Critiques

La Bête : Bête de scène

Jean-Guy Legault aime sans doute les défis démesurés. Fasciné par le propos de La Bête, une pièce primée écrite en 1991 par David Hirson, récipiendaire notamment d’un Prix Laurence Olivier, s’articulant autour d’un duel de mots et d’idéaux entre Élomire (Molière) et Valère, un baladin, il a passé plus de 500 heures à la traduire en alexandrins avant de réfléchir à une mise en scène efficace, ludique, sans temps morts, qui maximise l’espace scénique de la petite salle Fred-Barry. Pari tenu haut la main car, malgré quelques longueurs (le texte original de deux heures et demi, entracte inclus, aurait sans doute pu être ramassé ici et là), il faut bien admettre que l’expérience a quelque chose par moments de proprement jouissif.

Vincent Côté se révèle phénoménal en Valère et livre son texte avec une prestance étonnante, qu’il monologue pendant une trentaine de pages, cite à tort et à travers Cicéron, présente au public certaines de ses délirantes paraboles, tente de provoquer l’ire d’Élomire, déforme le sens des mots pour assener une rime plus efficace, plaide sa cause auprès du Prince de Conti, cabotine allègrement ou joue la carte de la vulgarité la plus crasse, suscitant un franc fou rire chez les jeunes spectateurs présents. Un autre s’y serait sans doute cassé les dents, aurait franchi allégrement la frontière entre le juste assez et le trop, mais pas Côté, confondant de naturel peu importe les circonstances – lui qui sort pourtant tout juste d’une reprise d’Oleanna de Mamet au Prospero.

Jean-Marc Dalphond hérite du difficile rôle d’Élomire, forcément un peu rabat-joie, puriste qui a tout de suite perçu le vide aux profondeurs abyssales de son rival, qui croit – à tort, il l’apprendra à ses dépens – que la pureté d’un texte finira toujours par triompher. «Rien ne m’incitera, hormis un décret de Dieu / À partager la scène avec ce babouin prétentieux!» Jean-Guy Legault campe un Prince de Conti juste assez fat pour susciter un certain mépris, mais toujours parfaitement maître du jeu, ponctuant la joute de répliques assassines et de coups de son bâton de direction à la Lully. En instiguant cet affrontement entre deux univers, deux paroles, il espère redonner à Élomire un peu de son panache perdu, mais reste prêt à jouer quitte ou double.

Les comédiens de la troupe d’Élomire s’inscrivent aussi bien en témoins que participants du duel final entre les deux dramaturges. Si Blaise Tardif offre une lecture convaincante de Béjart (clin d’œil à Madeleine et Armande), acolyte et faire-valoir d’Élomire, on regrettera un peu que le personnage de Dorine, caricatural à souhait (contrairement à celui de la servante portant le même nom du Tartuffe) ait échu à Olivia Palacci, qui avait tiré son épingle du jeu plus qu’honorablement dans Oleanna et démontré une époustouflante présence scénique lors de la lecture d’À petites pierres de Gustave Akakpo dans le cadre de la dernière édition de Dramaturgies en dialogue.

La Bête. Texte de David Hirson. Mise en scène de Jean-Guy Legault. Une production du Nouveau Théâtre Urbain. Au Théâtre Denise-Pelletier, salle Fred-Barry, jusqu’au 16 novembre 2013.

 

Lucie Renaud

À propos de

Décédée en 2016, elle était professeure, journaliste et rédactrice spécialisée en musique classique, en théâtre et en nouvelle littérature québécoise.