Si elle est encore méconnue ici, la metteure en scène et dramaturge Yaël Farber, Sud-Africaine d’origine, Montréalaise d’adoption, est acclamée à travers le monde. Certains se souviendront peut-être de sa pièce Molora, présentée en 2009 à la Cinquième salle de la Place des Arts.
Avec Mies Julie, celle qui a dirigé pendant trois ans la section anglophone du programme de mise en scène à l’École nationale de théâtre du Canada propose une relecture intense, fiévreuse et puissamment érotique de Mademoiselle Julie, la célèbre pièce d’August Strindberg qui raconte l’amour impossible entre une aristocrate et son valet. Nous ne sommes plus ici en Suède à la fin du 19e siècle, mais dans le Karoo, région semi-désertique d’une Afrique du Sud supposément libérée de l’Apartheid, mais où la ségrégation et la discrimination sont encore bien présentes, comme le sont les traumatismes laissés par une époque dominée par la violence, le mépris et la haine.
Mademoiselle Julie est devenue Mies Julie, fille d’un propriétaire terrien boer; Jean est devenu John, le domestique qui astique avec soin et ferveur les bottes du maître; et Kristin, fiancée de Jean dans la pièce de Strindberg, est devenue la mère de John, qui a également élevé Julie. La relation entre Julie et John est donc complexe, à la fois fraternelle, hiérarchique et amoureuse.
C’est le soir du «Freedom Day», commémorant la tenue des premières élections nationales après la fin de l’apartheid. Cette atmosphère électrique de fête et d’orage qui gronde fait bouillir le sang de Mies Julie, qui essaie de convaincre John d’aller danser. Tournant autour de lui comme une mouche autour d’une cheval, elle le titille, le provoque, l’attire, le repousse, le caresse, le frappe, avec son corps comme avec ses mots. Pendant un temps, ils se narguent puis le désir prend le dessus et se consomme sur la table de la cuisine. Mais peuvent-ils raisonnablement envisager un futur ensemble ou la fin tragique et sanglante n’est-elle pas inéluctable?
À la lutte de pouvoir entre un homme et une femme, entre aristocratie et domesticité, vient s’ajouter le rapport de force entre une Blanche et un Noir, qui essaient de s’aimer mais portent en eux le fardeau trop lourd de l’histoire coloniale. Leurs mots sont d’une violence inouïe et expriment avec force l’impasse dans laquelle se trouve l’Afrique du Sud. La façon dont ils se réapproprient les haines ancestrales est terrifiante et en dit long sur le regard désabusé que la metteure en scène porte sur son pays natal. «Bienvenue en Afrique du Sud, où des miracles se produisent et nous laissent exactement au même point de départ» dira John avec amertume.
Il y a dans ces deux personnages une frustration et une rage débordantes, extrêmement bien rendues par la chorégraphie et le travail des corps. Avec une intense et remarquable physicalité, Hilda Cronje (Julie) et Bongile Mantsai (John) se tournent autour et se défient comme deux lions luttant pour leur territoire.
Présence fantomatique symbolisant les ancêtres de Kristin enterrés sous la maison, la chanteuse et musicienne Tandiwe Nofirst Lungisa traverse parfois la scène tandis que sur le côté, Mark Fransman et Brydon Bolton interprètent en direct la trame sonore conçue par Daniel et Matthew Pencer, ajoutant à l’ambiance électrique et orageuse.
La Mies Julie de Farber connaît le succès à travers le monde: elle a reçu de nombreux prix et les critiques à son sujet semblent unanimement dithyrambiques. Ses qualités sont indéniables et on reste longtemps habité par la fièvre qui a envahi la scène sous nos yeux; toutefois, face à cette intensité paroxystique, au systématisme du rapport amour-haine des protagonistes, et à la profusion de symboles sanglants, on ne peut s’empêcher de penser que Farber – une artiste à suivre – a tout de même pêché par excès.
Mies Julie. Texte de Yaël Farber, d’après Tchekhov. Mise en scène de Yaël Farber. Une production du Baxter Theatre Centre de l’Université de Cape Town. À la Cinquième salle de la Place des Arts jusqu’au 3 mai 2014.
Si elle est encore méconnue ici, la metteure en scène et dramaturge Yaël Farber, Sud-Africaine d’origine, Montréalaise d’adoption, est acclamée à travers le monde. Certains se souviendront peut-être de sa pièce Molora, présentée en 2009 à la Cinquième salle de la Place des Arts.
Avec Mies Julie, celle qui a dirigé pendant trois ans la section anglophone du programme de mise en scène à l’École nationale de théâtre du Canada propose une relecture intense, fiévreuse et puissamment érotique de Mademoiselle Julie, la célèbre pièce d’August Strindberg qui raconte l’amour impossible entre une aristocrate et son valet. Nous ne sommes plus ici en Suède à la fin du 19e siècle, mais dans le Karoo, région semi-désertique d’une Afrique du Sud supposément libérée de l’Apartheid, mais où la ségrégation et la discrimination sont encore bien présentes, comme le sont les traumatismes laissés par une époque dominée par la violence, le mépris et la haine.
Mademoiselle Julie est devenue Mies Julie, fille d’un propriétaire terrien boer; Jean est devenu John, le domestique qui astique avec soin et ferveur les bottes du maître; et Kristin, fiancée de Jean dans la pièce de Strindberg, est devenue la mère de John, qui a également élevé Julie. La relation entre Julie et John est donc complexe, à la fois fraternelle, hiérarchique et amoureuse.
C’est le soir du «Freedom Day», commémorant la tenue des premières élections nationales après la fin de l’apartheid. Cette atmosphère électrique de fête et d’orage qui gronde fait bouillir le sang de Mies Julie, qui essaie de convaincre John d’aller danser. Tournant autour de lui comme une mouche autour d’une cheval, elle le titille, le provoque, l’attire, le repousse, le caresse, le frappe, avec son corps comme avec ses mots. Pendant un temps, ils se narguent puis le désir prend le dessus et se consomme sur la table de la cuisine. Mais peuvent-ils raisonnablement envisager un futur ensemble ou la fin tragique et sanglante n’est-elle pas inéluctable?
À la lutte de pouvoir entre un homme et une femme, entre aristocratie et domesticité, vient s’ajouter le rapport de force entre une Blanche et un Noir, qui essaient de s’aimer mais portent en eux le fardeau trop lourd de l’histoire coloniale. Leurs mots sont d’une violence inouïe et expriment avec force l’impasse dans laquelle se trouve l’Afrique du Sud. La façon dont ils se réapproprient les haines ancestrales est terrifiante et en dit long sur le regard désabusé que la metteure en scène porte sur son pays natal. «Bienvenue en Afrique du Sud, où des miracles se produisent et nous laissent exactement au même point de départ» dira John avec amertume.
Il y a dans ces deux personnages une frustration et une rage débordantes, extrêmement bien rendues par la chorégraphie et le travail des corps. Avec une intense et remarquable physicalité, Hilda Cronje (Julie) et Bongile Mantsai (John) se tournent autour et se défient comme deux lions luttant pour leur territoire.
Présence fantomatique symbolisant les ancêtres de Kristin enterrés sous la maison, la chanteuse et musicienne Tandiwe Nofirst Lungisa traverse parfois la scène tandis que sur le côté, Mark Fransman et Brydon Bolton interprètent en direct la trame sonore conçue par Daniel et Matthew Pencer, ajoutant à l’ambiance électrique et orageuse.
La Mies Julie de Farber connaît le succès à travers le monde: elle a reçu de nombreux prix et les critiques à son sujet semblent unanimement dithyrambiques. Ses qualités sont indéniables et on reste longtemps habité par la fièvre qui a envahi la scène sous nos yeux; toutefois, face à cette intensité paroxystique, au systématisme du rapport amour-haine des protagonistes, et à la profusion de symboles sanglants, on ne peut s’empêcher de penser que Farber – une artiste à suivre – a tout de même pêché par excès.
Mies Julie. Texte de Yaël Farber, d’après Tchekhov. Mise en scène de Yaël Farber. Une production du Baxter Theatre Centre de l’Université de Cape Town. À la Cinquième salle de la Place des Arts jusqu’au 3 mai 2014.