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Act of God : L’appel du gouffre

La catastrophe est un grondement sourd qui navigue dans l’irrationnel. Un non dialogue avec notre cerveau précambrien. L’intuition animale ne nous prémunit contre aucune attaque, n’empêche aucun tsunami, ne bloque aucune irruption volcanique. L’Act of God ouvre une entaille dans la surface lisse de notre vie.

Le tandem Marie-Josée Bastien et Michel Nadeau au texte et à la mise en scène nous propose une impressionnante descente dans le gouffre des désastres pressentis. Un plateau-cage incliné vers le public offre en simultané des aires de jeu pour autant de tableaux de cette œuvre chorale.

Découpé comme au cinéma, le scénario se déploie dans une structure unique à partir des points de vue éclatés d’une caméra inquisitrice au regard incisif et volatile. Les poteaux tracent des cloisons invisibles qui délimitent chaque scène, les accessoires illustrent le reste: table mobile arrachée du plancher, chaises basculées et redressées, un sac de voyage, des gilets à capuche, des petits rien qui, en en tournemain, nous déportent dans une gare de triage, dans un salon, sur un champ de guerre en Afrique.

Les personnages, en scènes brèves et percutantes, finissent par se rejoindre dans un même douloureux destin annoncé et irrésistible, malgré les efforts déployés pour le conjurer. Comme si tous les dérèglements de Gaïa se répercutaient chez les humains. Ils sont photographes de guerre et donnent à voir la démence, ils sont biologistes et veulent corriger les erreurs passées, ils sont travailleurs dans un centre de prévention du suicide, ils sont de jeunes adolescents qui jouent avec la mort pour se sentir vivants,  ils sont professeurs au secondaire et veulent insuffler le désir d’apprendre, ils sont agents d’assurance et entendent protéger le monde contre les cassures, mais ils restent impuissants devant l’Act of God, cette « force majeure » que les humains subissent. On découvre par petits bonds qu’ils sont tous liés par une tragédie, ils sont tous happés par l’inconcevable.

Au-delà de la prouesse des comédiens, qui se glissent d’un personnage à l’autre avec un naturel saisissant, et malgré quelques traits caricaturaux, il faut souligner la belle unicité de la composition. Cela tient au jeu (remarquable Hugues Frenette, émouvante Véronika Makdissi-Warren), à la prise de possession par tous les comédiens de cette structure efficace, à la complicité des spectateurs avec quelques codes empruntés au 7e art mais brillamment transposés à la scène, à l’harmonie générale que vient souligner et amplifier une régie impeccable.

Les scènes, en brèves séquences croquées sur le vif, créent une dynamique cinématographique avec une grande économie de moyens. Soulignons les dialogues percutants, souvent crus, où les personnages se distinguent immédiatement les uns des autres, établissant leur psychologie respective dès leur première intervention. Au jeu des glissements de rôle, les codes, la posture des corps, le timbre de la voix, le vêtement retourné, se succèdent sans accroc nous emportant irrésistiblement vers la catastrophe appréhendée. Celle qui se joue dans un micro-récit humain, un Fukushima à petite échelle, mais avec une radioactivité aussi dévastatrice. La trame narrative se développe sur un suspens admirablement construit. Nous pressentons ce qui adviendra et pourtant le clou final nous percute violemment. Une très belle surprise que cet Act of God de Bastien-Nadeau, qui vaut vraiment le détour.

Act of God

Texte et mise en scène : Marie-Josée Bastien et Michel Nadeau. Production de Théâtre Niveau Parking, en collaboration avec Théâtre Blanc. Au Périscope jusqu’au 5 avril 2014. Au Théâtre Prospero du 24 janvier au 11 février 2017.