Certaines choses se vivent mieux seul: la découverte d’un recueil de poésie, l’écoute d’une pièce de musique, la contemplation de la nature. Dans les forêts de Sibérie est l’un de ces objets hybrides, aux confins de la danse, du théâtre corporel et de la méditation, que l’on voudrait garder pour soi. Extrêmement difficile de reprendre pied dans le brouhaha d’une métropole après ces 50 minutes passées assis sur une bûche, dans un local de répétition lumineux, alors que l’on ressent une émotion qui relève aussi bien de l’apaisement que du bouleversement.
Peut-on vivre à la fois en société et en marge de celle-ci? Jusqu’à quel point peut-on – doit-on – vivre pour les autres? De quoi a-t-on réellement besoin? Autant de questions soulevées dans ce récit publié en 2011, lauréat du Médicis Essai, qui raconte les six mois d’ermitage que Sylvain Tesson a passés dans une cabane au bord du lac Baïkal. «J’ai appris à m’assoir devant une fenêtre.» C’est d’ailleurs dans ce qui en tient lieu, au milieu de 16 cordes de bois, que des extraits du texte sont projetés, auxquels Éric Robidoux réagit en gestes, pas tant illustration du propos que complément.
On suit le périple intérieur, jamais entièrement statique, de cet homme qui inclut dans les besoins vitaux l’écriture et la lecture, au même titre que couper du bois, tirer de l’eau ou boire du thé, autant de «liturgies». Il marche, écrit dans son carnet (belle séquence que celle où celui-ci devient oreiller, qui nous donne l’illusion que ses songes s’y inscrivent avec fluidité), boit du thé ou de la vodka, fume un cigare. La solitude, la communion avec la nature, la conviction de ne pas blesser la planète, mais à quel prix?
Quatre mois après son arrivée sur les lieux, «cinq lignes s’affichent, plus douloureuses qu’un coup de fer rouge»: sa compagne lui annonce qu’elle le quitte. «J’ai laissé s’envoler le bonheur.» Éric Robidoux semble alors se liquéfier devant nos yeux, toute la douleur du monde semblant sourdre de lui d’un seul coup.
Ce spectacle, donné en matinée, peut se lire comme un prolongement des Hivers de grâce de Henry Thoreau et du Recours aux forêts (le journaliste français apporte d’ailleurs dans ses sacs plusieurs ouvrages d’Ernst Jünger), mais possède une couleur distincte, la lumière du jour y jouant un rôle essentiel. On assiste d’ailleurs à un moment de pure poésie quand Robidoux danse dans le rectangle laissé par l’une des immenses fenêtres du local de répétition.
La proposition n’est peut-être pas parfaite. Ainsi, la lecture du texte nous distrait parfois de la chorégraphie de Paula de Vasconcelos (réalisée en étroite collaboration avec l’interprète). Certains spectateurs pourront rater des segments complets de l’ «action» selon l’endroit où ils seront assis. L’ajout de la deuxième fenêtre (quelques mètres devant l’écran), abaissée à un moment par l’interprète, disperse l’attention. Qu’importe. Porté par la remarquable trame sonore d’Owen Belton, d’abord plus atmosphérique, puis réellement mélodique, on aura tout de même eu l’impression d’avoir vécu un moment unique.
Texte de Sylvain Tesson. Chorégraphie de Paula de Vasconcelos. Au studio de Pigeons International, 6355 avenue du Parc, espace 301, du mardi au samedi à 10 h, jusqu’au 17 mai 2014.
Certaines choses se vivent mieux seul: la découverte d’un recueil de poésie, l’écoute d’une pièce de musique, la contemplation de la nature. Dans les forêts de Sibérie est l’un de ces objets hybrides, aux confins de la danse, du théâtre corporel et de la méditation, que l’on voudrait garder pour soi. Extrêmement difficile de reprendre pied dans le brouhaha d’une métropole après ces 50 minutes passées assis sur une bûche, dans un local de répétition lumineux, alors que l’on ressent une émotion qui relève aussi bien de l’apaisement que du bouleversement.
Peut-on vivre à la fois en société et en marge de celle-ci? Jusqu’à quel point peut-on – doit-on – vivre pour les autres? De quoi a-t-on réellement besoin? Autant de questions soulevées dans ce récit publié en 2011, lauréat du Médicis Essai, qui raconte les six mois d’ermitage que Sylvain Tesson a passés dans une cabane au bord du lac Baïkal. «J’ai appris à m’assoir devant une fenêtre.» C’est d’ailleurs dans ce qui en tient lieu, au milieu de 16 cordes de bois, que des extraits du texte sont projetés, auxquels Éric Robidoux réagit en gestes, pas tant illustration du propos que complément.
On suit le périple intérieur, jamais entièrement statique, de cet homme qui inclut dans les besoins vitaux l’écriture et la lecture, au même titre que couper du bois, tirer de l’eau ou boire du thé, autant de «liturgies». Il marche, écrit dans son carnet (belle séquence que celle où celui-ci devient oreiller, qui nous donne l’illusion que ses songes s’y inscrivent avec fluidité), boit du thé ou de la vodka, fume un cigare. La solitude, la communion avec la nature, la conviction de ne pas blesser la planète, mais à quel prix?
Quatre mois après son arrivée sur les lieux, «cinq lignes s’affichent, plus douloureuses qu’un coup de fer rouge»: sa compagne lui annonce qu’elle le quitte. «J’ai laissé s’envoler le bonheur.» Éric Robidoux semble alors se liquéfier devant nos yeux, toute la douleur du monde semblant sourdre de lui d’un seul coup.
Ce spectacle, donné en matinée, peut se lire comme un prolongement des Hivers de grâce de Henry Thoreau et du Recours aux forêts (le journaliste français apporte d’ailleurs dans ses sacs plusieurs ouvrages d’Ernst Jünger), mais possède une couleur distincte, la lumière du jour y jouant un rôle essentiel. On assiste d’ailleurs à un moment de pure poésie quand Robidoux danse dans le rectangle laissé par l’une des immenses fenêtres du local de répétition.
La proposition n’est peut-être pas parfaite. Ainsi, la lecture du texte nous distrait parfois de la chorégraphie de Paula de Vasconcelos (réalisée en étroite collaboration avec l’interprète). Certains spectateurs pourront rater des segments complets de l’ «action» selon l’endroit où ils seront assis. L’ajout de la deuxième fenêtre (quelques mètres devant l’écran), abaissée à un moment par l’interprète, disperse l’attention. Qu’importe. Porté par la remarquable trame sonore d’Owen Belton, d’abord plus atmosphérique, puis réellement mélodique, on aura tout de même eu l’impression d’avoir vécu un moment unique.
Dans les forêts de Sibérie
Texte de Sylvain Tesson. Chorégraphie de Paula de Vasconcelos. Au studio de Pigeons International, 6355 avenue du Parc, espace 301, du mardi au samedi à 10 h, jusqu’au 17 mai 2014.