Christina, The Girl King
La pièce de Michel Marc Bouchard, Christine, la reine-garçon, présentée à Stratford dans la traduction de Linda Gaboriau sous le titre Christina, The Girl King, plaît au public de Stratford; on vient même d’annoncer l’ajout de quelques représentations supplémentaires. Devrait-on s’en étonner?
Il faut souligner que la traduction de la pièce a été commissionnée en 2010, soit deux ans avant la production du TNM (dans la mise en scène de Serge Denoncourt), et donc que le directeur artistique du festival de Stratford, Antoni Cimolino, sans même connaître le succès de la pièce au Québec, a cru que le public de Stratford pourrait bien l’accueillir.
Mais il faut également louer la mise en scène de Vanessa Porteous (une metteure en scène albertaine s’étant surtout intéressée au théâtre canadien anglais, qui fait ses débuts à Stratford), le jeu des acteurs principaux (Jenny Young dans le rôle de Christina et Graham Abbey dans celui de Johan Oxenstierna), de même que la scénographie de Michael Gianfrancesco qui, par son côté épuré, permet au drame de résonner par-delà son contexte historique.
Au fond de la scène, un écran lumineux avec des bois de cervidés, qui apparaît tantôt comme un tableau abstrait, tantôt comme un écran transparent pour le hors-scène, et qui semble en premier symboliser la masculinité et l’indompté, en s’opposant tout à la fois au féminin et aux codes de la cour ou du politique. Quant aux costumes, s’ils n’ont peut-être pas l’extravagance et la magnificence de ceux de François Barbeau, ils combinent tout autant les éléments empruntés au XVIIe siècle (pour les robes et les toges) à des éléments plus contemporains (pour les bottes et l’utilisation du cuir), faisant souvent hésiter la pièce (surtout pour le personnage de la mère, jouée ici merveilleusement par Patricia Collins) entre le grotesque et le sublime, tout comme entre le réel (historique) et l’imaginaire ou la fiction.
Mais encore… N’est-il pas tout de même étonnant qu’une pièce qui, originalement, comportait une dimension allégorique, s’ancrant dans les problèmes d’identité de la reine de Suède, tout autant que dans les rapports de deux pays nordiques (la Suède et le Québec), puisse aussi rejoindre un public composé de Canadiens anglais et d’Américains (nombreux à Stratford)?
En fait, dans le contexte de Stratford, le voisinage des autres productions de cette édition du festival – tout autant que la mémoire des pièces des années précédentes, et en particulier celles de Shakespeare – nous permet de lire autrement l’œuvre de Michel Marc Bouchard, en lui donnant une certaine universalité, c’est-à-dire en ramenant à l’avant-plan (par-delà les pays et les époques) les rapports entre l’amour et le pouvoir, l’interdit et la transgression, l’individu et le social. Qui l’aurait cru? Bouchard nous aide à lire Shakespeare, tout autant que Shakespeare éclaire la pièce de Bouchard. Je veux croire d’ailleurs que la langue poétique de Christine, la reine-garçon, bien rendue tout autant par la traductrice (qui se permet certaines libertés dès le titre, en faisant de la « reine-garçon » un « roi-fille ») que par le jeu des comédiens, n’est peut-être pas pour rien dans ce parallèle un peu inusité.
Antony and Cleopatra
La sensualité et l’érotisme de Christina m’ont amenée à revoir la question de la sexualité dans Antony and Cleopatra où l’interdit, de nature ici surtout politique, exacerbe aussi le désir. Les scènes, plus rares et moins appuyées, qui montrent le désir des amants chez Shakespeare ne nous interpellent pas autant; beaucoup plus bavardes, elles ne font que suggérer une relation basée sur le plaisir des sens, et cela malgré le charisme de Geraint Wyn Davis (en Marc Antony) et de Yanna McIntosh, deux acteurs chevronnés de Stratford qui ont sur scène une grande connivence.
Si, dans les deux pièces, l’intensité du désir empêche les individus de diriger et d’exercer leur pouvoir, entraînant en quelque sorte leur chute (chez Antony) ou le retrait de la politique (chez Christina), la pièce de Shakespeare, où les questions politiques de Rome sont largement débattues, fait plus appel à la raison du spectateur que celle de Bouchard, qui se joue au niveau des affects et des sens. Mais, d’une certaine façon, la pièce de Bouchard nous amène à repenser le personnage de Cleopatra comme une « reine-garçon », dans la mesure où son pouvoir de séduction comporte également un aspect transgressif, qui l’amène à subvertir l’autorité du général dont elle est l’amante passionnée.
Et si, avec Shakespeare, on voyage dans le temps (de l’époque élisabéthaine à l’empire romain), la pièce est surtout structurée autour des deux espaces de Rome et de l’Égypte, qui, respectivement, incarnent la raison et la guerre (pour le général romain et les intrigues du triumvirat) et l’amour et la luxure (pour la sensuelle Cleopatra). À ce titre, la mise en scène de Gary Griffin, qui passe d’un lieu à l’autre avec aisance, (avec par exemple des lanternes qui descendent sur la scène pour les scènes égyptiennes et l’utilisation fréquente d’un balcon pour les intrigues politiques), demeure efficace et fluide.
Le suicide des amants, en particulier celui de Cleopatra qui se laisse empoisonner par des serpents qu’elle porte littéralement à ses seins, condense tout le tragique de la pièce, mais aussi, peut-être, une sexualité qui conduit les personnages au bord de l’abîme… comme une ultime transgression.
Texte de Michel Marc Bouchard. Mise en scène de Vanessa Porteous. Au Studio Theatre jusqu’au 28 septembre 2014.
Texte de Shakespeare. Mise en scène de Gary Griffin. Au Tom Patterson Theatre jusqu’au 28 septembre 2014.
Christina, The Girl King
La pièce de Michel Marc Bouchard, Christine, la reine-garçon, présentée à Stratford dans la traduction de Linda Gaboriau sous le titre Christina, The Girl King, plaît au public de Stratford; on vient même d’annoncer l’ajout de quelques représentations supplémentaires. Devrait-on s’en étonner?
Il faut souligner que la traduction de la pièce a été commissionnée en 2010, soit deux ans avant la production du TNM (dans la mise en scène de Serge Denoncourt), et donc que le directeur artistique du festival de Stratford, Antoni Cimolino, sans même connaître le succès de la pièce au Québec, a cru que le public de Stratford pourrait bien l’accueillir.
Mais il faut également louer la mise en scène de Vanessa Porteous (une metteure en scène albertaine s’étant surtout intéressée au théâtre canadien anglais, qui fait ses débuts à Stratford), le jeu des acteurs principaux (Jenny Young dans le rôle de Christina et Graham Abbey dans celui de Johan Oxenstierna), de même que la scénographie de Michael Gianfrancesco qui, par son côté épuré, permet au drame de résonner par-delà son contexte historique.
Au fond de la scène, un écran lumineux avec des bois de cervidés, qui apparaît tantôt comme un tableau abstrait, tantôt comme un écran transparent pour le hors-scène, et qui semble en premier symboliser la masculinité et l’indompté, en s’opposant tout à la fois au féminin et aux codes de la cour ou du politique. Quant aux costumes, s’ils n’ont peut-être pas l’extravagance et la magnificence de ceux de François Barbeau, ils combinent tout autant les éléments empruntés au XVIIe siècle (pour les robes et les toges) à des éléments plus contemporains (pour les bottes et l’utilisation du cuir), faisant souvent hésiter la pièce (surtout pour le personnage de la mère, jouée ici merveilleusement par Patricia Collins) entre le grotesque et le sublime, tout comme entre le réel (historique) et l’imaginaire ou la fiction.
Mais encore… N’est-il pas tout de même étonnant qu’une pièce qui, originalement, comportait une dimension allégorique, s’ancrant dans les problèmes d’identité de la reine de Suède, tout autant que dans les rapports de deux pays nordiques (la Suède et le Québec), puisse aussi rejoindre un public composé de Canadiens anglais et d’Américains (nombreux à Stratford)?
En fait, dans le contexte de Stratford, le voisinage des autres productions de cette édition du festival – tout autant que la mémoire des pièces des années précédentes, et en particulier celles de Shakespeare – nous permet de lire autrement l’œuvre de Michel Marc Bouchard, en lui donnant une certaine universalité, c’est-à-dire en ramenant à l’avant-plan (par-delà les pays et les époques) les rapports entre l’amour et le pouvoir, l’interdit et la transgression, l’individu et le social. Qui l’aurait cru? Bouchard nous aide à lire Shakespeare, tout autant que Shakespeare éclaire la pièce de Bouchard. Je veux croire d’ailleurs que la langue poétique de Christine, la reine-garçon, bien rendue tout autant par la traductrice (qui se permet certaines libertés dès le titre, en faisant de la « reine-garçon » un « roi-fille ») que par le jeu des comédiens, n’est peut-être pas pour rien dans ce parallèle un peu inusité.
Antony and Cleopatra
La sensualité et l’érotisme de Christina m’ont amenée à revoir la question de la sexualité dans Antony and Cleopatra où l’interdit, de nature ici surtout politique, exacerbe aussi le désir. Les scènes, plus rares et moins appuyées, qui montrent le désir des amants chez Shakespeare ne nous interpellent pas autant; beaucoup plus bavardes, elles ne font que suggérer une relation basée sur le plaisir des sens, et cela malgré le charisme de Geraint Wyn Davis (en Marc Antony) et de Yanna McIntosh, deux acteurs chevronnés de Stratford qui ont sur scène une grande connivence.
Si, dans les deux pièces, l’intensité du désir empêche les individus de diriger et d’exercer leur pouvoir, entraînant en quelque sorte leur chute (chez Antony) ou le retrait de la politique (chez Christina), la pièce de Shakespeare, où les questions politiques de Rome sont largement débattues, fait plus appel à la raison du spectateur que celle de Bouchard, qui se joue au niveau des affects et des sens. Mais, d’une certaine façon, la pièce de Bouchard nous amène à repenser le personnage de Cleopatra comme une « reine-garçon », dans la mesure où son pouvoir de séduction comporte également un aspect transgressif, qui l’amène à subvertir l’autorité du général dont elle est l’amante passionnée.
Et si, avec Shakespeare, on voyage dans le temps (de l’époque élisabéthaine à l’empire romain), la pièce est surtout structurée autour des deux espaces de Rome et de l’Égypte, qui, respectivement, incarnent la raison et la guerre (pour le général romain et les intrigues du triumvirat) et l’amour et la luxure (pour la sensuelle Cleopatra). À ce titre, la mise en scène de Gary Griffin, qui passe d’un lieu à l’autre avec aisance, (avec par exemple des lanternes qui descendent sur la scène pour les scènes égyptiennes et l’utilisation fréquente d’un balcon pour les intrigues politiques), demeure efficace et fluide.
Le suicide des amants, en particulier celui de Cleopatra qui se laisse empoisonner par des serpents qu’elle porte littéralement à ses seins, condense tout le tragique de la pièce, mais aussi, peut-être, une sexualité qui conduit les personnages au bord de l’abîme… comme une ultime transgression.
Christina The Girl King
Texte de Michel Marc Bouchard. Mise en scène de Vanessa Porteous. Au Studio Theatre jusqu’au 28 septembre 2014.
Antony and Cleopatra
Texte de Shakespeare. Mise en scène de Gary Griffin. Au Tom Patterson Theatre jusqu’au 28 septembre 2014.