Comment un acrobate devenu tétraplégique peut-il survivre ? Lui que l’immobilité assassine ? Lorsque Fabrice Champion se retrouve emprisonné dans son corps suite à un accident en répétition, le monde de l’apesanteur, la ruée vers le ciel, les pirouettes dans le vide, la fulgurance de la lumière sur un corps flottant s’abolissent subitement. Puis sa mort, troublante, lors d’une quête chamanique viendra mettre fin à un dernier projet qu’il était en train de monter avec de jeunes acrobates.
La trajectoire incisive de Champion devient alors la matière imputrescible de cette ode à la splendeur du corps humain, à la poésie furieuse qu’il y a dans le désir d’éclater les limites et de crever les nuages. La mise en scène de Stéphane Ricordel toute en retenue et en envolées lyriques, utilise avec brio et pour un vertige soutenu lumière et bande sonore qui sculptent littéralement la scène entre la puissance des virtuoses de la voltige et l’impuissance presque sacrificielle du corps mutilé par une chute fatale.
Au-delà d’un hommage à leur mentor et ami avec lequel ils avaient inventé une forme de « tétradanse », Alexandre Fournier et Matias Pilet exorcisent ce désir incontrôlable de projeter le corps dans les marges de sa matérialité. « L’acrobatie est dans l’esprit », elle est « une manière d’appréhender l’espace », « une absence de règles face aux lois métaphysiques » selon les deux artistes.
Ce spectacle fait circuler une énergie incandescente, qui va de la menace d’une mort annoncé — magnifiques images du vidéaste Olivier Meyrou — et pourtant toujours défiée, en passant par le risque formidable que courent les acrobates en se jetant dans le vide pour s’agripper à des mains flottantes et nous emporter juste de l’autre côté du possible, jusque dans cette complicité profonde qui lie les artistes circassiens entre eux.
La structure scénique se découpe en plateaux inclinés, en panneaux mobiles de lumière blanche, en carrés noirs, en creuset, en paliers étagés (presque) inatteignables, en espaces multiples qu’il faut apprivoiser et utiliser comme autant de portes qui déjouent les limites. Et puis dans cette proposition volatile, deux corps s’entrelacent, se défient, se relancent prenant appui sur l’un, retenant l’autre, s’exhortant mutuellement à une autre audace, à une autre distorsion du corps, à une autre morsure dans l’espace.
On retiendra cette scène violente de Matias Pilet sur le texte poignant de Champion qui énonce ce qu’il ne peut plus faire : avoir un orgasme, monter un escalier, nager dans sa rivière fétiche… Empruntant ce corps disloqué, Pilet se lance avec frénésie dans une série de figures projetées avec puissance, et échouant avec fracas. Mais il sera sauvé par son complice Alexandre Fournier, le porteur, l’ami indéfectible qui l’emportera à nouveau vers les sommets de l’impossible, dans un pas de deux qui n’est pas sans rappeler le célèbre combat devant le foyer entre Alan Bates et Oliver Reed dans le film Love de Ken Russel.
Acrobates est un spectacle de lumière, une démonstration du dépassement de soi, une invitation à jubiler au-dessus des cendres de la mort. Tendresse, émotion, amitié, persévérance, et surtout le désir d’abattre les murs et les limites autant de notre corps que de nos rêves constituent la matière même de cette émouvante production.
Mais, petit bémol, la pure acrobatie finale vient souligner de manière trop appuyée, et un peu longue, que ce sont aussi… des acrobates. J’aurais préféré les garder dans ma tête comme des poètes du corps en fusion avec l’espace, des aèdes primitifs surgis de l’Antiquité pour nous rappeler que le monde est un amalgame intransigeant et merveilleux, que nous pouvons être plus grands que nature.
Mise en scène de Stéphane Ricordel. Une production du Théâtre Le Monfort, Paris. Au Pavillon du commerce, dans le cadre du Carrefour international de théâtre, jusqu’au 12 juin 2014. À l’Usine C, à l’occasion de Montréal Complètement Cirque, du 4 au 7 juillet 2014.
Comment un acrobate devenu tétraplégique peut-il survivre ? Lui que l’immobilité assassine ? Lorsque Fabrice Champion se retrouve emprisonné dans son corps suite à un accident en répétition, le monde de l’apesanteur, la ruée vers le ciel, les pirouettes dans le vide, la fulgurance de la lumière sur un corps flottant s’abolissent subitement. Puis sa mort, troublante, lors d’une quête chamanique viendra mettre fin à un dernier projet qu’il était en train de monter avec de jeunes acrobates.
La trajectoire incisive de Champion devient alors la matière imputrescible de cette ode à la splendeur du corps humain, à la poésie furieuse qu’il y a dans le désir d’éclater les limites et de crever les nuages. La mise en scène de Stéphane Ricordel toute en retenue et en envolées lyriques, utilise avec brio et pour un vertige soutenu lumière et bande sonore qui sculptent littéralement la scène entre la puissance des virtuoses de la voltige et l’impuissance presque sacrificielle du corps mutilé par une chute fatale.
Au-delà d’un hommage à leur mentor et ami avec lequel ils avaient inventé une forme de « tétradanse », Alexandre Fournier et Matias Pilet exorcisent ce désir incontrôlable de projeter le corps dans les marges de sa matérialité. « L’acrobatie est dans l’esprit », elle est « une manière d’appréhender l’espace », « une absence de règles face aux lois métaphysiques » selon les deux artistes.
Ce spectacle fait circuler une énergie incandescente, qui va de la menace d’une mort annoncé — magnifiques images du vidéaste Olivier Meyrou — et pourtant toujours défiée, en passant par le risque formidable que courent les acrobates en se jetant dans le vide pour s’agripper à des mains flottantes et nous emporter juste de l’autre côté du possible, jusque dans cette complicité profonde qui lie les artistes circassiens entre eux.
La structure scénique se découpe en plateaux inclinés, en panneaux mobiles de lumière blanche, en carrés noirs, en creuset, en paliers étagés (presque) inatteignables, en espaces multiples qu’il faut apprivoiser et utiliser comme autant de portes qui déjouent les limites. Et puis dans cette proposition volatile, deux corps s’entrelacent, se défient, se relancent prenant appui sur l’un, retenant l’autre, s’exhortant mutuellement à une autre audace, à une autre distorsion du corps, à une autre morsure dans l’espace.
On retiendra cette scène violente de Matias Pilet sur le texte poignant de Champion qui énonce ce qu’il ne peut plus faire : avoir un orgasme, monter un escalier, nager dans sa rivière fétiche… Empruntant ce corps disloqué, Pilet se lance avec frénésie dans une série de figures projetées avec puissance, et échouant avec fracas. Mais il sera sauvé par son complice Alexandre Fournier, le porteur, l’ami indéfectible qui l’emportera à nouveau vers les sommets de l’impossible, dans un pas de deux qui n’est pas sans rappeler le célèbre combat devant le foyer entre Alan Bates et Oliver Reed dans le film Love de Ken Russel.
Acrobates est un spectacle de lumière, une démonstration du dépassement de soi, une invitation à jubiler au-dessus des cendres de la mort. Tendresse, émotion, amitié, persévérance, et surtout le désir d’abattre les murs et les limites autant de notre corps que de nos rêves constituent la matière même de cette émouvante production.
Mais, petit bémol, la pure acrobatie finale vient souligner de manière trop appuyée, et un peu longue, que ce sont aussi… des acrobates. J’aurais préféré les garder dans ma tête comme des poètes du corps en fusion avec l’espace, des aèdes primitifs surgis de l’Antiquité pour nous rappeler que le monde est un amalgame intransigeant et merveilleux, que nous pouvons être plus grands que nature.
Acrobates
Mise en scène de Stéphane Ricordel. Une production du Théâtre Le Monfort, Paris. Au Pavillon du commerce, dans le cadre du Carrefour international de théâtre, jusqu’au 12 juin 2014. À l’Usine C, à l’occasion de Montréal Complètement Cirque, du 4 au 7 juillet 2014.