Être québécois, ça veut dire quoi ?
Cela implique-t-il de connaître Miron par cœur, d’écouter Vigneault en fredonnant du bout des lèvres, de porter la chemise à carreaux, de parler « avec l’accent » ou d’avoir regardé tous les téléromans marquants depuis Le temps d’une paix ? Suffit-il même d’être né au Québec pour s’en réclamer ?
Moi et l’autre est une autofiction qui aborde la question de l’identité, et plus particulièrement celle de l’intégration des identités migrantes au Québec. La pièce est le fruit d’une co-écriture entre la comédienne Talia Hallmona (Théâtre Fêlé) et l’auteur Pascal Brullemans (Beauté, Chaleur et Mort).
On y retrace le parcours de Talia (qui se joue et se déjoue elle-même), depuis son départ d’Égypte à l’âge de 10 ans, en passant par son enfance et son adolescence à Laval, jusqu’au présent de la représentation, où la comédienne trentenaire s’adresse au public (très candidement et chaleureusement) pour lui partager les aléas de son appartenance identitaire multiple.
Dans le sillage d’autres artistes tels que Mani Soleymanlou (Un, Deux et Trois – il est d’ailleurs à noter que Talia est aussi de la distribution de Trois) ou Olivier Keimeid et Sasha Samar (Moi, dans les ruines rouges du siècle), la comédienne Talia Hallmona emprunte le chemin de l’intime pour interroger la notion d’altérité telle que vue et vécue de l’intérieur, c’est-à-dire du point de vue d’une personne immigrante.
Cela pose donc l’impossible question du choix, liée au processus d’intégration : de quelle communauté, de quelle origine se réclamer ? Que gagne-t-on et que perd-on dans cette dynamique de rencontre et d’échange identitaire ?
Moi et l’autre, comme son titre l’indique, traite de la coexistence d’identités multiples et du déchirement inévitable qui accompagne la volonté de les conjuguer au singulier. Doit-on forcément se réclamer d’une seule identité ? Les identités migrantes sont-elles vouées au no man’s land et à l’entre-deux ?
Le spectacle rappelle que devant cet impossible paradoxe, il existe d’autres options : le partage, le dialogue, l’identité à racine rhizomique plutôt qu’unique, la recherche de nouveaux paramètres identitaires plus souples en dehors des critères traditionnels tels que le groupe ethnique, la religion ou la langue.
Ainsi, les identités multiples ne sont pas forcées de se nier pour subsister. Elles peuvent entrer en relation, au-delà des cadres axiologiques et culturels distincts, comme dans le cas de Talia d’Alexandrie qui devient très amie avec Julie de Laval.
Une des forces de cette pièce, c’est l’union réussie de la forme et du fond : théâtralité et identité se superposent à travers un amusant jeu de rôles. À un moment du récit, Julie (Marie-Ève Trudel), prend le texte et devient Talia. Durant quelques scènes, sous le regard bienveillant de la vraie Talia, elle tente tant bien que mal de faire face aux situations ambigües, voire éprouvantes, auxquelles son personnage d’immigrante est confronté dans ses relations familiales, amoureuses et professionnelles.
Peut-on jouer avec son identité comme on joue un rôle sur une scène ? L’interversion des personnages sert intelligemment le propos du spectacle, car le procédé illustre avec humour la complexité du parcours intérieur des personnes migrantes.
La scénographie d’Elen Ewing rappelle la notion d’hétéroclisme qui traverse le spectacle. Elle se compose de quelques chaises, toutes dépareillées, et de panneaux décorés de mosaïques en fond de scène : en s’approchant, on peut distinguer que les motifs sont créés à partir d’images issues de photos souvenirs de Talia et d’illustrations traditionnelles d’Égypte et du Québec.
La conception musicale de Laurier Rajotte nous fait voyager d’une appartenance identitaire à une autre. Tantôt elle brouille les frontières et tantôt elle accentue le caractère inconciliable des deux communautés: le mashup (technique de collage musical) des musiques folkloriques égyptiennes et québécoises fait sourire.
Vous aurez deviné que par l’entremise des identités migrantes, Moi et l’autre pose une question qui taraude beaucoup de québécois. En effet, s’il existe une question épineuse et prégnante au Québec depuis longtemps, c’est bien celle de l’identité.
Ici, le spectacle nous invite à réfléchir à l’absurdité de la conception identitaire monolithique. Après tout, peut-être que la condition d’exil et de tiraillement identitaire n’est pas l’unique apanage des personnes migrantes. Il me semble bien, comme le dit Amin Maalouf dans son essai Les identités meurtrières, que « nous sommes tous des exilés ».
Texte de Talia Hallmona et Pascal Brullemans. Mise en scène de Michel-Maxime Legault. Une production du Théâtre Fêlé. Aux Écuries jusqu’au 8 novembre 2014.
Être québécois, ça veut dire quoi ?
Cela implique-t-il de connaître Miron par cœur, d’écouter Vigneault en fredonnant du bout des lèvres, de porter la chemise à carreaux, de parler « avec l’accent » ou d’avoir regardé tous les téléromans marquants depuis Le temps d’une paix ? Suffit-il même d’être né au Québec pour s’en réclamer ?
Moi et l’autre est une autofiction qui aborde la question de l’identité, et plus particulièrement celle de l’intégration des identités migrantes au Québec. La pièce est le fruit d’une co-écriture entre la comédienne Talia Hallmona (Théâtre Fêlé) et l’auteur Pascal Brullemans (Beauté, Chaleur et Mort).
On y retrace le parcours de Talia (qui se joue et se déjoue elle-même), depuis son départ d’Égypte à l’âge de 10 ans, en passant par son enfance et son adolescence à Laval, jusqu’au présent de la représentation, où la comédienne trentenaire s’adresse au public (très candidement et chaleureusement) pour lui partager les aléas de son appartenance identitaire multiple.
Dans le sillage d’autres artistes tels que Mani Soleymanlou (Un, Deux et Trois – il est d’ailleurs à noter que Talia est aussi de la distribution de Trois) ou Olivier Keimeid et Sasha Samar (Moi, dans les ruines rouges du siècle), la comédienne Talia Hallmona emprunte le chemin de l’intime pour interroger la notion d’altérité telle que vue et vécue de l’intérieur, c’est-à-dire du point de vue d’une personne immigrante.
Cela pose donc l’impossible question du choix, liée au processus d’intégration : de quelle communauté, de quelle origine se réclamer ? Que gagne-t-on et que perd-on dans cette dynamique de rencontre et d’échange identitaire ?
Moi et l’autre, comme son titre l’indique, traite de la coexistence d’identités multiples et du déchirement inévitable qui accompagne la volonté de les conjuguer au singulier. Doit-on forcément se réclamer d’une seule identité ? Les identités migrantes sont-elles vouées au no man’s land et à l’entre-deux ?
Le spectacle rappelle que devant cet impossible paradoxe, il existe d’autres options : le partage, le dialogue, l’identité à racine rhizomique plutôt qu’unique, la recherche de nouveaux paramètres identitaires plus souples en dehors des critères traditionnels tels que le groupe ethnique, la religion ou la langue.
Ainsi, les identités multiples ne sont pas forcées de se nier pour subsister. Elles peuvent entrer en relation, au-delà des cadres axiologiques et culturels distincts, comme dans le cas de Talia d’Alexandrie qui devient très amie avec Julie de Laval.
Une des forces de cette pièce, c’est l’union réussie de la forme et du fond : théâtralité et identité se superposent à travers un amusant jeu de rôles. À un moment du récit, Julie (Marie-Ève Trudel), prend le texte et devient Talia. Durant quelques scènes, sous le regard bienveillant de la vraie Talia, elle tente tant bien que mal de faire face aux situations ambigües, voire éprouvantes, auxquelles son personnage d’immigrante est confronté dans ses relations familiales, amoureuses et professionnelles.
Peut-on jouer avec son identité comme on joue un rôle sur une scène ? L’interversion des personnages sert intelligemment le propos du spectacle, car le procédé illustre avec humour la complexité du parcours intérieur des personnes migrantes.
La scénographie d’Elen Ewing rappelle la notion d’hétéroclisme qui traverse le spectacle. Elle se compose de quelques chaises, toutes dépareillées, et de panneaux décorés de mosaïques en fond de scène : en s’approchant, on peut distinguer que les motifs sont créés à partir d’images issues de photos souvenirs de Talia et d’illustrations traditionnelles d’Égypte et du Québec.
La conception musicale de Laurier Rajotte nous fait voyager d’une appartenance identitaire à une autre. Tantôt elle brouille les frontières et tantôt elle accentue le caractère inconciliable des deux communautés: le mashup (technique de collage musical) des musiques folkloriques égyptiennes et québécoises fait sourire.
Vous aurez deviné que par l’entremise des identités migrantes, Moi et l’autre pose une question qui taraude beaucoup de québécois. En effet, s’il existe une question épineuse et prégnante au Québec depuis longtemps, c’est bien celle de l’identité.
Ici, le spectacle nous invite à réfléchir à l’absurdité de la conception identitaire monolithique. Après tout, peut-être que la condition d’exil et de tiraillement identitaire n’est pas l’unique apanage des personnes migrantes. Il me semble bien, comme le dit Amin Maalouf dans son essai Les identités meurtrières, que « nous sommes tous des exilés ».
Moi et l’autre
Texte de Talia Hallmona et Pascal Brullemans. Mise en scène de Michel-Maxime Legault. Une production du Théâtre Fêlé. Aux Écuries jusqu’au 8 novembre 2014.