Si on s’ennuie beaucoup chez Tchekhov, on ne s’ennuie certainement pas avec Tchekhov ces jours-ci à l’Usine C. Angela Konrad réussit avec ces Variations pour une déchéance annoncée à nous faire renouer avec les personnages de La Cerisaie, la si célèbre et maintes fois reprise pièce de Tchekhov, personnages tout plein de contradictions, désorientés ou cyniques, tristes et désinvoltes, rêveurs ou lucides. Et si proches. Exit le décor russe, l’armoire à souvenir, les ombres suggérant les cerisiers condamnés. Ce spectacle ne traite pas du XIXe siècle agonisant, de la disparition d’une société aristocratique au profit d’une bourgeoisie montante. Bien que nous reconnaissions la trame de la pièce de Tchekhov, et que les principales scènes soient presque entièrement jouées, nous nous attachons plus aux souffrances intimes des personnages qu’au contexte qui les a provoquées.
Lioubov est à la veille de perdre sa cerisaie, soit son enfance, sa vie, le fantôme de son fils, mort dans la rivière tout proche, sa richesse. Sa vie chavire et elle le sait. Ses filles Varia, et Ania, lucides chacune à leur manière, rêvent d’une autre vie, mais se heurtent à des obstacles (littéralement, ici !). Lopakhine, le fils de moujik, achètera la cerisaie, le lieu «le plus beau au monde», mais ne pourra que la détruire. Ainsi de suite. Voilà Tchekhov dans toute sa brutalité: les êtres ont autant de difficulté à vivre qu’à mourir.
Dans l’aire de jeu vide, arrive en trombe une Lioubov en manteau de fourrure. Ce manteau, des talons aiguilles et quelques verres de champagne suffisent pour dessiner le personnage. Décadence touchante. Cette économie des moyens, qui s’applique à tout le spectacle, est d’une grande efficacité. Costumes contemporains, musique tout aussi actuelle, adresses directes au public, tout contribue à garder le spectateur au plus près des personnages. S’ajoute à cela le parti pris du théâtre dans le théâtre qui n’est pas sans souligner le caractère éphémère et surtout artificiel de nos vies. Des «décrochages», ruptures de ton ou de niveau de langue créent des moments franchement drôles. Et c’est tout aussi rapidement que l’on replonge dans les inquiétudes et tourments de chacun. Ou dans le tourbillon du divertissement qui devrait tout faire oublier. Ce mélange de sérieux, pour ne pas dire de tragique, et de drôle témoigne d’une grande connaissance de l’univers de l’auteur russe.
Que ce soit la fin d’un monde, la fin d’un rêve, d’un amour ou la fin d’une vie, celui qui vit une telle situation ou sombre dans la nostalgie ou l’accepte… et s’adapte s’il le peut. Mais il peut aussi stagner. Dans Variations pour une déchéance annoncée, tous les cas de figure se retrouvent.
Voilà un spectacle intelligent, très bien interprété (extraordinaire Dominique Quesnel) et fort bien mené par une metteure en scène d’origine allemande, qui vient tout juste, en 2011, de fonder à Montréal la compagnie La Fabrik. On attendra avec impatience le prochain spectacle d’Angela Konrad, car déjà avec ces Variations pour une déchéance annoncée, elle a vraiment réussi sa «lecture du monde actuel et de ses contradictions» à partir d’un texte fondamental de la dramaturgie moderne.
Variations pour une déchéance annoncée. Adaptation et mise en scène d’Angela Konrad. Une production de La Fabrik. À L’Usine C du 6 au 10 novembre.
Si on s’ennuie beaucoup chez Tchekhov, on ne s’ennuie certainement pas avec Tchekhov ces jours-ci à l’Usine C. Angela Konrad réussit avec ces Variations pour une déchéance annoncée à nous faire renouer avec les personnages de La Cerisaie, la si célèbre et maintes fois reprise pièce de Tchekhov, personnages tout plein de contradictions, désorientés ou cyniques, tristes et désinvoltes, rêveurs ou lucides. Et si proches. Exit le décor russe, l’armoire à souvenir, les ombres suggérant les cerisiers condamnés. Ce spectacle ne traite pas du XIXe siècle agonisant, de la disparition d’une société aristocratique au profit d’une bourgeoisie montante. Bien que nous reconnaissions la trame de la pièce de Tchekhov, et que les principales scènes soient presque entièrement jouées, nous nous attachons plus aux souffrances intimes des personnages qu’au contexte qui les a provoquées.
Lioubov est à la veille de perdre sa cerisaie, soit son enfance, sa vie, le fantôme de son fils, mort dans la rivière tout proche, sa richesse. Sa vie chavire et elle le sait. Ses filles Varia, et Ania, lucides chacune à leur manière, rêvent d’une autre vie, mais se heurtent à des obstacles (littéralement, ici !). Lopakhine, le fils de moujik, achètera la cerisaie, le lieu «le plus beau au monde», mais ne pourra que la détruire. Ainsi de suite. Voilà Tchekhov dans toute sa brutalité: les êtres ont autant de difficulté à vivre qu’à mourir.
Dans l’aire de jeu vide, arrive en trombe une Lioubov en manteau de fourrure. Ce manteau, des talons aiguilles et quelques verres de champagne suffisent pour dessiner le personnage. Décadence touchante. Cette économie des moyens, qui s’applique à tout le spectacle, est d’une grande efficacité. Costumes contemporains, musique tout aussi actuelle, adresses directes au public, tout contribue à garder le spectateur au plus près des personnages. S’ajoute à cela le parti pris du théâtre dans le théâtre qui n’est pas sans souligner le caractère éphémère et surtout artificiel de nos vies. Des «décrochages», ruptures de ton ou de niveau de langue créent des moments franchement drôles. Et c’est tout aussi rapidement que l’on replonge dans les inquiétudes et tourments de chacun. Ou dans le tourbillon du divertissement qui devrait tout faire oublier. Ce mélange de sérieux, pour ne pas dire de tragique, et de drôle témoigne d’une grande connaissance de l’univers de l’auteur russe.
Que ce soit la fin d’un monde, la fin d’un rêve, d’un amour ou la fin d’une vie, celui qui vit une telle situation ou sombre dans la nostalgie ou l’accepte… et s’adapte s’il le peut. Mais il peut aussi stagner. Dans Variations pour une déchéance annoncée, tous les cas de figure se retrouvent.
Voilà un spectacle intelligent, très bien interprété (extraordinaire Dominique Quesnel) et fort bien mené par une metteure en scène d’origine allemande, qui vient tout juste, en 2011, de fonder à Montréal la compagnie La Fabrik. On attendra avec impatience le prochain spectacle d’Angela Konrad, car déjà avec ces Variations pour une déchéance annoncée, elle a vraiment réussi sa «lecture du monde actuel et de ses contradictions» à partir d’un texte fondamental de la dramaturgie moderne.
Variations pour une déchéance annoncée. Adaptation et mise en scène d’Angela Konrad. Une production de La Fabrik. À L’Usine C du 6 au 10 novembre.