Dans Albertine, en cinq temps, Michel Tremblay s’est penché sur un des personnages phare de son univers et a mis à nu de brillante façon son inaptitude au bonheur. Prisonnière tour à tour de ses responsabilités, des conventions sociales, de ses lacunes et des palliatifs dans lesquels elle se noie, Albertine se scinde en cinq et dialogue avec elle-même. Trente ans après la création de la pièce, la partition prend de nouvelles couleurs entre les mains de la metteure en scène Lorraine Pintal, qui a su composer une vision touchante, épurée et intelligente de cette tragédie du quotidien.
Il y a longtemps qu’une mise en scène ne m’était apparue si claire et si cohérente. Pendant toute la durée d’Albertine, en cinq temps, l’esprit n’a de cesse de trouver des correspondances entre les mots et le décor, les personnages et les objets, les caractères et les images. Et doucement, au milieu de ce plaisir purement analytique, on se trouve tout de même chamboulé par le grand souffle rageur et tendre du texte de Tremblay, qui atteint toujours sa cible.
L’une des forces de la direction d’acteurs est justement qu’elle nous permet de redécouvrir la puissance et la beauté du texte; l’humour mordant, les métaphores sautillantes, les élans tragiques, les manques, les incapacités, les non-dits, les éclats. Sur scène, le rythme est soutenu, généralement réglé au quart de tour, sauf à quelques moments où les silences s’étirent quelques secondes de trop entre des répliques qui sont pourtant chargées d’urgence.
Le tout est porté par une belle distribution qui s’articule autour de Monique Miller, qui apporte une profondeur poignante à Albertine à 70 ans. Lise Castonguay maîtrise tout à fait le cynisme et l’exaltation maladive de l’Albertine de 60 ans, alors qu’Émilie Bibeau incarne à la fois la fraîcheur pas encore tout à fait disparue et la rage naissante de celle de 30 ans. Éva Daigle parvient, sans lasser, à livrer le discours amer et lourd de celle de 40, et Marie Tifo incarne celle de 50 avec une énergie intéressante, tout en réussissant à jouer le petit côté faux du personnage. À cet âge, Albertine «joue» à être heureuse, et nécessairement, le personnage détonne. Ce n’est pas un problème, et les intonations sont généralement justes, sauf lorsque celle-ci raconte le décès de sa fille. Marie Tifo se fait alors tragédienne, et laisse sa voix glisser vers des chuchotements d’outre-tombe qui jurent avec le reste de la proposition et empêchent l’émotion de nous assaillir complètement. Lorraine Côté, quant à elle, est rayonnante d’humanité en Madeleine.
La structure scénographique imaginée par Michel Goulet est faite de deux tours, où sont nichées les incarnations les plus malheureuses du personnage (Albertine à 40 ans, prisonnière de ses responsabilités familiales, et Albertine à 60 ans, isolée et sonnée par les médicaments). Plus bas, les Albertine de 30 et 50 ans semblent plus près du bonheur, mais remontent à plusieurs reprises dans les escaliers. Les structures faites de barreaux blancs évoquent à la fois le perron de la maison de campagne où s’évade la plus jeune Albertine, les escaliers de la rue Fabre où le personnage a passé la plus grande partie de sa vie et la «cage» oppressante souvent évoquée dans les répliques. Au centre, l’aïeule sert de point d’ancrage à toutes ses visions d’elle-même, qu’elle accueille ou subit tour à tour.
Il y a une chaise pour chacune: une berceuse en bois blanc pour celle de 30 ans, une chaise de cuisine couverte de cuir jaune pour celle de 40, un tabouret de snack bar rouge pour celle de 50, une chaise à accoudoirs au dossier renversé pour celle de 60 et une chaise berçante rembourrée pour celle de 70. Tôt dans la représentation, l’aînée et la benjamine se bercent à l’unisson et le passé s’accorde au présent, mais lorsque les personnages s’opposent on a l’impression que toute la construction se gonfle sous l’effet des mots qui déferlent.
Pour la finale, les structures reculent, le passé s’efface, et ne reste devant que les cinq Albertine sur un même pied d’égalité, prêtes à se fondre dans une pleine lune rouge.
Albertine, en cinq temps. Texte de Michel Tremblay. Mise en scène de Lorraine Pintal. Une production du Trident et du TNM. Au Trident jusqu’au 8 février, au Théâtre du Nouveau Monde à Montréal du 11 mars au 5 avril et au Théâtre français du Centre national des arts d’Ottawa du 30 avril au 3 mai.
Dans Albertine, en cinq temps, Michel Tremblay s’est penché sur un des personnages phare de son univers et a mis à nu de brillante façon son inaptitude au bonheur. Prisonnière tour à tour de ses responsabilités, des conventions sociales, de ses lacunes et des palliatifs dans lesquels elle se noie, Albertine se scinde en cinq et dialogue avec elle-même. Trente ans après la création de la pièce, la partition prend de nouvelles couleurs entre les mains de la metteure en scène Lorraine Pintal, qui a su composer une vision touchante, épurée et intelligente de cette tragédie du quotidien.
Il y a longtemps qu’une mise en scène ne m’était apparue si claire et si cohérente. Pendant toute la durée d’Albertine, en cinq temps, l’esprit n’a de cesse de trouver des correspondances entre les mots et le décor, les personnages et les objets, les caractères et les images. Et doucement, au milieu de ce plaisir purement analytique, on se trouve tout de même chamboulé par le grand souffle rageur et tendre du texte de Tremblay, qui atteint toujours sa cible.
L’une des forces de la direction d’acteurs est justement qu’elle nous permet de redécouvrir la puissance et la beauté du texte; l’humour mordant, les métaphores sautillantes, les élans tragiques, les manques, les incapacités, les non-dits, les éclats. Sur scène, le rythme est soutenu, généralement réglé au quart de tour, sauf à quelques moments où les silences s’étirent quelques secondes de trop entre des répliques qui sont pourtant chargées d’urgence.
Le tout est porté par une belle distribution qui s’articule autour de Monique Miller, qui apporte une profondeur poignante à Albertine à 70 ans. Lise Castonguay maîtrise tout à fait le cynisme et l’exaltation maladive de l’Albertine de 60 ans, alors qu’Émilie Bibeau incarne à la fois la fraîcheur pas encore tout à fait disparue et la rage naissante de celle de 30 ans. Éva Daigle parvient, sans lasser, à livrer le discours amer et lourd de celle de 40, et Marie Tifo incarne celle de 50 avec une énergie intéressante, tout en réussissant à jouer le petit côté faux du personnage. À cet âge, Albertine «joue» à être heureuse, et nécessairement, le personnage détonne. Ce n’est pas un problème, et les intonations sont généralement justes, sauf lorsque celle-ci raconte le décès de sa fille. Marie Tifo se fait alors tragédienne, et laisse sa voix glisser vers des chuchotements d’outre-tombe qui jurent avec le reste de la proposition et empêchent l’émotion de nous assaillir complètement. Lorraine Côté, quant à elle, est rayonnante d’humanité en Madeleine.
La structure scénographique imaginée par Michel Goulet est faite de deux tours, où sont nichées les incarnations les plus malheureuses du personnage (Albertine à 40 ans, prisonnière de ses responsabilités familiales, et Albertine à 60 ans, isolée et sonnée par les médicaments). Plus bas, les Albertine de 30 et 50 ans semblent plus près du bonheur, mais remontent à plusieurs reprises dans les escaliers. Les structures faites de barreaux blancs évoquent à la fois le perron de la maison de campagne où s’évade la plus jeune Albertine, les escaliers de la rue Fabre où le personnage a passé la plus grande partie de sa vie et la «cage» oppressante souvent évoquée dans les répliques. Au centre, l’aïeule sert de point d’ancrage à toutes ses visions d’elle-même, qu’elle accueille ou subit tour à tour.
Il y a une chaise pour chacune: une berceuse en bois blanc pour celle de 30 ans, une chaise de cuisine couverte de cuir jaune pour celle de 40, un tabouret de snack bar rouge pour celle de 50, une chaise à accoudoirs au dossier renversé pour celle de 60 et une chaise berçante rembourrée pour celle de 70. Tôt dans la représentation, l’aînée et la benjamine se bercent à l’unisson et le passé s’accorde au présent, mais lorsque les personnages s’opposent on a l’impression que toute la construction se gonfle sous l’effet des mots qui déferlent.
Pour la finale, les structures reculent, le passé s’efface, et ne reste devant que les cinq Albertine sur un même pied d’égalité, prêtes à se fondre dans une pleine lune rouge.
Albertine, en cinq temps. Texte de Michel Tremblay. Mise en scène de Lorraine Pintal. Une production du Trident et du TNM. Au Trident jusqu’au 8 février, au Théâtre du Nouveau Monde à Montréal du 11 mars au 5 avril et au Théâtre français du Centre national des arts d’Ottawa du 30 avril au 3 mai.