Au fil des ans et des lectures plus ou moins paresseuses, on a souvent résumé le mythe d’Icare à celui de sa chute. On oublie que, au fond, cette histoire en est une d’émancipation, que le jeune homme tente de fuir l’île de Cnossos ou le joug de son père Dédale (qui a notamment conçu le labyrinthe du Minotaure). Michel Lemieux et Victor Pilon l’ont bien compris et ont visé juste en confiant la transposition à Olivier Kemeid, qui signe ici un texte à l’arc narratif adroitement tendu, série de tableaux qui peuvent se lire comme autant de salles de labyrinthe ou de lieux de cette ville du futur imaginée par Dédale et son dauphin (personnage virtuel interprété avec conviction par Maxime Denommée).
On aurait pu s’y perdre, entre passé et futur, Grèce antique et conquête de l’espace, mondes réel et virtuel, mais la mezzo-soprano Noëlla Huet en coryphée trouve un rôle à la hauteur de son talent et devient le fil d’Ariane qui nous porte d’une scène à l’autre, d’une ambiance à l’autre, grâce à la très belle partition de Maxim Lepage. Elle devient aussi bien représentation de la mère perdue (Pascale Buissières, autre personnage virtuel), victime de la folie qui la dévore, que rappel que la musique trône au sommet de la pyramide de la connaissance. (On regrettera cependant que les surtitres, quand elle chante en grec ancien, soient presque impossibles à déchiffrer pour quiconque est assis dans les dix dernières rangées du parterre.)
L’imagerie en 3D, particulièrement éblouissante, fait corps avec le mythe, mais dilue parfois le texte de Kemeid, l’œil se trouvant trop stimulé pour que l’oreille décrypte adéquatement toute la poésie du propos. Renaud Lacelle-Bourdon devient parfois lui-même personnage virtuel quand il se trouve au centre des faisceaux lumineux, mais quand il s’incarne réellement, il transmet avec grande justesse les sentiments d’amour et de lassitude excédée qu’il ressent pour son père, tantôt arrogant, tantôt d’une émouvante fragilité. Robert Lalonde surjoue malheureusement le personnage de Dédale, devenant par moments une caricature de lui-même. Est-ce parce que sa voix est amplifiée? A-t-on affaire à quelques problèmes de spatialisation? Il connaît pourtant l’univers de Kemeid pour avoir porté le personnage du père de Moi, dans les ruines rouges du siècle, avec nuance. Il a su également l’été dernier dans le cadre de Dramaturgies en dialogue offrir un portrait saisissant d’un artiste mégalomane dans L’atelier aux méduses de Marc-Antoine Cyr. On doit attendre les derniers instants déchirants du spectacle pour enfin avoir l’impression de toucher à l’essence même du personnage.
Malgré tout, on sent que, comme les productions précédentes du duo Lemieux-Pilon présentées au TNM – une Tempête éblouissante et une Belle et la bête ensorcelante –, l’imagerie et la poésie d’Icare continueront de nous hanter.
Icare. Texte d’Olivier Kemeid. Mise en scène de Michel Lemieux et Victor Pilon. Une production Lemieux Pilon 4D Art. Au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 8 février 2014.
Au fil des ans et des lectures plus ou moins paresseuses, on a souvent résumé le mythe d’Icare à celui de sa chute. On oublie que, au fond, cette histoire en est une d’émancipation, que le jeune homme tente de fuir l’île de Cnossos ou le joug de son père Dédale (qui a notamment conçu le labyrinthe du Minotaure). Michel Lemieux et Victor Pilon l’ont bien compris et ont visé juste en confiant la transposition à Olivier Kemeid, qui signe ici un texte à l’arc narratif adroitement tendu, série de tableaux qui peuvent se lire comme autant de salles de labyrinthe ou de lieux de cette ville du futur imaginée par Dédale et son dauphin (personnage virtuel interprété avec conviction par Maxime Denommée).
On aurait pu s’y perdre, entre passé et futur, Grèce antique et conquête de l’espace, mondes réel et virtuel, mais la mezzo-soprano Noëlla Huet en coryphée trouve un rôle à la hauteur de son talent et devient le fil d’Ariane qui nous porte d’une scène à l’autre, d’une ambiance à l’autre, grâce à la très belle partition de Maxim Lepage. Elle devient aussi bien représentation de la mère perdue (Pascale Buissières, autre personnage virtuel), victime de la folie qui la dévore, que rappel que la musique trône au sommet de la pyramide de la connaissance. (On regrettera cependant que les surtitres, quand elle chante en grec ancien, soient presque impossibles à déchiffrer pour quiconque est assis dans les dix dernières rangées du parterre.)
L’imagerie en 3D, particulièrement éblouissante, fait corps avec le mythe, mais dilue parfois le texte de Kemeid, l’œil se trouvant trop stimulé pour que l’oreille décrypte adéquatement toute la poésie du propos. Renaud Lacelle-Bourdon devient parfois lui-même personnage virtuel quand il se trouve au centre des faisceaux lumineux, mais quand il s’incarne réellement, il transmet avec grande justesse les sentiments d’amour et de lassitude excédée qu’il ressent pour son père, tantôt arrogant, tantôt d’une émouvante fragilité. Robert Lalonde surjoue malheureusement le personnage de Dédale, devenant par moments une caricature de lui-même. Est-ce parce que sa voix est amplifiée? A-t-on affaire à quelques problèmes de spatialisation? Il connaît pourtant l’univers de Kemeid pour avoir porté le personnage du père de Moi, dans les ruines rouges du siècle, avec nuance. Il a su également l’été dernier dans le cadre de Dramaturgies en dialogue offrir un portrait saisissant d’un artiste mégalomane dans L’atelier aux méduses de Marc-Antoine Cyr. On doit attendre les derniers instants déchirants du spectacle pour enfin avoir l’impression de toucher à l’essence même du personnage.
Malgré tout, on sent que, comme les productions précédentes du duo Lemieux-Pilon présentées au TNM – une Tempête éblouissante et une Belle et la bête ensorcelante –, l’imagerie et la poésie d’Icare continueront de nous hanter.
Icare. Texte d’Olivier Kemeid. Mise en scène de Michel Lemieux et Victor Pilon. Une production Lemieux Pilon 4D Art. Au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 8 février 2014.