Le vicomte de Valmont : «Je hais l’amour en moi, parce qu’il m’asservit.» Tout est là. Il faut refuser cet amour esclavagiste. La scène est un écrin fait de tulle, de toile et de tissus. Dans les jeux de transparence et d’opacité, dans une alternance d’apparition et disparition, Merteuil et Valmont, les démiurges mystificateurs de l’amour jouent aux apprentis-sorciers avec l’âme de leurs concitoyens.
La brillante mise en scène d’Erika Gagnon renouvelle ce grand classique de Christopher Hampton, d’après le roman de Choderlos de Laclos. Dans cet univers à la fois brillant et ténébreux, les deux amis-amants liés par un jeu désespéré de séduction et d’abandon occupent tout l’espace de cet univers tordu d’une noblesse en déclin où triomphent les libertins.
La voluptueuse Marie-Josée Bastien et le subtil mais tordu Réjean Vallée sont d’une envoûtante complicité en marquise de Merteuil et vicomte de Valmont, explorateurs licencieux et immoraux des sentiments troubles de l’énergie amoureuse. La marquise exhorte le vicomte de séduire la petite couventine Cécile de Volanges pour se venger de son ex-amant qui veut épouser la jeune héritière.
Mais ce défi n’est qu’un amuse-gueule pour le vicomte qui lui propose plutôt de séduire madame de Tourvel, dont la réserve, la moralité et la loyauté en font une conquête d’autant plus alléchante qu’elle semble inatteignable. Ce qui d’un côté était motivé par un besoin de vengeance primitif devient alors un simple amusement, un pari sans autre fondement que la vanité de Valmont.
L’amour, la passion charnelle, l’attraction et le rejet, la résistance attendrie par un doute, la beauté froide et distante, le baiser refusé, la caresse furtive, la promesse susurrée du bout des lèvres, l’extase de l’attente, l’anticipation du bonheur s’entrelacent en une trame complexe dans laquelle les protagonistes se jouent les uns des autres. Le roman épistolaire adapté pour la stratégie théâtrale subit ici une autre adaptation purement scénique, cette fois. Et cela suffit à plonger ce texte du XVIIIe dans sa modernité éternelle.
Ainsi donc, à travers les voiles, toutes les figures imbriquées dans ce jeu de fourberie et de méchanceté sont omniprésentes. Elles veillent derrière un tulle, oreilles attentives dans un mur invisible, elles glissent d’un endroit à l’autre déplaçant un banc, une chaise, nous emportant à la vitesse du geste d’un lieu à l’autre. Une simplicité tellement efficace que le spectateur est happé par cet écrin, devenant illico complice des duplicités, des mensonges, des immoralités dont il pressent l’inéluctable dénouement.
Ce théâtre classique nous redonne le goût du théâtre classique: un texte puissant, génial même dans sa construction et ses enlacements tout en fine broderie, des comédiens qui deviennent porteurs d’une fiction absolue, eux-mêmes transformés en pantins de l’amour. Ils sont jeunes et candides, remplis d’espoir, ils sont des êtres moraux engoncés dans un vernis de respectabilités. Mais voici que se déchaînent les forces maléfiques des sentiments tordus, des tromperies, des griffes immondes de la séduction comme théâtre de guerre entre le bien et le mal. Valmont et Merteuil se délectent des souffrances, des désirs, des élans érotiques qu’ils suscitent chez leurs cobayes innocents. Mais étrangement, et comme la nature ne négocie pas, les deux seront broyés par cette victoire-déboire sur madame de Tourvel.
Et, oh petite joie malicieuse, la jeune Cécile, jouée par une admirable Noémie O’Farrel, qui en finale s’empare du gant noir de la marquise de Merteuil déchue. Elle aura aussi connu l’extase de la chair, rejetant le vernis acquis au couvent. Entre le bon dieu des bénitiers et le corps érotique, elle choisit le dernier.
Si dans cette mise en scène tout glisse et s’emboîte dans une grande harmonie, c’est pour mieux magnifier le délitement d’une aristocratie en mal de devenir. À voir pour le simple plaisir esthétique de se croire ailleurs et en un autre temps que la musique situe au XVIIIe, mais que la dynamique scénique ancre dans le moment présent. Une puissante production soutenue par une impeccable distribution.
Les Liaisons dangereuses. Texte de Christopher Hampton, d’après Choderlos de Laclos. Mise en scène d’Érika Gagnon. Une production du Théâtre Les Enfants terribles. Au Théâtre de la Bordée jusqu’au 10 mai 2014.
Le vicomte de Valmont : «Je hais l’amour en moi, parce qu’il m’asservit.» Tout est là. Il faut refuser cet amour esclavagiste. La scène est un écrin fait de tulle, de toile et de tissus. Dans les jeux de transparence et d’opacité, dans une alternance d’apparition et disparition, Merteuil et Valmont, les démiurges mystificateurs de l’amour jouent aux apprentis-sorciers avec l’âme de leurs concitoyens.
La brillante mise en scène d’Erika Gagnon renouvelle ce grand classique de Christopher Hampton, d’après le roman de Choderlos de Laclos. Dans cet univers à la fois brillant et ténébreux, les deux amis-amants liés par un jeu désespéré de séduction et d’abandon occupent tout l’espace de cet univers tordu d’une noblesse en déclin où triomphent les libertins.
La voluptueuse Marie-Josée Bastien et le subtil mais tordu Réjean Vallée sont d’une envoûtante complicité en marquise de Merteuil et vicomte de Valmont, explorateurs licencieux et immoraux des sentiments troubles de l’énergie amoureuse. La marquise exhorte le vicomte de séduire la petite couventine Cécile de Volanges pour se venger de son ex-amant qui veut épouser la jeune héritière.
Mais ce défi n’est qu’un amuse-gueule pour le vicomte qui lui propose plutôt de séduire madame de Tourvel, dont la réserve, la moralité et la loyauté en font une conquête d’autant plus alléchante qu’elle semble inatteignable. Ce qui d’un côté était motivé par un besoin de vengeance primitif devient alors un simple amusement, un pari sans autre fondement que la vanité de Valmont.
L’amour, la passion charnelle, l’attraction et le rejet, la résistance attendrie par un doute, la beauté froide et distante, le baiser refusé, la caresse furtive, la promesse susurrée du bout des lèvres, l’extase de l’attente, l’anticipation du bonheur s’entrelacent en une trame complexe dans laquelle les protagonistes se jouent les uns des autres. Le roman épistolaire adapté pour la stratégie théâtrale subit ici une autre adaptation purement scénique, cette fois. Et cela suffit à plonger ce texte du XVIIIe dans sa modernité éternelle.
Ainsi donc, à travers les voiles, toutes les figures imbriquées dans ce jeu de fourberie et de méchanceté sont omniprésentes. Elles veillent derrière un tulle, oreilles attentives dans un mur invisible, elles glissent d’un endroit à l’autre déplaçant un banc, une chaise, nous emportant à la vitesse du geste d’un lieu à l’autre. Une simplicité tellement efficace que le spectateur est happé par cet écrin, devenant illico complice des duplicités, des mensonges, des immoralités dont il pressent l’inéluctable dénouement.
Ce théâtre classique nous redonne le goût du théâtre classique: un texte puissant, génial même dans sa construction et ses enlacements tout en fine broderie, des comédiens qui deviennent porteurs d’une fiction absolue, eux-mêmes transformés en pantins de l’amour. Ils sont jeunes et candides, remplis d’espoir, ils sont des êtres moraux engoncés dans un vernis de respectabilités. Mais voici que se déchaînent les forces maléfiques des sentiments tordus, des tromperies, des griffes immondes de la séduction comme théâtre de guerre entre le bien et le mal. Valmont et Merteuil se délectent des souffrances, des désirs, des élans érotiques qu’ils suscitent chez leurs cobayes innocents. Mais étrangement, et comme la nature ne négocie pas, les deux seront broyés par cette victoire-déboire sur madame de Tourvel.
Et, oh petite joie malicieuse, la jeune Cécile, jouée par une admirable Noémie O’Farrel, qui en finale s’empare du gant noir de la marquise de Merteuil déchue. Elle aura aussi connu l’extase de la chair, rejetant le vernis acquis au couvent. Entre le bon dieu des bénitiers et le corps érotique, elle choisit le dernier.
Si dans cette mise en scène tout glisse et s’emboîte dans une grande harmonie, c’est pour mieux magnifier le délitement d’une aristocratie en mal de devenir. À voir pour le simple plaisir esthétique de se croire ailleurs et en un autre temps que la musique situe au XVIIIe, mais que la dynamique scénique ancre dans le moment présent. Une puissante production soutenue par une impeccable distribution.
Les Liaisons dangereuses. Texte de Christopher Hampton, d’après Choderlos de Laclos. Mise en scène d’Érika Gagnon. Une production du Théâtre Les Enfants terribles. Au Théâtre de la Bordée jusqu’au 10 mai 2014.