Créée en 1897, la pièce d’Edmond Rostand est sans nul doute l’une des plus emblématiques du théâtre français, et peut-être même du théâtre occidental. Les ingrédients de son succès? Guerre et amour, poésie et humour, fourberie et bravoure. Entre autres.
Ces dernières années, la pièce a été montée à la Comédie-Française par Denis Podalydès et au Théâtre National de Bretagne à Rennes par Dominique Pitoiset. En 2008, au Trident, à Québec, Marie Gignac confiait l’imposant rôle à Hugues Frenette. Ces jours-ci, entre les murs du TNM, presque 20 ans après que Guy Nadon y ait brulé les planches dans la relecture d’Alice Ronfard, c’est au tour de Serge Denoncourt et Patrice Robitaille de se frotter au mythe.
Plus encore que tous les irrésistibles éléments qui la composent, ce qui fait la pertinence contemporaine de la «comédie héroïque» de Rostand, c’est le personnage qui se consume en son sein. Cyrano est une pierre brute. Intègre, honnête, futé et fidèle, on serait presque tenté d’écrire incorruptible, l’homme en est un de convictions. Son nez, pas tout à fait comme celui des autres, disons plus grand que la moyenne, n’a d’égal que son âme.
À une époque où on croise bien peu d’hommes de sa trempe, les tirades de Cyrano résonnent haut et fort. «Non, merci! Calculer, avoir peur, être blême / Préférer faire une visite qu’un poème / Rédiger des placets, se faire présenter? / Non, merci! non, merci! non, merci! Mais… chanter / Rêver, rire, passer, être seul, être libre / Avoir l’œil qui regarde bien, la voix qui vibre / Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers / Pour un oui, pour un non, se battre, — ou faire un vers!»
Le spectacle orchestré par Serge Denoncourt est sans grandes surprises. Pas une profonde relecture, pas une étonnante transposition, pas une véritable appropriation. Ce que le metteur en scène nous offre, et c’est déjà beaucoup, c’est la justesse. La justesse de ton, celle qui relie les idées, les émotions et les actions, cet équilibre délicat entre la légèreté et la gravité, les rires et les larmes, la tragédie et le mélodrame.
Les costumes de François Barbeau sont superbes et le décor de Guillaume Lord, éclairé avec soin par Étienne Boucher, évoque habilement les multiples lieux. La machine est bien huilée et le temps passe sans qu’on s’en rende compte. Mais l’essentiel réside ailleurs, c’est-à-dire dans la remarquable interprétation des 20 comédiens. Préservés de la caricature, livrés avec les nuances qui s’imposent, les mots de Rostand émeuvent, choquent et ravissent.
À l’hôtel de Bourgogne, tout comme chez les cadets de Gascogne, l’homosensualité est palpable. Pour mettre un peu de piquant, Denoncourt a choisi d’instaurer une tension que ne renieraient pas Jean Genet ou Michel Marc Bouchard. Pour nous faire rire, il y a l’extravagant Brissaille, que Samuël Côté défend avec un plaisir communicatif, et Ragueneau, pâtissier et poète, que Normand Lévesque rend tout simplement désopilant.
Dans le rôle toujours un peu ingrat de Christian, François-Xavier Dufour s’en tire fort bien, exprimant habilement la maladresse du jeune premier, son impuissance à verbaliser des sentiments qui n’en sont pas moins purs. Rayonnante, Magalie Lépine-Blondeau donne à sa Roxane une perspicacité qu’on lui attribue rarement. Le personnage n’en est que plus crédible.
Pour Patrice Robitaille, pas de doute, le défi est relevé. Non seulement le comédien maitrise brillamment le vers, mais il donne à son Cyrano une humanité qui rompt avec la grandiloquence et le snobisme qu’on lui associe souvent. Chez l’acteur, on sent la détermination des opprimés, les idéaux du peuple et le désir viscéral de la jeunesse. Sa force vive irrigue la représentation de bout en bout. Gageons que l’aventure ne fait que commencer et que l’homme n’est pas près d’accrocher son panache.
Texte: Edmond Rostand. Mise en scène: Serge Denoncourt. Scénographie: Guillaume Lord. Éclairages: Étienne Boucher. Costumes: François Barbeau. Maquillages: Amélie Bruneau-Longpré. Accessoires: Julie Measroch. Musique: Philip Pinsky. Chorégraphie des combats: Huy Phong Doan. Avec Frédérick Bouffard, Jean-Philippe Baril Guérard, Luc Bourgeois, Samuël Côté, Maxime René De Cotret, François-Xavier Dufour, Annette Garant, Frédéric-Antoine Guimond, Xavier Huard, Agathe Lanctôt, Benoit Landry, Magalie Lépine-Blondeau, Normand Lévesque, Jean-Moïse Martin, Daniel Parent, Éric Robidoux, Patrice Robitaille, Gabriel Sabourin, Lénie Scoffié et Philippe Thibault-Denis. Une production Cyrano de Bergerac inc., en collaboration avec le Théâtre du Nouveau Monde et Juste pour rire. Au TNM jusqu’au 30 août 2014.
Créée en 1897, la pièce d’Edmond Rostand est sans nul doute l’une des plus emblématiques du théâtre français, et peut-être même du théâtre occidental. Les ingrédients de son succès? Guerre et amour, poésie et humour, fourberie et bravoure. Entre autres.
Ces dernières années, la pièce a été montée à la Comédie-Française par Denis Podalydès et au Théâtre National de Bretagne à Rennes par Dominique Pitoiset. En 2008, au Trident, à Québec, Marie Gignac confiait l’imposant rôle à Hugues Frenette. Ces jours-ci, entre les murs du TNM, presque 20 ans après que Guy Nadon y ait brulé les planches dans la relecture d’Alice Ronfard, c’est au tour de Serge Denoncourt et Patrice Robitaille de se frotter au mythe.
Plus encore que tous les irrésistibles éléments qui la composent, ce qui fait la pertinence contemporaine de la «comédie héroïque» de Rostand, c’est le personnage qui se consume en son sein. Cyrano est une pierre brute. Intègre, honnête, futé et fidèle, on serait presque tenté d’écrire incorruptible, l’homme en est un de convictions. Son nez, pas tout à fait comme celui des autres, disons plus grand que la moyenne, n’a d’égal que son âme.
À une époque où on croise bien peu d’hommes de sa trempe, les tirades de Cyrano résonnent haut et fort. «Non, merci! Calculer, avoir peur, être blême / Préférer faire une visite qu’un poème / Rédiger des placets, se faire présenter? / Non, merci! non, merci! non, merci! Mais… chanter / Rêver, rire, passer, être seul, être libre / Avoir l’œil qui regarde bien, la voix qui vibre / Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers / Pour un oui, pour un non, se battre, — ou faire un vers!»
Le spectacle orchestré par Serge Denoncourt est sans grandes surprises. Pas une profonde relecture, pas une étonnante transposition, pas une véritable appropriation. Ce que le metteur en scène nous offre, et c’est déjà beaucoup, c’est la justesse. La justesse de ton, celle qui relie les idées, les émotions et les actions, cet équilibre délicat entre la légèreté et la gravité, les rires et les larmes, la tragédie et le mélodrame.
Les costumes de François Barbeau sont superbes et le décor de Guillaume Lord, éclairé avec soin par Étienne Boucher, évoque habilement les multiples lieux. La machine est bien huilée et le temps passe sans qu’on s’en rende compte. Mais l’essentiel réside ailleurs, c’est-à-dire dans la remarquable interprétation des 20 comédiens. Préservés de la caricature, livrés avec les nuances qui s’imposent, les mots de Rostand émeuvent, choquent et ravissent.
À l’hôtel de Bourgogne, tout comme chez les cadets de Gascogne, l’homosensualité est palpable. Pour mettre un peu de piquant, Denoncourt a choisi d’instaurer une tension que ne renieraient pas Jean Genet ou Michel Marc Bouchard. Pour nous faire rire, il y a l’extravagant Brissaille, que Samuël Côté défend avec un plaisir communicatif, et Ragueneau, pâtissier et poète, que Normand Lévesque rend tout simplement désopilant.
Dans le rôle toujours un peu ingrat de Christian, François-Xavier Dufour s’en tire fort bien, exprimant habilement la maladresse du jeune premier, son impuissance à verbaliser des sentiments qui n’en sont pas moins purs. Rayonnante, Magalie Lépine-Blondeau donne à sa Roxane une perspicacité qu’on lui attribue rarement. Le personnage n’en est que plus crédible.
Pour Patrice Robitaille, pas de doute, le défi est relevé. Non seulement le comédien maitrise brillamment le vers, mais il donne à son Cyrano une humanité qui rompt avec la grandiloquence et le snobisme qu’on lui associe souvent. Chez l’acteur, on sent la détermination des opprimés, les idéaux du peuple et le désir viscéral de la jeunesse. Sa force vive irrigue la représentation de bout en bout. Gageons que l’aventure ne fait que commencer et que l’homme n’est pas près d’accrocher son panache.
Cyrano de Bergerac
Texte: Edmond Rostand. Mise en scène: Serge Denoncourt. Scénographie: Guillaume Lord. Éclairages: Étienne Boucher. Costumes: François Barbeau. Maquillages: Amélie Bruneau-Longpré. Accessoires: Julie Measroch. Musique: Philip Pinsky. Chorégraphie des combats: Huy Phong Doan. Avec Frédérick Bouffard, Jean-Philippe Baril Guérard, Luc Bourgeois, Samuël Côté, Maxime René De Cotret, François-Xavier Dufour, Annette Garant, Frédéric-Antoine Guimond, Xavier Huard, Agathe Lanctôt, Benoit Landry, Magalie Lépine-Blondeau, Normand Lévesque, Jean-Moïse Martin, Daniel Parent, Éric Robidoux, Patrice Robitaille, Gabriel Sabourin, Lénie Scoffié et Philippe Thibault-Denis. Une production Cyrano de Bergerac inc., en collaboration avec le Théâtre du Nouveau Monde et Juste pour rire. Au TNM jusqu’au 30 août 2014.