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Alexandre Fecteau : Les Fées existent, je les ai rencontrées

Le Théâtre de la Bordée ouvre sa saison avec la pièce de Denise Boucher, Les Fées ont soif qui, lors de sa création en 1978, avait provoqué une polémique auprès de la droite catholique, qui criait au blasphème. Devenu emblématique du mouvement féministe, le texte dénonce les archétypes, la Vierge, la Maman et la Putain, dans lesquels, selon l’auteure, étaient confinées les femmes.

L’originalité de la démarche tient au fait que Jacques Leblanc, directeur artistique de la Bordée, ait confié la mise en scène de ce morceau du répertoire à l’irrévérencieux Alexandre Fecteau, jeune metteur en scène connu pour son docu-théâtre interactif et performatif (Changing Room, Le NoShow). Si le propos est toujours d’actualité, la forme, quant à elle, risque d’être sérieusement dépoussiérée…

Entrevue avec Alexandre Fecteau sur quelques questions au sujet du spectacle, et sur la vie en général.

Le texte

« Pendant qu’on répétait le spectacle, avait lieu le procès en cour martiale au sujet de l’agression sexuelle d’une femme militaire, raconte au téléphone Alexandre Fecteau. Si le texte est ancré dans son époque, nous l’avons travaillé pour le rendre plus contemporain, plus performatif que l’original, qui était proche d’un récital, avec une mise en scène très codée et des espaces précis. Là, on est dans quelque chose de chaotique, qui correspond mieux aux sensibilités d’aujourd’hui. Mais le texte n’a pas pris une ride au sujet des inégalités qu’il décrit. Ce qui veut dire – et c’est un constat est un peu déprimant – que nous n’avons pas fait autant de chemin qu’on voudrait le croire. »

« Comparée au discours féministe actuel, il y a chez Denise Boucher une parole décomplexée, ces femmes ne s’excusent pas de vouloir parler d’elles. Dans le spectacle, on retourne à l’origine de cette parole, et ça fait du bien. J’ai apporté quelques petits ajouts au texte, avec ce que m’ont donné les comédiennes. »

« Féministe reste une étiquette difficile à porter, même si le mot revient à la mode. Je ne sais pas si c’est une bonne chose, si cela veut dire que le terme est accepté et revendiqué, ou tout simplement galvaudé. Du côté des femmes, je pense qu’il reste une indignation, plus calme et moins révolutionnaire, qui avance tranquillement. Au mode combatif, on préfère tendre la main, sans pour autant faire de concessions. »

L’archétype féminin

« La Mère et la Prostituée sont des archétypes encore très forts. La Vierge, c’est autre chose… Avec le déclin du pouvoir de la religion dans nos vies, l’idée de virginité s’est modulée pour devenir une sorte d’idéal, qui n’a pas nécessairement de lien avec le religieux, ni avec la virginité en tant que telle. Ce qu’il nous reste de la Vierge, c’est une virtualité, un idéal inatteignable et très présent en tant qu’influence, qui peut rendre les femmes plus malheureuses que l’image de la Vierge ne pouvait le faire. »

Les trois comédiennes

« Elles se sont complètement impliquées dans le processus, nous avons créé le spectacle ensemble. Tout  a été réfléchi, discuté et imaginé à quatre. Nous faisons une très belle équipe ! »

« La Mère est interprétée par Lise Castonguay, elle est la seule des trois qui a des enfants. Lise s’assure qu’on ne dérape pas, surtout quand je fais preuve d’audace ! C’est elle qui est la plus attachée au texte, qui nous y ramène toujours. Elle compose une Marie merveilleuse, évoluant dans un univers où elle se retrouve, avec cette énergie qui flirte avec la peur, l’ennui, les médicaments… Ça lui va très bien. »

« Lorraine Côté est Madeleine, la Prostituée. Lorraine est une fonceuse, elle est prête à tout ! Un engagement qui va se traduire sur scène : on va découvrir une nouvelle facette de l’interprète hors du commun qu’on connaît déjà. Complètement embarquée dans la proposition interactive, elle va rendre le personnage avec intensité et nuances. »

« Marie-Ginette Guay fait la Statue, et elle a accepté tout ce que je lui ai proposé. Pourtant, elle se retrouve avec un jeu assez ingrat : jouer une statue implique certaines contraintes ! Marie-Ginette, c’est l’amoureuse des mots, celle qui prend soin de la poésie du texte de Denise Boucher. »

La mise en scène

« Les comédiennes vont prendre la parole, dire ce qu’elles pensent. Tout en poursuivant une démarche documentaire, le spectacle sera bien entendu performatif et interactif, notamment dans les actions posées par les comédiennes. Le spectacle est exigeant physiquement, et les costumes, contraignants. Le corps des actrices est très sollicité pendant la représentation. Enfin, la musique a été composée par Maude Audet, qui travaille avec Navet Confit. Il y a sept chansons dans le spectacle et je suis très heureux de ce qu’ils ont fait. Un véritable renouveau musical qui va amener le spectacle dans le 21e siècle. »

Les Fées ont soif

Texte de Denise Boucher. Mise en scène d’Alexandre Fecteau. Au Théâtre de la Bordée du 16 septembre au 11 octobre 2014.