Critiques

Henri Michaux : Mouvements et Gymnopédies : Question de formes

© Sylvie-Ann Paré

« Au vacarme/au rugissement,/si l’on donnait un corps… » : ce vœu d’Henri Michaux, Marie Chouinard l’a exaucé à sa façon. Dans un programme double présenté au Théâtre Maisonneuve, la chorégraphe traverse le recueil Mouvements d’Henri Michaux et les célèbres Gymnopédies d’Erik Satie. Elle parcourt ces deux œuvres de façon bien différente.

Dans Henri Michaux : Mouvements, douze danseurs interprètent au pied de la lettre le recueil composé par ce poète peintre en 1951. Le fond de scène représente le livre, où défilent les 64 pages de dessins à l’encre de Chine. Sur une musique violemment rythmée, les danseurs tout de noir vêtus reproduisent ces formes jaillies de l’encre, leur rendant les mouvements qui les ont fait surgir. Cette illustration littérale dansée donne une multitude d’interprétations, de rythmes, grâce à des variations très maîtrisées. Le poème et la postface du recueil sont aussi présentés. Des formes blanches sont projetées sur un fond noir pendant la postface. Elles offrent visuellement le négatif des dessins à l’encre. Les corps des danseurs déchargent tous les mouvements sous une lumière stroboscopique. C’est saisissant.

La seconde partie est moins convaincante. Les Gymnopédies sont interprétées au piano par certains danseurs et entrecoupées d’un fragment de Tristan et Iseult de Wagner. L’œuvre de Satie sert en fait de prétexte à l’exploration du duo sensuel, voire érotique. Du rythme, de belles images, des contrastes, comme par exemple les interprètes portant un nez rouge, mais une impression de moindre précision reste par rapport à la première partie.

C’est ensuite que le bât blesse. Le salut et les applaudissements nourris qu’il suscite laissent place à une troisième partie. Certains éléments développés dans Gymnopédies sont repris dans des sortes de numéros de façon déformée, exagérée, alors que la salle est baignée de lumière. Les danseuses fument et boivent du champagne dans leurs légers costumes, les Gymnopédies sont diffusées sur un lecteur CD portatif, danseurs et danseuses batifolent, jusque sur les genoux d’un spectateur.

À l’érotisme des corps dansants se substituent des éclats de rire niais tendant à devenir des couinements. Une façon de tourner en dérision la pièce proposée en amont? À force de nez rouges, de gémissements de rut, de clichés, on finit sur une note désagréable. L’impression de se faire rançonner ses applaudissements par du grotesque déjà vu, alors qu’ils étaient mérités pour une expérience inouïe. D’une grande recherche formelle à un vice de forme… dommage.

Henri Michaux : Mouvements

Direction artistique, chorégraphie éclairages et scénographie: Marie Chouinard. Musique: Louis Dufort. Son: Edward Freedman. Costumes: Marie Chouinard et Marilène Bastien. Coiffures: Marie Chouinard. Avec Paige Culley, Valeria Galluccio, Leon Kupferschmid, Lucy M. May, Lucie Mongrain, Mariusz Ostrowski, Sacha Ouellette-Deguire, Carol Prieur, Gérard Reyes, Dorotea Saykaly, James Viveiros et Megan Walbaum. Une production de la Compagnie Marie Chouinard. Présenté par Danse Danse, au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, jusqu’au 2 novembre 2013. En tournée durant la saison 2018-2019.

Gymnopédies

Direction artistique, chorégraphie et mise en scène: Marie Chouinard. Musique: Erik Satie. Consultant musical: Louis Dufort. Éclairages: Alain Lortie. Scénographie: Guillaume Lord et Marie Chouinard. Costumes: Liz Vandal et Marie Chouinard. Avec Paige Culley, Valeria Galluccio, Leon Kupferschmid, Lucy M. May, Lucie Mongrain, Mariusz Ostrowski, Sacha Ouellette-Deguire, Carol Prieur, Gérard Reyes, Dorotea Saykaly, James Viveiros et Megan Walbaum. Une production de la Compagnie Marie Chouinard. Présenté par Danse Danse, au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, jusqu’au 2 novembre 2013.

Cyrielle Dodet

À propos de

Enseignante à l’Institut d’Études théâtrales et au Département de médiation culturelle de Sorbonne Nouvelle – Paris 3, ses recherches portent sur les relations intermédiales entre littérature et scène.