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Geoffrey Gaquère : Déclaration d’intentions

© David Ospina

Comédien et metteur en scène, directeur de la compagnie Théâtre Debout, Geoffrey Gaquère vient d’être nommé à la direction artistique d’Espace Libre. Il succèdera à Philippe Ducros en juin 2014. Porteur d’un projet artistique ambitieux, il nous en présente les grandes lignes.

Initier des projets

D’abord, je me suis posé la question: qu’est-ce qu’un théâtre expérimental, qu’est-ce qu’être expérimental? Je crois qu’Espace Libre doit être une rampe de lancement, un lieu où pousser plus loin les explorations théâtrales et la recherche, que ce soit sur le plan du langage, de la forme, des idées, du corps et sur les façons de raconter des histoires d’aujourd’hui à des gens d’aujourd’hui.

La particularité de ce théâtre c’est que, pour construire la programmation, je suis dépendant des projets qui sont déposés. J’ai envie de provoquer une rencontre avec le milieu artistique, pour susciter des réflexions et des projets. Dans les prochaines semaines, je vais écrire une lettre aux artistes, leur disant que je veux être attentif aux projets qui touchent la relation avec l’autre, à la différence, à notre relation avec le territoire, qu’il soit géographique et intérieur.

Au lieu de simplement recevoir des propositions, je voudrais les initier, trouver des artistes qui ont envie de creuser ces sujets, provoquer des rencontres, pour être à la fois proche de l’esprit d’Espace Libre et de celui de la Renaissance. À cette époque, le théâtre et l’art faisaient partie des domaines du savoir, au même titre que les mathématiques, les sciences et l’astronomie. Aussi, j’ai envie de présenter du théâtre païen, du théâtre qui s’intéresse à la satire et pourquoi pas, à la botanique ou à la chimie, un théâtre qui pose les questions essentielles: qui sommes-nous, d’où venons-nous et où allons-nous? Il faut passer par la connaissance de ce qu’on est pour inventer des formes nouvelles.

Répertoire, opéra et convivialité

Je voudrais également aborder la question de la responsabilité citoyenne. Comment se réapproprier notre pouvoir de citoyen? Il nous est plus facile de nous identifier comme des consommateurs que comme des citoyens. Les projets qui se questionnent sur nos modes de consommation seront les bienvenus. En m’interrogeant sur le rapport à l’image, je voudrais renouer avec des formes qui ressemblent à des fresques, qui pourraient s’apparenter à des séries télévisées, qui auraient le ludisme et le baroque de Vie et mort du roi boiteux, par exemple.

Au Festival TransAmériques, on assiste à des relectures de grands classiques, comme les Tragédies romaines, d’Ivo van Hove ou Un ennemi du peuple d’Ibsen, revisité par Ostermeier. Ces metteurs en scène se réapproprient les textes de répertoire, les triturent, les découpent en leur donnant un traitement qui nous éclaire sur notre époque.  À cause de notre système de subventions,  on privilégie la création, la création à tout prix. Pourtant ce serait intéressant de se pencher sur les œuvres du répertoire de façon contemporaine, comme Marc Beaupré l’a fait avec Caligula_Remix, c’est une démarche très intéressante.

J’aimerais également accueillir des formes opératiques, des spectacles mêlant théâtre et opéra contemporain. Et, bien sûr, des productions d’ailleurs, du Canada et de l’étranger.

Espace Libre est un lieu empreint de baroque, je veux garder cet esprit festif et convivial: on n’est pas là pour la virtuosité de l’acteur mais pour voir de nouvelles images poétiques, qui réinventent la beauté de la forme, de la pensée ou du langage.

Un mariage intelligent entre le privé et le public

Concernant le financement, on voit bien que, du point de vue de l’État, un travail reste à faire sur les critères d’attribution des subventions, qui doivent être plus en adéquation avec la réalité d’aujourd’hui. Les récentes annulations en sont la preuve, en plus de remettre en question l’appréciation et le pouvoir du directeur artistique.

On n’a pas le choix, il faut se tourner de façon réfléchie et intelligente vers le privé. C’est un combat à long terme pour Espace Libre, que je dois faire, que je veux faire, que j’ai fait avec ma compagnie, en invitant des gens du privé à se sentir partie prenante du projet artistique, tout en sachant où sont les limites: pas de publicité sur la scène, par exemple. Il s’agit de réaliser un intelligent mariage entre le public et le privé. Il faudrait que le mécénat devienne une habitude chez les francophones. Il y a une manière d’attirer le privé, mais  je n’en dirais pas plus, ça fait partie des stratégies que je veux développer à Espace Libre…

Positionner Espace Libre

Un théâtre est le lieu idéal pour mettre de l’avant l’importance de la culture, pour travailler dans une grande proximité avec le milieu éducatif. Je veux vraiment ouvrir davantage Espace Libre à la communauté, dans son quartier et dans la ville. Il y a un travail à faire dans le positionnement géographique du lieu, Espace Libre doit avoir pignon sur rue! Un travail de communications est à envisager pour implanter le lieu dans la cité. Il faut que ce théâtre devienne un poumon dans ce quartier sensible, qu’il devienne un lieu où les gens aiment se retrouver.

Espace Libre est un objet de beauté qui devrait être valorisé. Je sais qu’il va falloir jongler avec les chiffres, mais ces démarches doivent être réalisées pour que le lieu soit reconnu, visible, ouvert sur l’extérieur. Ce travail de positionnement devra être fait assez rapidement. En attirant plus de gens, les spectacles pourront jouer une semaine de plus, et Espace Libre pourra donner aux compagnies de meilleures conditions d’accueil.

Tout en poursuivant le développement de ma compagnie, pour laquelle je compte produire un spectacle par année, je veux donner la priorité à Espace Libre. J’ai vraiment envie d’être un directeur artistique présent. J’ai des objectifs ambitieux, et je ne pourrais les atteindre qu’en étant présent, en animant le lieu.

Geoffrey Gaquère

À propos de

Diplômé du Conservatoire d’art dramatique de Bruxelles et de l’École nationale de théâtre du Canada, il est comédien et metteur en scène. En 2014, il devient directeur artistique et codirecteur général d’Espace Libre.