Critiques

L’assassinat du président : Effet de souffle

Question identitaire impossible à clarifier, alliances politiques troubles, corruption et collusion endémiques, statu quo qui sclérose tout, anti-intellectualisme crasse et mainmise de la culture populaire : le Québec pourra-t-il un jour s’extraire du marasme et s’émanciper ? Peut-on rêver d’un avenir meilleur en, disons, 2022 ? Pas si l’on en croit la lecture en apparence déjantée, en réalité parfaitement articulée, proposée par Olivier Morin et Guillaume Tremblay dans L’Assassinat du président, présenté lors du Zoofest 2012, malgré (ou peut-être porté par) le parfum de souffre entourant la première, reprise ces jours-ci au Théâtre d’Aujourd’hui. (Cette première mouture avait remporté le prix Coup de cœur des médias.)

En 2022, bien peu de choses ont changé, hormis peut-être que le très subtil Stéphane Gendron est premier ministre du Canada (et dispose toujours de sa délirante tribune radio) et que Jean Charest, devenue une femme, a fui le pays. Le théâtre n’existe plus – à l’exception d’un canon de sept comédies musicales, toutes montées par Serge Postigo –, les Académiciens continuent de sévir, les indépendantistes de se déchirer et l’option du « peut-être » de rafler les suffrages au référendum, année après année.

À des milliers de kilomètres de là, Gilles Duceppe mène une retraite dorée, quand une entrevue avec Anne-Marie Dussault le convainc de revenir chez lui et de donner une ultime chance à son Québec. Avec son fidèle chien Cacahouète, il débarque chez Serge Postigo qui habite dans un manoir dans les Laurentides et vit entouré de figurants, travaille sa diction avec acharnement (cela donne droit à quelques scènes particulièrement savoureuses), rencontre Biz qui ne s’exprime qu’en slam (bien vu), retrouve Pauline Marois qui n’a toujours pas dit son dernier mot, même si elle se dissimule maintenant pour le faire, le prévenant qu’un danger le guette. Après une première tentative d’assassinat à la souffleuse avortée, Duceppe mène le Québec à l’indépendance, mais sa victoire sera de courte durée.

Les engrenages de cette satire politique se révèlent parfaitement calibrés et on ne peut que saluer la maîtrise avec laquelle les auteurs ont su allier références historiques, clins d’œil à la culture populaire et humour subversif. Le tout est livré de manière éblouissante à la façon d’un radio-roman par les deux complices, Catherine Le Gresley, Mathieu Quesnel et Navet Confit qui propose un enrobage musical très deuxième degré. À l’heure où tous les politiciens semblent avoir quelque chose à cacher, ici, le spectateur peut s’interroger dès le début sur les utilisations que l’on fera des accessoires vintages, devient partie prenante des changements de scène et ne peut que saluer les bruitages, morceaux de pure virtuosité.

On rit beaucoup, même si souvent jaune, et on se dit que nombre d’auteurs de revues de fin d’année qui tombent à plat devraient impérativement se glisser en salle pendant qu’il en est encore temps. On aurait pu se passer du trop long épilogue traité façon Planète des singes, les chiens souhaitant prendre le pouvoir, mais le message final (un Québec multiple pour tous) reste louable et on se serait alors privé du numéro de stand-up de Mike Warf, mais surtout de cette vision d’un Roy Dupuis transformé en demi-dieu, jaillissant des flots en « Speedo ». Jouissif !

L’assassinat du président

Texte : Olivier Morin et Guillaume Tremblay. Mise en scène : Olivier Morin. Une production du Théâtre du Futur. À la Salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 21 septembre 2013 et Aux Écuries du 28 mars au 8 avril 2017.

Lucie Renaud

À propos de

Décédée en 2016, elle était professeure, journaliste et rédactrice spécialisée en musique classique, en théâtre et en nouvelle littérature québécoise.