L’Eden Motel n’a rien d’un paradis. S’y retrouvent tous les naufragés du rêve américain, observés du large par ceux qui rêvent encore, immigrants clandestins cachés dans les entrailles d’un cargo, ignorants de la détresse de ceux qui vivent dans l’abondance et prêts à tout pour accéder à une part du gâteau.
Dans cet établissement échoué au bord de l’autoroute, tous cherchent un moyen de composer avec le sentiment de vide et de mal-être qui les habite, l’un en se bourrant de médicaments, l’autre en ingérant des produits non comestibles, la troisième en couchant avec tous les résidents. Tous sont en quête de bonheur et d’amour mais incapables d’y accéder.
On connaît la lucidité de Philippe Ducros (qui signe le texte et la mise en scène) sur les travers de notre monde, son désir de dénoncer les injustices qui laissent tant d’êtres sur le pavé, son besoin de nous faire rencontrer ces victimes de la guerre, du néolibéralisme, de la politique, avec lesquelles il a été en contact lors de ses nombreuses expéditions en zones sinistrées… Comme il le dit lui-même, il est frappé à chaque retour de voyage de constater que le confort dans lequel nous vivons ne suffit pas à nous rendre heureux. C’est cette difficulté des Nord-Américains à composer avec leur existence qu’il explore ici.
Parsemée de statistiques, la pièce dénonce notamment la surconsommation de médicaments qui ne font que s’attaquer aux symptômes de la détresse; l’auteur, quant à lui, se penche sur les causes du mal de vivre: dissolution du lien affectif, obsession de la performance, individualisme exacerbé, tyrannie du bonheur, spectacularisation de la vie, hyper-sexualisation, démesure, etc. Il propose le rétablissement d’un lien communautaire comme piste de solution pour redonner un sens à notre vie, les protagonistes se confiant les uns aux autres dans des réunions de type «dépressifs anonymes» et formant au motel une sorte de congrégation des âmes perdues où l’entraide finit par éclore.
Malheureusement l’ensemble s’étire en longueur et on ne trouve pas dans ce texte la sensibilité et la pertinence qui nous avaient séduits dans L’Affiche. Les monologues où les personnages confessent leur de mal de vivre ont un côté trop systématique et un style parfois ampoulé ; le ton adopté par François Bernier (qui incarne Moi, figure de proue sur-médicamentée de ces êtres en perdition) et par Michel Mongeau (dans le rôle d’un frère et d’une sœur, jumeaux de 103 ans) est trop souvent larmoyant.
Finalement, on a le sentiment d’être promené d’un lieu commun à l’autre et balloté artificiellement du tragique au comique, d’une tirade à une chanson, et de la terre ferme où on gémit le ventre plein à l’enfer du cargo où les clandestins crèvent mangés par la gale. Le résultat manque de cohésion, de concision et, il faut bien le dire, d’intérêt.
Soulignons toutefois la prestation très drôle de Sébastien Dodge dans le rôle d’une mouette. Sautillant, goguenard, il commente les scènes et les émotions des personnages, sorte de coryphée givré en tuxedo blanc, chaussures jaunes vernies et moustache huilée.
Eden Motel est l’adaptation en deux parties du roman éponyme de Philippe Ducros, à paraître l’an prochain. La seconde partie de l’adaptation théâtrale verra le jour en 2015.
Texte et mise en scène de Philippe Ducros. Un spectacle des Productions Hôtel-Motel. À l’Espace Libre jusqu’au 19 avril 2014.
L’Eden Motel n’a rien d’un paradis. S’y retrouvent tous les naufragés du rêve américain, observés du large par ceux qui rêvent encore, immigrants clandestins cachés dans les entrailles d’un cargo, ignorants de la détresse de ceux qui vivent dans l’abondance et prêts à tout pour accéder à une part du gâteau.
Dans cet établissement échoué au bord de l’autoroute, tous cherchent un moyen de composer avec le sentiment de vide et de mal-être qui les habite, l’un en se bourrant de médicaments, l’autre en ingérant des produits non comestibles, la troisième en couchant avec tous les résidents. Tous sont en quête de bonheur et d’amour mais incapables d’y accéder.
On connaît la lucidité de Philippe Ducros (qui signe le texte et la mise en scène) sur les travers de notre monde, son désir de dénoncer les injustices qui laissent tant d’êtres sur le pavé, son besoin de nous faire rencontrer ces victimes de la guerre, du néolibéralisme, de la politique, avec lesquelles il a été en contact lors de ses nombreuses expéditions en zones sinistrées… Comme il le dit lui-même, il est frappé à chaque retour de voyage de constater que le confort dans lequel nous vivons ne suffit pas à nous rendre heureux. C’est cette difficulté des Nord-Américains à composer avec leur existence qu’il explore ici.
Parsemée de statistiques, la pièce dénonce notamment la surconsommation de médicaments qui ne font que s’attaquer aux symptômes de la détresse; l’auteur, quant à lui, se penche sur les causes du mal de vivre: dissolution du lien affectif, obsession de la performance, individualisme exacerbé, tyrannie du bonheur, spectacularisation de la vie, hyper-sexualisation, démesure, etc. Il propose le rétablissement d’un lien communautaire comme piste de solution pour redonner un sens à notre vie, les protagonistes se confiant les uns aux autres dans des réunions de type «dépressifs anonymes» et formant au motel une sorte de congrégation des âmes perdues où l’entraide finit par éclore.
Malheureusement l’ensemble s’étire en longueur et on ne trouve pas dans ce texte la sensibilité et la pertinence qui nous avaient séduits dans L’Affiche. Les monologues où les personnages confessent leur de mal de vivre ont un côté trop systématique et un style parfois ampoulé ; le ton adopté par François Bernier (qui incarne Moi, figure de proue sur-médicamentée de ces êtres en perdition) et par Michel Mongeau (dans le rôle d’un frère et d’une sœur, jumeaux de 103 ans) est trop souvent larmoyant.
Finalement, on a le sentiment d’être promené d’un lieu commun à l’autre et balloté artificiellement du tragique au comique, d’une tirade à une chanson, et de la terre ferme où on gémit le ventre plein à l’enfer du cargo où les clandestins crèvent mangés par la gale. Le résultat manque de cohésion, de concision et, il faut bien le dire, d’intérêt.
Soulignons toutefois la prestation très drôle de Sébastien Dodge dans le rôle d’une mouette. Sautillant, goguenard, il commente les scènes et les émotions des personnages, sorte de coryphée givré en tuxedo blanc, chaussures jaunes vernies et moustache huilée.
Eden Motel est l’adaptation en deux parties du roman éponyme de Philippe Ducros, à paraître l’an prochain. La seconde partie de l’adaptation théâtrale verra le jour en 2015.
Eden Motel
Texte et mise en scène de Philippe Ducros. Un spectacle des Productions Hôtel-Motel. À l’Espace Libre jusqu’au 19 avril 2014.