Chaque année depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale plus de 30 ans auparavant, Rudolph (Gabriel Arcand), ancien responsable de camp de concentration devenu juge, sort du placard ses bottes et son uniforme de SS et contraint ses deux soeurs à célébrer avec lui l’anniversaire de Himmler, bras droit de Hitler. Tandis que Vera (Violette Chauveau) se plie volontiers à cette tradition familiale, Clara (Marie-France Lambert), gauchiste clouée dans un fauteuil roulant, manifeste sa désapprobation en adoptant un silence inébranlable.
Il est facile de voir dans ces trois personnages une métaphore de ce qui rendit possible les abominations du Troisième Reich : un pouvoir dictatorial rempli de haine (Rudolph), un peuple ni franchement d’accord, ni totalement opposé, se laissant plus ou moins porter par la marée (Vera) et une élite intellectuelle tristement silencieuse et impuissante (Clara). Avant la retraite est, pour le célèbre auteur autrichien Thomas Bernhard, une nouvelle occasion de dénoncer l’hypocrisie de l’Autriche face au nazisme, encore rampant des décennies plus tard, et son refus de faire son mea culpa. Rudolph répétera d’ailleurs à l’envi qu’il ne ressent aucune culpabilité.
Les personnages sont ce que l’on pourrait appeler des monstres ordinaires, des individus somme toute banals, comme il y en a probablement dans toutes les familles. Rudolph incarne la hargne simpliste qui fait porter à un groupe transformé en bouc émissaire la responsabilité de tout ce qui va mal. En ces temps de montée des extrêmismes et de dérapages haineux sur tous les forums à l’occasion de différents débats de société, cela devrait faire froid dans le dos, mais le spectacle est pourtant loin de faire mouche.
La metteure en scène Catherine Vidal dit avoir effectué dans le texte des coupures chirurgicales, mais il aurait fallu de larges amputations pour nous préserver de l’ennui (et pourquoi avoir choisi de conserver les répliques au sujet de l’employée de maison sourde et muette quand cette piste ne mène nulle part?). Dès les premières minutes de la pièce, tous les enjeux nous sont connus et le texte n’est alors plus qu’une suite interminable de répétitions sans véritable progression dramatique. On comprend que l’auteur souhaite dénoncer un monde aigri qui tourne sur lui-même, ressassant sans fin les mêmes histoires, contemplant le passé avec nostalgie et incapable d’admettre la défaite et de faire amende honorable pour s’inscrire dans le présent. Toutefois, ces incessantes redites finissent par nous assommer et on se demande à plusieurs reprises où Bernhard veut en venir, se prenant à regretter la plume corrosive qui a fait sa réputation (souvenons-nous de l’éblouissante Une Fête pour Boris, mise en scène par Denis Marleau).
Dire que les relations de cette fratrie sont malsaines est un euphémisme; l’animosité, les critiques et les menaces voilées ou frontales sont omniprésentes et chacun exerce sur les autres les tyrannies quotidiennes qui sont à la hauteur de ses moyens. La magnifique scénographie reflète bien la décrépitude d’une maison qu’on laisse tomber en ruine (plâtre des murs qui s’effrite, piano brisé et désaccordé, morceaux de verre sur le sol) mais rien (hormis les quelques intermèdes musicaux inspirés de Wagner) ne traduit le caractère oppressant et tordu de cette maisonnée infernale.
Vidal, qui nous a pourtant offert plus d’un spectacle remarquable (Le Grand cahier, Robin et Marion, Des Couteaux dans les poules), semble ici ne pas avoir trouvé ses marques. La performance des comédiens, pourtant tout trois extrêmement solides et maîtrisant remarquablement des tirades d’une longueur parfois redoutable, ne suffit malheureusement pas à donner au texte la profondeur qui lui fait défaut. Un acte entier où les comédiens simulent un état d’ivresse, c’est diaboliquement long.
Texte de Thomas Bernhard. Mise en scène de Catherine Vidal. Une production du Groupe de la Veillée. Au Théâtre Prospero jusqu’au 13 décembre 2014.
Chaque année depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale plus de 30 ans auparavant, Rudolph (Gabriel Arcand), ancien responsable de camp de concentration devenu juge, sort du placard ses bottes et son uniforme de SS et contraint ses deux soeurs à célébrer avec lui l’anniversaire de Himmler, bras droit de Hitler. Tandis que Vera (Violette Chauveau) se plie volontiers à cette tradition familiale, Clara (Marie-France Lambert), gauchiste clouée dans un fauteuil roulant, manifeste sa désapprobation en adoptant un silence inébranlable.
Il est facile de voir dans ces trois personnages une métaphore de ce qui rendit possible les abominations du Troisième Reich : un pouvoir dictatorial rempli de haine (Rudolph), un peuple ni franchement d’accord, ni totalement opposé, se laissant plus ou moins porter par la marée (Vera) et une élite intellectuelle tristement silencieuse et impuissante (Clara). Avant la retraite est, pour le célèbre auteur autrichien Thomas Bernhard, une nouvelle occasion de dénoncer l’hypocrisie de l’Autriche face au nazisme, encore rampant des décennies plus tard, et son refus de faire son mea culpa. Rudolph répétera d’ailleurs à l’envi qu’il ne ressent aucune culpabilité.
Les personnages sont ce que l’on pourrait appeler des monstres ordinaires, des individus somme toute banals, comme il y en a probablement dans toutes les familles. Rudolph incarne la hargne simpliste qui fait porter à un groupe transformé en bouc émissaire la responsabilité de tout ce qui va mal. En ces temps de montée des extrêmismes et de dérapages haineux sur tous les forums à l’occasion de différents débats de société, cela devrait faire froid dans le dos, mais le spectacle est pourtant loin de faire mouche.
La metteure en scène Catherine Vidal dit avoir effectué dans le texte des coupures chirurgicales, mais il aurait fallu de larges amputations pour nous préserver de l’ennui (et pourquoi avoir choisi de conserver les répliques au sujet de l’employée de maison sourde et muette quand cette piste ne mène nulle part?). Dès les premières minutes de la pièce, tous les enjeux nous sont connus et le texte n’est alors plus qu’une suite interminable de répétitions sans véritable progression dramatique. On comprend que l’auteur souhaite dénoncer un monde aigri qui tourne sur lui-même, ressassant sans fin les mêmes histoires, contemplant le passé avec nostalgie et incapable d’admettre la défaite et de faire amende honorable pour s’inscrire dans le présent. Toutefois, ces incessantes redites finissent par nous assommer et on se demande à plusieurs reprises où Bernhard veut en venir, se prenant à regretter la plume corrosive qui a fait sa réputation (souvenons-nous de l’éblouissante Une Fête pour Boris, mise en scène par Denis Marleau).
Dire que les relations de cette fratrie sont malsaines est un euphémisme; l’animosité, les critiques et les menaces voilées ou frontales sont omniprésentes et chacun exerce sur les autres les tyrannies quotidiennes qui sont à la hauteur de ses moyens. La magnifique scénographie reflète bien la décrépitude d’une maison qu’on laisse tomber en ruine (plâtre des murs qui s’effrite, piano brisé et désaccordé, morceaux de verre sur le sol) mais rien (hormis les quelques intermèdes musicaux inspirés de Wagner) ne traduit le caractère oppressant et tordu de cette maisonnée infernale.
Vidal, qui nous a pourtant offert plus d’un spectacle remarquable (Le Grand cahier, Robin et Marion, Des Couteaux dans les poules), semble ici ne pas avoir trouvé ses marques. La performance des comédiens, pourtant tout trois extrêmement solides et maîtrisant remarquablement des tirades d’une longueur parfois redoutable, ne suffit malheureusement pas à donner au texte la profondeur qui lui fait défaut. Un acte entier où les comédiens simulent un état d’ivresse, c’est diaboliquement long.
Avant la retraite
Texte de Thomas Bernhard. Mise en scène de Catherine Vidal. Une production du Groupe de la Veillée. Au Théâtre Prospero jusqu’au 13 décembre 2014.