Unique et posthume recueil de la poète Geneviève Desrosiers, Nombreux seront nos ennemis est un objet devenu culte, que l’on jalouse, auquel on revient de temps en temps, que l’on offre aux amis quand on réussit à en dénicher un exemplaire dans une bouquinerie.
L’écriture de la jeune femme, fauchée en 1996 à l’âge de 26 ans, après une chute d’un balcon lors d’une soirée chez son ami le peintre Serge Lemoyne, demeure d’une rare puissance et dénote une réelle clairvoyance. Si son écriture part du ventre et du « je » (« Vingt-trois je pour une centaine de lignes. Ma foi le compte y est… »), elle se veut toujours inclusive, tournée vers l’autre, englobante, comme Nous, devenu poème phare.
Comment réussir à transmettre sur scène les multiples facettes du travail de Desrosiers, qui avait abordé la composition dramatique avec Denise Boucher et étudiait en arts visuels à l’UQAM ? La production pluridisciplinaire mise en scène par Hanna Abd El Nour n’offre certes pas de réponse cohérente.
Oui, Desrosiers refusait de s’inscrire dans un cadre, cherchait encore à orienter sa démarche artistique. Ce n’est certainement pas une raison pour présenter un objet aux contours insaisissables, qui accumule les poncifs éculés de la danse contemporaine (courses frénétiques sans direction, contorsions inutiles des corps), juxtapose sans logique apparente déclamations senties et d’autres vidées de tout sens (Bienvenue perd ici toute sa force), plaque des vidéos qui n’ajoutent rien à la donne (sauf de distraire le spectateur qui, par moments, a la vive impression d’être pris en otage) et quelques fragments de musique atmosphérique (plutôt intéressants cependant, de Jean-François Blouin).
Tout n’est pas à balayer du revers de la main. Soulignons ici l’aisance avec laquelle Emmanuel Schwartz et surtout Dany Boudreault parviennent à habiter l’espace, le traitement soigneux des éclairages signés Martin Sirois – sauf quand on surligne un peu trop abondamment cette notion de rai de lumière –, l’installation d’Éric Cardinal qui rappelle la démarche de plasticienne de Desrosiers, les corps qui deviennent eux-mêmes objets d’art grâce à une série d’arrêts sur image.
Mais avait-on besoin d’utiliser les textes comme autant de leitmotive qui finissent par étourdir et susciter par moment la nausée, pousser les interprètes littéralement à bout de souffle avant qu’ils ne récitent un texte (ou qu’ils le fassent la tête en bas ou en position de planche, clin d’œil un peu grossier à la chute de Desrosiers), bloquer l’émission sonore de façon concertée ? La poète n’avait pourtant aucune difficulté à affirmer sa voix et articuler son propos.
On sort de la salle avec l’impression d’avoir été aspiré par un vortex qui dénature l’essence même du recueil, dont on relira des fragments dans l’urgence, dans l’espoir de ressentir un quelconque apaisement. « Les paradoxes et les errances seront nos pains quotidiens. » Desrosiers ne croyait pas si bien dire…
Texte de Geneviève Desrosiers. Mise en scène de Hanna Abd El Nour. Une coproduction de l’URD, de Volte 21 et du Théâtre Péril. Au Théâtre La Chapelle jusqu’au 20 septembre 2014.
Unique et posthume recueil de la poète Geneviève Desrosiers, Nombreux seront nos ennemis est un objet devenu culte, que l’on jalouse, auquel on revient de temps en temps, que l’on offre aux amis quand on réussit à en dénicher un exemplaire dans une bouquinerie.
L’écriture de la jeune femme, fauchée en 1996 à l’âge de 26 ans, après une chute d’un balcon lors d’une soirée chez son ami le peintre Serge Lemoyne, demeure d’une rare puissance et dénote une réelle clairvoyance. Si son écriture part du ventre et du « je » (« Vingt-trois je pour une centaine de lignes. Ma foi le compte y est… »), elle se veut toujours inclusive, tournée vers l’autre, englobante, comme Nous, devenu poème phare.
Comment réussir à transmettre sur scène les multiples facettes du travail de Desrosiers, qui avait abordé la composition dramatique avec Denise Boucher et étudiait en arts visuels à l’UQAM ? La production pluridisciplinaire mise en scène par Hanna Abd El Nour n’offre certes pas de réponse cohérente.
Oui, Desrosiers refusait de s’inscrire dans un cadre, cherchait encore à orienter sa démarche artistique. Ce n’est certainement pas une raison pour présenter un objet aux contours insaisissables, qui accumule les poncifs éculés de la danse contemporaine (courses frénétiques sans direction, contorsions inutiles des corps), juxtapose sans logique apparente déclamations senties et d’autres vidées de tout sens (Bienvenue perd ici toute sa force), plaque des vidéos qui n’ajoutent rien à la donne (sauf de distraire le spectateur qui, par moments, a la vive impression d’être pris en otage) et quelques fragments de musique atmosphérique (plutôt intéressants cependant, de Jean-François Blouin).
Tout n’est pas à balayer du revers de la main. Soulignons ici l’aisance avec laquelle Emmanuel Schwartz et surtout Dany Boudreault parviennent à habiter l’espace, le traitement soigneux des éclairages signés Martin Sirois – sauf quand on surligne un peu trop abondamment cette notion de rai de lumière –, l’installation d’Éric Cardinal qui rappelle la démarche de plasticienne de Desrosiers, les corps qui deviennent eux-mêmes objets d’art grâce à une série d’arrêts sur image.
Mais avait-on besoin d’utiliser les textes comme autant de leitmotive qui finissent par étourdir et susciter par moment la nausée, pousser les interprètes littéralement à bout de souffle avant qu’ils ne récitent un texte (ou qu’ils le fassent la tête en bas ou en position de planche, clin d’œil un peu grossier à la chute de Desrosiers), bloquer l’émission sonore de façon concertée ? La poète n’avait pourtant aucune difficulté à affirmer sa voix et articuler son propos.
On sort de la salle avec l’impression d’avoir été aspiré par un vortex qui dénature l’essence même du recueil, dont on relira des fragments dans l’urgence, dans l’espoir de ressentir un quelconque apaisement. « Les paradoxes et les errances seront nos pains quotidiens. » Desrosiers ne croyait pas si bien dire…
Nombreux seront nos ennemis
Texte de Geneviève Desrosiers. Mise en scène de Hanna Abd El Nour. Une coproduction de l’URD, de Volte 21 et du Théâtre Péril. Au Théâtre La Chapelle jusqu’au 20 septembre 2014.