Trente ans après sa création, la reprise, pour une cinquième fois sur une scène québécoise, de la pièce culte de René-Daniel Dubois, Being at home with Claude, avec deux comédiens d’exception, Benoît McGinnis et Marc Béland, était riche de promesses.
Au-delà de l’anecdote policière, judiciaire et amoureuse, ce brûlot poético-réaliste exige une rare intensité émotive, de tous les instants, de la part des interprètes. La tension dramatique doit être maintenue d’un bout à l’autre de ce pan d’interrogatoire où deux hommes que tout oppose doivent arriver à faire jaillir la vérité, si dure, si indicible, si douloureuse soit-elle à exprimer, à affronter.
Le huis clos se tient à l’été 1967, dans le bureau aux luxueuses boiseries du juge Delorme, au Palais de justice de Montréal – décor imposant, signé Olivier Landreville – où les rais de lumière provenant des hautes fenêtres munies de stores créent des effets d’ombre attrayants. Yves, jeune prostitué, s’est dénoncé à la police comme auteur d’un meurtre, tout en tentant un coup de force médiatique impliquant le juge en question. Devant ce garçon perturbé qui se referme sur lui-même, un inspecteur de police à bout de nerfs fait des pieds et des mains pour lui tirer les vers du nez, pour savoir ce qui s’est vraiment passé et, surtout, en comprendre les motifs.
Dans la première moitié de la pièce, l’échange paraît stérile entre l’Inspecteur, que Béland rend plus criard qu’intense, et Yves, à qui McGinnis donne un caractère cassant, buté, fatigué plutôt que vraiment ébranlé. On ne saisit pas l’enjeu, tant l’anecdote, les détails de la cavale du meurtrier, de sa vie antérieure au drame, et les considérations politiques, prennent toute la place. Comme si on n’arrivait pas à lire le sous-texte, ce qu’il y a forcément derrière les mots.
Lorsque, quarante-cinq minutes plus tard, le jeune homme se lance dans le long monologue où, en se chamaillant avec les mots qui se dérobent, il en vient à tout révéler, revivant littéralement la scène fatale, on reçoit enfin, grâce à la force intérieure de l’interprète, la profondeur de sa blessure.
Il me semble dommage, cependant, qu’on nous ait offert ce morceau de bravoure dans un éclairage plein feu, froid, coupant toute émotion; éclairagiste de talent, André Rioux aurait pu user davantage des jeux d’ombre nuancés du début. L’acteur, quant à lui, est maintenu dans une pose statique, dos au mur, bras croisés, quasi immobile pendant une vingtaine de minutes.
Le texte, mêlant le cru et le poétique, le direct et l’alambiqué, aurait appelé une incarnation physique plus trouble, et ce, de la part des deux protagonistes. La mise en scène de Frédéric Blanchette jette une lumière crue sur l’œuvre de Dubois, aplatissant les zones d’ombre, lui enlevant tout mystère, alors que le geste commis par Yves est de ceux qu’on peut le moins expliquer.
À la fin, après l’aveu amoureux qui devrait faire l’effet d’une catharsis, ce qui était peu palpable sur la grande scène du TNM, après la dernière réplique, alors qu’on emmène le coupable, le metteur en scène a cru bon faire tourner le plateau vers une reproduction naturaliste de la scène du crime.
Cette image d’un cadavre gisant sur le plancher d’une cuisine éclaboussée de sang, à l’instar du drapeau québécois au mur, en ce jour de la fête du Canada 1967, n’ajoute rien, ne fait que souligner les allusions politiques de l’époque, qui paraissent bien secondaires, et le caractère horrible du meurtre, ce qui n’était guère nécessaire. À trop appuyer, on a réduit le vertige potentiel pouvant naître de l’énigme que constituent cette pièce et son personnage principal.
Texte de René-Daniel Dubois. Mise en scène de Frédéric Blanchette. Au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 11 octobre 2014.
Trente ans après sa création, la reprise, pour une cinquième fois sur une scène québécoise, de la pièce culte de René-Daniel Dubois, Being at home with Claude, avec deux comédiens d’exception, Benoît McGinnis et Marc Béland, était riche de promesses.
Au-delà de l’anecdote policière, judiciaire et amoureuse, ce brûlot poético-réaliste exige une rare intensité émotive, de tous les instants, de la part des interprètes. La tension dramatique doit être maintenue d’un bout à l’autre de ce pan d’interrogatoire où deux hommes que tout oppose doivent arriver à faire jaillir la vérité, si dure, si indicible, si douloureuse soit-elle à exprimer, à affronter.
Le huis clos se tient à l’été 1967, dans le bureau aux luxueuses boiseries du juge Delorme, au Palais de justice de Montréal – décor imposant, signé Olivier Landreville – où les rais de lumière provenant des hautes fenêtres munies de stores créent des effets d’ombre attrayants. Yves, jeune prostitué, s’est dénoncé à la police comme auteur d’un meurtre, tout en tentant un coup de force médiatique impliquant le juge en question. Devant ce garçon perturbé qui se referme sur lui-même, un inspecteur de police à bout de nerfs fait des pieds et des mains pour lui tirer les vers du nez, pour savoir ce qui s’est vraiment passé et, surtout, en comprendre les motifs.
Dans la première moitié de la pièce, l’échange paraît stérile entre l’Inspecteur, que Béland rend plus criard qu’intense, et Yves, à qui McGinnis donne un caractère cassant, buté, fatigué plutôt que vraiment ébranlé. On ne saisit pas l’enjeu, tant l’anecdote, les détails de la cavale du meurtrier, de sa vie antérieure au drame, et les considérations politiques, prennent toute la place. Comme si on n’arrivait pas à lire le sous-texte, ce qu’il y a forcément derrière les mots.
Lorsque, quarante-cinq minutes plus tard, le jeune homme se lance dans le long monologue où, en se chamaillant avec les mots qui se dérobent, il en vient à tout révéler, revivant littéralement la scène fatale, on reçoit enfin, grâce à la force intérieure de l’interprète, la profondeur de sa blessure.
Il me semble dommage, cependant, qu’on nous ait offert ce morceau de bravoure dans un éclairage plein feu, froid, coupant toute émotion; éclairagiste de talent, André Rioux aurait pu user davantage des jeux d’ombre nuancés du début. L’acteur, quant à lui, est maintenu dans une pose statique, dos au mur, bras croisés, quasi immobile pendant une vingtaine de minutes.
Le texte, mêlant le cru et le poétique, le direct et l’alambiqué, aurait appelé une incarnation physique plus trouble, et ce, de la part des deux protagonistes. La mise en scène de Frédéric Blanchette jette une lumière crue sur l’œuvre de Dubois, aplatissant les zones d’ombre, lui enlevant tout mystère, alors que le geste commis par Yves est de ceux qu’on peut le moins expliquer.
À la fin, après l’aveu amoureux qui devrait faire l’effet d’une catharsis, ce qui était peu palpable sur la grande scène du TNM, après la dernière réplique, alors qu’on emmène le coupable, le metteur en scène a cru bon faire tourner le plateau vers une reproduction naturaliste de la scène du crime.
Cette image d’un cadavre gisant sur le plancher d’une cuisine éclaboussée de sang, à l’instar du drapeau québécois au mur, en ce jour de la fête du Canada 1967, n’ajoute rien, ne fait que souligner les allusions politiques de l’époque, qui paraissent bien secondaires, et le caractère horrible du meurtre, ce qui n’était guère nécessaire. À trop appuyer, on a réduit le vertige potentiel pouvant naître de l’énigme que constituent cette pièce et son personnage principal.
Being at home with Claude
Texte de René-Daniel Dubois. Mise en scène de Frédéric Blanchette. Au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 11 octobre 2014.