaux moments. Je pense notamment à la séquence où Pauline, enfermée dans les catacombes, subit les sévices du plombier. La scène est vue sur un grand écran placé au bord du bassin. Derrière, la scène se joue en direct. On en voit les ombres projetées au fond du cloître, ce qui renforce l’accroche dramatique. Gros plan sur les visages effrayés ou effrayants, sur la culotte de Pauline qui doit se masturber… L’accouchement de Kim-Ho, qui donne naissance à un enfant gonflable de plusieurs mètres qui l’ensevelit. Lauwers manie souvent bien le off centre, comme il le nomme: «différents centres, différentes sources d’énergie sur le plateau». Des dispositifs s’improvisent avec des petits praticables qu’on apporte ou en accumulant tout ce qui a déjà été utilisé et qui devient la cabane des gens en orange.
Danse, chant et musique
Le plateau est organisé en plusieurs espaces de jeux et encadré de portants avec les costumes. Les interprètes circulent en tous sens, courent, dansent, coupent du bois. Les morts sont encore parmi les vivants et tous chantent ensemble une étrange mélodie du bonheur. Il y a évidemment de belles séquences dansées, des moments de chants et de musique drôles, touchants ou maniant assez bien le mauvais esprit, mais, malgré les interventions de Lauwers, tout à la fois musicien et narrateur, il n’y a plus cette intelligence du texte, cette joie du faire ensemble qui marquait si fort Le bazar du homard ou La chambre d’Isabella.
De nouveaux interprètes ont rejoint l’équipe, dont le Québécois Emmanuel Schwartz — qui fait en gros le narrateur comme chez Mouawad, tout en jouant de la musique en plus —, sans y apporter réellement un sang neuf. La manière devient systématisme. Ça devient lisse alors que ça se veut incisif. La mise à distance amusée ne tient pas, un coup de gueule qui fait flop en quelque sorte!
Place du marché 76. Texte et mise en scène: Jan Lauwers. Une production Needcompany présentée au Cloître des Carmes, à l’occasion du Festival d’Avigon, du 8 au 17 juillet. Tournée: le 6 août à la Biennale de Venise, les 10 et 11 septembre à la Bâtie (Genève), le 18 novembre à Munich, et les 21 et 22 novembre sur la Scène nationale de Sète.