Du Big Bang au vivant, c’est le titre d’un documentaire de l’astrophysicien Hubert Reeves, mais ce pourrait tout aussi bien être le sous-titre de Je n’y suis plus, ce charmant spectacle qui débute la saison 2014-2015 du Théâtre Denise-Pelletier. « Rien n’est jamais fini parce que rien ne commence », nous annonce-t-on d’entrée de jeu, à moins qu’un Big Bang intérieur ne fasse voler en éclats cette condition d’absence à soi perpétuelle dont souffre Ariane, le personnage attachant de ce monologue lucide.
Le spectacle s’ouvre sur une ambiance sonore immersive. Des grincements sourds dans l’obscurité, les sons étouffés d’une paroi qui s’apprête à céder sous la pression, les clapotis d’une matière solide en voie de liquéfaction : une jeune femme étouffée par la dérive des rapports humains et l’âpreté de la routine quotidienne s’apprête à imploser. Avec Je n’y suis plus, la comédienne Magali Lemèle et son complice musicien Jean-Sébastien Dallaire nous livrent les fragments et les éclats épars d’une « sidekick sans héroïne » ou d’une Fée Clochette sans Peter Pan, juste après sa détonation intérieure.
Cette œuvre mature est travaillée avec finesse ; une pièce d’orfèvrerie qui tire sa force et sa beauté d’une rare organicité entre la musique interne du texte de Marie-Claude Verdier, la justesse des rythmes et l’intelligence de l’environnement sonore de Jean-Sébastien Dallaire, les syncopes lumineuses de Michael Brunet et l’agilité fougueuse de Magali Lemèle, qui module habilement ce récit d’un fragment à l’autre.
La scénographie repose essentiellement sur le travail de conception de la lumière de Michael Brunet. Deux écrans blancs luminescents pivotent dans l’aire de jeu, comme deux éclats catapultés dans l’espace après l’implosion, au gré des récits d’Ariane. Ces parois mobiles éclairées aux néons sont froides et lisses, aussi aseptisées et crues que le quotidien bureaucrate qu’Ariane exècre. Clignotantes et envahissantes, elles rappellent subtilement la sphère virtuelle et ses nombreuses interfaces (téléviseur, ordinateur, téléphones, etc.) qui font bien souvent écran au réel. Dans cet espace où tout est blanc ou noir et où il est difficile de trouver des zones grises, la silhouette d’Ariane se démultiplie en de nombreuses ombres projetées sur les panneaux, témoignant habilement de la fracture interne dont elle fait le récit.
En scène, la précision du travail conjoint de Magali Lemèle et du multi-instrumentiste Jean-Sébastien Dallaire impressionne. L’univers sonore de ce dernier, enregistré en temps réel avec un effet de boucle et créé à partir d’un ensemble de percussions vocales et instrumentales, de jouets et d’objets divers est à la fois inventif, discret et d’une efficacité remarquable. Il souligne la fragmentation identitaire du personnage, en multipliant la polyrythmie et en accumulant les échos et les effets d’interférence. Les deux interprètes se répondent et oscillent entre le swing, le slam, le blues et le rock : cette architecture sonore finement achevée confère au spectacle un souffle ludique et dynamisant. Il y a donc quelque chose d’intrinsèquement musical dans cette création et en ce sens, il semble que Magali Lemèle atteint son but : à titre d’interprète, « elle « joue du personnage » comme le musicien d’un instrument. »
Dans Je n’y suis plus, l’explosion interne, issue d’abord d’un effarement, devient peu à peu un acte de résistance et un mode d’affirmation identitaire. C’est grâce à la puissance et à l’impulsion de l’éclatement que le vivant peut enfin espérer trouver sa forme. Le spectacle semble insister sur l’importance de savoir dire non, pour mieux pouvoir dire « je », et ce pour enfin pouvoir dire « nous » : une parole porteuse d’espoir, rythmée, entraînante et nécessaire. Et si ça ne faisait que commencer ?
Texte : Marie-Claude Verdier. Mise en scène : Magali Lemèle et Louise Naubert. Une coproduction de Magali Lemèle, du Théâtre français du CNA et des Créations In Vivo. À la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 19 septembre 2014.
Du Big Bang au vivant, c’est le titre d’un documentaire de l’astrophysicien Hubert Reeves, mais ce pourrait tout aussi bien être le sous-titre de Je n’y suis plus, ce charmant spectacle qui débute la saison 2014-2015 du Théâtre Denise-Pelletier. « Rien n’est jamais fini parce que rien ne commence », nous annonce-t-on d’entrée de jeu, à moins qu’un Big Bang intérieur ne fasse voler en éclats cette condition d’absence à soi perpétuelle dont souffre Ariane, le personnage attachant de ce monologue lucide.
Le spectacle s’ouvre sur une ambiance sonore immersive. Des grincements sourds dans l’obscurité, les sons étouffés d’une paroi qui s’apprête à céder sous la pression, les clapotis d’une matière solide en voie de liquéfaction : une jeune femme étouffée par la dérive des rapports humains et l’âpreté de la routine quotidienne s’apprête à imploser. Avec Je n’y suis plus, la comédienne Magali Lemèle et son complice musicien Jean-Sébastien Dallaire nous livrent les fragments et les éclats épars d’une « sidekick sans héroïne » ou d’une Fée Clochette sans Peter Pan, juste après sa détonation intérieure.
Cette œuvre mature est travaillée avec finesse ; une pièce d’orfèvrerie qui tire sa force et sa beauté d’une rare organicité entre la musique interne du texte de Marie-Claude Verdier, la justesse des rythmes et l’intelligence de l’environnement sonore de Jean-Sébastien Dallaire, les syncopes lumineuses de Michael Brunet et l’agilité fougueuse de Magali Lemèle, qui module habilement ce récit d’un fragment à l’autre.
La scénographie repose essentiellement sur le travail de conception de la lumière de Michael Brunet. Deux écrans blancs luminescents pivotent dans l’aire de jeu, comme deux éclats catapultés dans l’espace après l’implosion, au gré des récits d’Ariane. Ces parois mobiles éclairées aux néons sont froides et lisses, aussi aseptisées et crues que le quotidien bureaucrate qu’Ariane exècre. Clignotantes et envahissantes, elles rappellent subtilement la sphère virtuelle et ses nombreuses interfaces (téléviseur, ordinateur, téléphones, etc.) qui font bien souvent écran au réel. Dans cet espace où tout est blanc ou noir et où il est difficile de trouver des zones grises, la silhouette d’Ariane se démultiplie en de nombreuses ombres projetées sur les panneaux, témoignant habilement de la fracture interne dont elle fait le récit.
En scène, la précision du travail conjoint de Magali Lemèle et du multi-instrumentiste Jean-Sébastien Dallaire impressionne. L’univers sonore de ce dernier, enregistré en temps réel avec un effet de boucle et créé à partir d’un ensemble de percussions vocales et instrumentales, de jouets et d’objets divers est à la fois inventif, discret et d’une efficacité remarquable. Il souligne la fragmentation identitaire du personnage, en multipliant la polyrythmie et en accumulant les échos et les effets d’interférence. Les deux interprètes se répondent et oscillent entre le swing, le slam, le blues et le rock : cette architecture sonore finement achevée confère au spectacle un souffle ludique et dynamisant. Il y a donc quelque chose d’intrinsèquement musical dans cette création et en ce sens, il semble que Magali Lemèle atteint son but : à titre d’interprète, « elle « joue du personnage » comme le musicien d’un instrument. »
Dans Je n’y suis plus, l’explosion interne, issue d’abord d’un effarement, devient peu à peu un acte de résistance et un mode d’affirmation identitaire. C’est grâce à la puissance et à l’impulsion de l’éclatement que le vivant peut enfin espérer trouver sa forme. Le spectacle semble insister sur l’importance de savoir dire non, pour mieux pouvoir dire « je », et ce pour enfin pouvoir dire « nous » : une parole porteuse d’espoir, rythmée, entraînante et nécessaire. Et si ça ne faisait que commencer ?
Je n’y suis plus
Texte : Marie-Claude Verdier. Mise en scène : Magali Lemèle et Louise Naubert. Une coproduction de Magali Lemèle, du Théâtre français du CNA et des Créations In Vivo. À la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 19 septembre 2014.