De retour du Japon où elle a retrouvé sa famille artistique du butô, Jocelyne Montpetit donne à voir sa danse introspective dans Unknown Body au Théâtre de Quat’Sous, qui accueille également une exposition du photographe Guy Borremans autour du parcours de la chorégraphe.
C’est la timidité de Jocelyne Montpetit dans l’enfance qui l’a menée vers la danse: «M’exprimer à travers le corps était une nécessité», raconte la chorégraphe. Après avoir sondé les diverses facettes de son corps par le prisme de la danse classique, du mime, du théâtre et de l’acrobatie, elle a découvert le butô en 1981, lors de sa rencontre avec le danseur japonais Min Tanaka: «Sa danse, dont peu m’importait le nom, touchait à l’inconnu, au mystère. Les questions existentielles que je me posais depuis toujours m’ont alors poussée à partir au Japon.» Elle y a passé quatre années décisives comme apprentie auprès des cofondateurs du butô, Kazuo Ohno et Tatsumi Hijikata, dansant au sein de la troupe de Min Tanaka.
L’espace du corps
De retour au Québec en 1988, Jocelyne Montpetit a créé depuis plus de 25 pièces chorégraphiques ancrées dans le butô, tout en retournant régulièrement au pays du Soleil-Levant: «Je n’ai pas vraiment trouvé les réponses à mes questions, mais je me suis trouvée à moi. Je suis née deux fois, une fois ici et une fois là-bas».
L’expérience japonaise de Jocelyne Montpetit lui a apporté le goût de la liberté et de la transgression, bouleversant également son rapport au sol et à l’espace, «aux interstices entre un corps et un mur, entre deux corps». «J’ai acquis la notion d’un espace qui traverse le corps, ce véhicule vide qui peut recevoir des impressions et des images», souligne-t-elle. Ses séjours lui ont également inculqué «le sens du rituel qu’on vit au quotidien, enlever ses chaussures, laver le plancher avant de commencer à travailler, le silence, l’observation».
Ne parlant pas encore japonais, la chorégraphe a en effet fait son apprentissage du butô «en regardant, en ressentant, en me trompant». Elle qui venait d’une culture artistique où l’interprète trouve confirmation de son travail dans le regard de son maître, a dû apprendre à apprendre sans corrections, comme il est d’usage dans le monde du butô.
Ces deux dernières années, la chorégraphe est retournée à Tokyo à deux reprises, pour une résidence de six mois au studio du Québec en 2012 et pour The Week of Foreign Female Dancers en décembre 2013. Sous la férule des Archives Hijikata du Centre d’art de l’Université de Keiō, cet événement réunissait quatre chorégraphes occidentales dont l’œuvre est imprégnée par un long apprentissage auprès des maîtres du butô et Natsu Nakajima, danseuse japonaise septuagénaire de la première génération.
Véritable consécration de son œuvre, ces voyages ont été l’occasion pour Jocelyne Montpetit de renouer de manière plus profonde avec le milieu du butô, de présenter trois solos et de participer à de nombreuses conférences: «Les danseurs sont toujours entourés de chercheurs et de philosophes qui se penchent sur le corps et le butô, précise-t-elle. C’est très stimulant».
En particulier, elle a interprété La danseuse malade, sa pièce inspirée par le livre éponyme de Tatsumi Hijikata, à l’Université de Rikkyō en juin 2012 et dans le cadre du Festival de Kazuo Ohno en septembre 2012, pendant lequel trois chorégraphes japonais présentaient également leurs propres interprétations de l’ouvrage d’Hijikata: «Danser cette pièce au Japon impliquait une pression immense. Toute la communauté de danseurs et de spécialistes de butô était présente et la pièce a suscité des réactions passionnées et de nombreux questionnements.»
Le corps vulnérable
La dernière création solo de Jocelyne Montpetit, Unknown Body, a émergé des ruines de l’Aquila en Italie, ravagée par un tremblement de terre. Le photographe Paolo Porto avait proposé à la chorégraphe de danser parmi les décombres à travers la ville vidée de ses habitants et occupée par l’armée: «Les murs menaçaient de nous ensevelir à tout moment, raconte Montpetit, c’était un lieu dangereux où il y a eu des morts. On ne pouvait se déplacer qu’escortés. J’ai dansé sous le regard de quelques personnes seulement, je ressentais une grande fragilité au niveau du corps.» Cette expérience particulière, marquée par la mémoire des absents, Jocelyne Montpetit a souhaité la faire résonner sur scène dans Unknown Body.
Pour créer Unknown Body, la chorégraphe a également fait appel à sa recherche sur le corps aveugle, réalisée alors qu’elle faisait la mise en scène des Aveugles de Maeterlinck avec les finissants de l’École nationale de théâtre en 2013. Puisant comme toujours dans divers champs artistiques, elle s’est entre autres inspirée du travail des artistes visuels Pierre Soulages et Anselm Kiefer. En particulier, Unknown body est nourri par les ouvrages L’origine de la danse de Pascal Quignard et La passion selon G.H. de Clarice Lispector, où une femme se transforme en scarabée.
Ainsi, l’idée de métamorphose et de mise à naissance d’un corps inconnu est au cœur d’Unknown Body, une pièce plus intemporelle que les créations précédentes de Jocelyne Montpetit: «Le corps inconnu est un sujet éternel, à la fois universel et personnel, insiste la chorégraphe. En travaillant sur cette pièce, je me suis rendue compte qu’à mon départ au Japon il y a plus de trente ans, j’étais déjà à la recherche du corps inconnu.»
À partir de ses interrogations et du patrimoine transmis par ses maîtres, Jocelyne Montpetit a créé un langage chorégraphique ancré dans la féminité: «Être une femme m’a protégée de l’imitation. Je sonde un corps et des questionnements de femme. Je me suis aussi inspirée d’héroïnes dans la littérature. Progressivement, mon travail a pris une dimension plus féminine.»
Dans sa prochaine pièce, Jocelyne Montpetit prendra appui sur l’univers d’une autre artiste fascinée par le corps et la mémoire, la plasticienne Louise Bourgeois. La quête du corps inconnu se poursuit.
Unknown Body. Chorégraphie de Jocelyne Montpetit. Au Théâtre de Quat’Sous du 22 au 31 janvier 2014.
De retour du Japon où elle a retrouvé sa famille artistique du butô, Jocelyne Montpetit donne à voir sa danse introspective dans Unknown Body au Théâtre de Quat’Sous, qui accueille également une exposition du photographe Guy Borremans autour du parcours de la chorégraphe.
C’est la timidité de Jocelyne Montpetit dans l’enfance qui l’a menée vers la danse: «M’exprimer à travers le corps était une nécessité», raconte la chorégraphe. Après avoir sondé les diverses facettes de son corps par le prisme de la danse classique, du mime, du théâtre et de l’acrobatie, elle a découvert le butô en 1981, lors de sa rencontre avec le danseur japonais Min Tanaka: «Sa danse, dont peu m’importait le nom, touchait à l’inconnu, au mystère. Les questions existentielles que je me posais depuis toujours m’ont alors poussée à partir au Japon.» Elle y a passé quatre années décisives comme apprentie auprès des cofondateurs du butô, Kazuo Ohno et Tatsumi Hijikata, dansant au sein de la troupe de Min Tanaka.
L’espace du corps
De retour au Québec en 1988, Jocelyne Montpetit a créé depuis plus de 25 pièces chorégraphiques ancrées dans le butô, tout en retournant régulièrement au pays du Soleil-Levant: «Je n’ai pas vraiment trouvé les réponses à mes questions, mais je me suis trouvée à moi. Je suis née deux fois, une fois ici et une fois là-bas».
L’expérience japonaise de Jocelyne Montpetit lui a apporté le goût de la liberté et de la transgression, bouleversant également son rapport au sol et à l’espace, «aux interstices entre un corps et un mur, entre deux corps». «J’ai acquis la notion d’un espace qui traverse le corps, ce véhicule vide qui peut recevoir des impressions et des images», souligne-t-elle. Ses séjours lui ont également inculqué «le sens du rituel qu’on vit au quotidien, enlever ses chaussures, laver le plancher avant de commencer à travailler, le silence, l’observation».
Ne parlant pas encore japonais, la chorégraphe a en effet fait son apprentissage du butô «en regardant, en ressentant, en me trompant». Elle qui venait d’une culture artistique où l’interprète trouve confirmation de son travail dans le regard de son maître, a dû apprendre à apprendre sans corrections, comme il est d’usage dans le monde du butô.
Ces deux dernières années, la chorégraphe est retournée à Tokyo à deux reprises, pour une résidence de six mois au studio du Québec en 2012 et pour The Week of Foreign Female Dancers en décembre 2013. Sous la férule des Archives Hijikata du Centre d’art de l’Université de Keiō, cet événement réunissait quatre chorégraphes occidentales dont l’œuvre est imprégnée par un long apprentissage auprès des maîtres du butô et Natsu Nakajima, danseuse japonaise septuagénaire de la première génération.
Véritable consécration de son œuvre, ces voyages ont été l’occasion pour Jocelyne Montpetit de renouer de manière plus profonde avec le milieu du butô, de présenter trois solos et de participer à de nombreuses conférences: «Les danseurs sont toujours entourés de chercheurs et de philosophes qui se penchent sur le corps et le butô, précise-t-elle. C’est très stimulant».
En particulier, elle a interprété La danseuse malade, sa pièce inspirée par le livre éponyme de Tatsumi Hijikata, à l’Université de Rikkyō en juin 2012 et dans le cadre du Festival de Kazuo Ohno en septembre 2012, pendant lequel trois chorégraphes japonais présentaient également leurs propres interprétations de l’ouvrage d’Hijikata: «Danser cette pièce au Japon impliquait une pression immense. Toute la communauté de danseurs et de spécialistes de butô était présente et la pièce a suscité des réactions passionnées et de nombreux questionnements.»
Le corps vulnérable
La dernière création solo de Jocelyne Montpetit, Unknown Body, a émergé des ruines de l’Aquila en Italie, ravagée par un tremblement de terre. Le photographe Paolo Porto avait proposé à la chorégraphe de danser parmi les décombres à travers la ville vidée de ses habitants et occupée par l’armée: «Les murs menaçaient de nous ensevelir à tout moment, raconte Montpetit, c’était un lieu dangereux où il y a eu des morts. On ne pouvait se déplacer qu’escortés. J’ai dansé sous le regard de quelques personnes seulement, je ressentais une grande fragilité au niveau du corps.» Cette expérience particulière, marquée par la mémoire des absents, Jocelyne Montpetit a souhaité la faire résonner sur scène dans Unknown Body.
Pour créer Unknown Body, la chorégraphe a également fait appel à sa recherche sur le corps aveugle, réalisée alors qu’elle faisait la mise en scène des Aveugles de Maeterlinck avec les finissants de l’École nationale de théâtre en 2013. Puisant comme toujours dans divers champs artistiques, elle s’est entre autres inspirée du travail des artistes visuels Pierre Soulages et Anselm Kiefer. En particulier, Unknown body est nourri par les ouvrages L’origine de la danse de Pascal Quignard et La passion selon G.H. de Clarice Lispector, où une femme se transforme en scarabée.
Ainsi, l’idée de métamorphose et de mise à naissance d’un corps inconnu est au cœur d’Unknown Body, une pièce plus intemporelle que les créations précédentes de Jocelyne Montpetit: «Le corps inconnu est un sujet éternel, à la fois universel et personnel, insiste la chorégraphe. En travaillant sur cette pièce, je me suis rendue compte qu’à mon départ au Japon il y a plus de trente ans, j’étais déjà à la recherche du corps inconnu.»
À partir de ses interrogations et du patrimoine transmis par ses maîtres, Jocelyne Montpetit a créé un langage chorégraphique ancré dans la féminité: «Être une femme m’a protégée de l’imitation. Je sonde un corps et des questionnements de femme. Je me suis aussi inspirée d’héroïnes dans la littérature. Progressivement, mon travail a pris une dimension plus féminine.»
Dans sa prochaine pièce, Jocelyne Montpetit prendra appui sur l’univers d’une autre artiste fascinée par le corps et la mémoire, la plasticienne Louise Bourgeois. La quête du corps inconnu se poursuit.
Unknown Body. Chorégraphie de Jocelyne Montpetit. Au Théâtre de Quat’Sous du 22 au 31 janvier 2014.