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Francesca Barcenas et Hubert Lemire : le fonds et la forme

© David Ospina

Comédiens et fondateurs du Théâtre DuBunker, Francesca Barcenas et Hubert Lemire exercent en fait plusieurs métiers : ils sont directeurs, producteurs, administrateurs, attachés de presse, chargés de la diffusion, des communications et du développement de leur compagnie. Bref, ce sont des artistes.

Ils sont de la distribution du NoShow, un spectacle interactif et performatif mis en scène par Alexandre Fecteau. Présenté d’abord au Carrefour international de Québec, puis au Festival TransAmériques, Le NoShow pose clairement la question : combien vaut une pièce de théâtre ? Plus largement, on s’interroge sur le métier de comédien et sur la valeur accordée à la culture dans une société dont les têtes pensantes estiment que les bibliothèques ont trop de livres… Voici quelques lignes d’une conversation à  bâtons rompus avec Hubert et Francesca, artistes passionnés et passionnants.

L’art naît de la contrainte

Hubert : Quand Alexandre Fecteau répétait pour Changing Room, son spectacle précédent, il avait de la difficulté à réunir tous ses acteurs, pris par leurs boulots d’appoint. Il a imaginé un spectacle où les acteurs ne seraient pas tous là, puisque occupés à gagner leur vie ailleurs. L’idée s’est développée ensuite avec la problématique des subventions : quand on obtient un soutien financier, on ne reçoit qu’une fraction de ce qu’on a demandé, et il nous faut faire la même chose avec trois fois moins d’argent. Le seul endroit où on peut couper, c’est le salaire des artistes, puisque les frais de production, eux, sont incompressibles.

Ensuite, on s’est posé la question : sur quel spectacle pourrait-on faire grève ? On a d’abord pensé à une fiction puis, on a évoqué la possibilité de monter Roméo et Juliette parce que, même avec des acteurs en moins, le public pourrait comprendre l’histoire. Ensuite, on a demandé à des auteurs de nous écrire une histoire d’artistes de la bohème, de passionnés purs et durs, mais ça virait en petite comédie pas drôle, et ça ne marchait pas…

Francesca : Tout ceci pour réaliser que nous étions les bohèmes, et qu’on se trompait en allant chercher d’autres histoires. La réalité dépasse toujours la fiction… Aussi, nous avons puisé dans notre réalité pour écrire notre fiction.

Hubert : Si on avait eu le financement demandé pour la création du spectacle au Carrefour international de théâtre, en 2011, Le NoShow ne serait pas ce qu’il est. Mais nous n’avons rien eu. Pas d’argent pour un décor, pas d’argent pour rien. C’est ainsi qu’est née l’idée de la conférence, avec une série de numéros auto-fictionnels.

Francesca : Pendant le processus de création, qui a duré plus de trois ans, Alexandre nous a posé beaucoup de questions, sur notre rapport à notre métier, à l’argent, à la reconnaissance…

Hubert : Et ces réflexions ont été notre matériau de départ. Nous avons ensuite travaillé avec Maxime Robin à l’écriture des autofictions.

Gagner sa vie

Le NoShow dénonce le manque criant de financement qui touche le milieu culturel, en soulignant notamment les montant faramineux des subventions accordées aux multinationales et les miettes données aux artistes.

Hubert : Si ce ne sont que les artistes qui revendiquent l’art, il y a conflit d’intérêt. Nous avons besoin de financement pour gagner nos vies, oui, mais il faut que le public le veuille aussi ! Je rêve d’une société qui serait bâtie sur la culture, où le public serait sensibilisé à la nécessité de l’art.

Francesca : Une de mes tantes m’a un jour lancé candidement : «Tu pars en tournée avec notre argent.» Le préjugé envers les artistes existe dans ma propre famille !

Hubert : Ce n’est pas normal qu’on ne puisse pas gagner sa vie en exerçant son métier. L’an dernier, j’ai joué dans sept spectacles mais, si je n’avais pas tourné deux publicités, je ne bouclais pas ma saison. Cela semble difficile de travailler toute la journée et de jouer le soir, et pourtant c’est ce que font certains comédiens du NoShow. À 50 $ de cachet par représentation, on n’a pas vraiment le choix…

Créer et résister

Hubert : Faire du théâtre, c’est un acte de résistance. Ce spectacle m’a conscientisé, il m’a permis de nommer ma révolte. Ça fait 9 ans que nous sommes sortis du Conservatoire, et on travaille, dieu merci, mais pour combien de temps ? On ne sait pas. Jouer ce spectacle me fait du bien. Nous sommes engagés aussi parce qu’on parle de nous. Habituellement, un acteur exprime ce qu’on lui demande, à travers les mots d’un autre, mais là, on s’expose, on se livre.

Francesca : Pour moi, le spectacle a été l’occasion de faire le point, de savoir pourquoi je fais ce métier. De comprendre comment passer à travers les mauvais moments, sans désespérer. Il m’a permis de savoir d’où je viens, où je suis et où je veux aller.

Hubert : Quand j’étais en France, il y a deux ans, je voyais mes collègues, plus jeunes que moi, à peine sortis du Conservatoire de Paris, refuser des rôles dans des théâtres prestigieux comme celui de la Colline. J’en avais des vertiges, je pensais que jamais je ne pourrais faire ça, refuser un rôle.

Francesca : Dans les moments creux, je me dis : Quel est mon plan B ? Je voulais être médecin, alors, j’arrête tout et je commence mes études de médecine ? J’ai pensé devenir fleuriste, j’ai pensé à plein de métiers… Ce spectacle m’a aidée à m’assumer et à cesser de chercher d’autres voies, plus sécurisantes peut-être, mais qui ne me ressemblent pas. Je  m’affirme en tant qu’artiste, et cela, malgré les hauts et les bas.

Hubert : Si j’abandonnais le théâtre, ce serait comme une rupture amoureuse et ce serait difficile de rester des amis, comme on dit. Je serais tellement en peine d’amour avec le théâtre que je ne pourrais plus en voir… Aussi, je ne peux pas arrêter d’en faire, c’est toute ma vie depuis que j’ai 12 ans. Le problème, c’est que notre métier ne nous permet pas d’en vivre.

Tenter de vivre

Après la série de représentations à Espace Libre, Le NoShow sera présenté au Théâtre de Vanves, près de Paris, et à Marseille, à l’occasion du festival Actoral.

Hubert : Nous avons très hâte de voir comment ce sera perçu, comment on sera entendu. Le rapport à l’argent est différent en France, les artistes y sont un peu moins pauvres, grâce au régime intermittent.

Le NoShow

Idée originale et mise en scène : Alexandre Fecteau. Texte : François Bernier, Alexandre Fecteau, Hubert Lemire et Maxime Robin, avec la collaboration des acteurs. Vidéo : Marilyn Laflamme. Son : Olivier Gaudet-Savard. Éclairages : Renaud Pettigrew. Avec François Bernier, Véronique Chaumont, Hubert Lemire, Annabelle Pelletier-Legros, Ève Pressault, Sophie Thibeault et Jean-Michel Girouard (en alternance avec Julien Storini). Une coproduction du collectif Nous sommes ici et du Théâtre DuBunker. Au 11 à Avignon du 6 au 28 juillet 2017.