Alors, Saint-Agapit n’est pas un village au sud de Québec, mais plutôt un lieu mythique marqué de ruralité où des anges animent vos angoissants souvenirs.
On y voit le dos lacéré d’une vieille dame qui porte là les traces d’un passé pas joyeux. Deux anges, comme dans un temps merveilleux, transportent la grand-mère sur les sentiers de sa jeunesse : arbre en pommes, jeu de pommes et croquerie et jonglerie ; peur du loup et décor qui vacille à la lueur d’allumettes furtives ; pots-lucioles comme dans les plus mystérieuses nuits d’été ; jeux de mains, jeux de vilains, je t’attaque tu esquives, je te flatte tu m’attaques, j’esquive ; effondrement ; la scène du fusil et grand-mère toute jeune qui tire — abat ? — sur un visiteur impromptu ; jeu d’emboîtement des corps autant avec les anges qu’avec la (jeune) grand-mère ; table enfarinée ; cheveux enfarinés ; écorchement du lièvre…
Fin du rêve. Le lièvre aux herbes, dépouillé devant nous se transforme brutalement en une purée insipide que la préposée de l’institut pousse dans la bouche réticente de la vieille dame. Qui a oublié jusqu’au mouvement naturel de déglutition. Les fluorescents irradient la pièce d’une lumière nauséeuse, la radio commerciale débite ses… commerciaux et c’est d’une infinie tristesse.
Olivier Normand nous présente une série de tableaux, sans texte, qui sont des réminiscences floues d’un passé évanescent. Le spectateur ne peut (ni ne doit) se rattacher à rien, les indices ne sont pas factuels, ils sont émotionnels. Ils se construisent autour d’impressions et d’atmosphères où les rares images précises — un lièvre, un coup de fusil, un coffre à la fois Pandore et cercueil — s’estompent dans une compression poétique, portée par la brillante trame sonore de Mathieu Campana et l’éclairage onctueux de Caroline Ross. Ces deux éléments majeurs donnent corps à l’intention de Normand.
Malgré la belle présence des comédiennes (solides Claudiane Ruelland, Mélanie Therrien et Ariane Voineau), on a l’impression d’un exercice de style. Le travail avec les objets suppose que le théâtre accepte de se confondre en osmose avec ces objets ; ils ne peuvent devenir que des accessoires alors que toute la tension repose sur eux. Il faudrait plutôt dire au moment où la tension devrait se maintenir entre eux et les comédiennes.
Nous sentons encore trop l’exploration, la mise en place harmonieuse, une certaine complicité, certes, mais pas une osmose. Alors les gestes et les actions malgré la grâce des interprètes et une mise en scène travaillée, restent vides de sens, comme s’ils flottaient dans une aura désincarnée.
Au moment du retour au réel, lorsque les 91 années de madame Normand se réveillent au centre d’accueil, les anges de la jeunesse inventée se métamorphosent en anges de la mort. C’est la minute où la poésie se fracasse dans le drame humain. Retour au théâtre, le seul moment dramatique de la pièce. Évocation poétique des affres d’Alzheimer, Saint-Agapit, tel un village improbable (prononcez le mot à voix haute, vous comprendrez), ne parvient pas à emporter notre adhésion, non pas que la chose soit inintéressante, mais peut-être par son indécision à s’inscrire dans une zone franche ; trop de jeu dans l’espace poétique, trop de poésie désincarnée dans l’espace théâtral, trop de théâtre dans l’espace de la performance. L’objet ainsi présenté nous empêche de clarifier les contours de nos perceptions. Comme si la générosité atténuait la richesse du don.
Conception et mise en scène d’Olivier Normand, en collaboration avec Alexandrine Warren. Une production des Instants suspendus. Présenté à Premier Acte jusqu’au 7 février 2015.
Alors, Saint-Agapit n’est pas un village au sud de Québec, mais plutôt un lieu mythique marqué de ruralité où des anges animent vos angoissants souvenirs.
On y voit le dos lacéré d’une vieille dame qui porte là les traces d’un passé pas joyeux. Deux anges, comme dans un temps merveilleux, transportent la grand-mère sur les sentiers de sa jeunesse : arbre en pommes, jeu de pommes et croquerie et jonglerie ; peur du loup et décor qui vacille à la lueur d’allumettes furtives ; pots-lucioles comme dans les plus mystérieuses nuits d’été ; jeux de mains, jeux de vilains, je t’attaque tu esquives, je te flatte tu m’attaques, j’esquive ; effondrement ; la scène du fusil et grand-mère toute jeune qui tire — abat ? — sur un visiteur impromptu ; jeu d’emboîtement des corps autant avec les anges qu’avec la (jeune) grand-mère ; table enfarinée ; cheveux enfarinés ; écorchement du lièvre…
Fin du rêve. Le lièvre aux herbes, dépouillé devant nous se transforme brutalement en une purée insipide que la préposée de l’institut pousse dans la bouche réticente de la vieille dame. Qui a oublié jusqu’au mouvement naturel de déglutition. Les fluorescents irradient la pièce d’une lumière nauséeuse, la radio commerciale débite ses… commerciaux et c’est d’une infinie tristesse.
Olivier Normand nous présente une série de tableaux, sans texte, qui sont des réminiscences floues d’un passé évanescent. Le spectateur ne peut (ni ne doit) se rattacher à rien, les indices ne sont pas factuels, ils sont émotionnels. Ils se construisent autour d’impressions et d’atmosphères où les rares images précises — un lièvre, un coup de fusil, un coffre à la fois Pandore et cercueil — s’estompent dans une compression poétique, portée par la brillante trame sonore de Mathieu Campana et l’éclairage onctueux de Caroline Ross. Ces deux éléments majeurs donnent corps à l’intention de Normand.
Malgré la belle présence des comédiennes (solides Claudiane Ruelland, Mélanie Therrien et Ariane Voineau), on a l’impression d’un exercice de style. Le travail avec les objets suppose que le théâtre accepte de se confondre en osmose avec ces objets ; ils ne peuvent devenir que des accessoires alors que toute la tension repose sur eux. Il faudrait plutôt dire au moment où la tension devrait se maintenir entre eux et les comédiennes.
Nous sentons encore trop l’exploration, la mise en place harmonieuse, une certaine complicité, certes, mais pas une osmose. Alors les gestes et les actions malgré la grâce des interprètes et une mise en scène travaillée, restent vides de sens, comme s’ils flottaient dans une aura désincarnée.
Au moment du retour au réel, lorsque les 91 années de madame Normand se réveillent au centre d’accueil, les anges de la jeunesse inventée se métamorphosent en anges de la mort. C’est la minute où la poésie se fracasse dans le drame humain. Retour au théâtre, le seul moment dramatique de la pièce. Évocation poétique des affres d’Alzheimer, Saint-Agapit, tel un village improbable (prononcez le mot à voix haute, vous comprendrez), ne parvient pas à emporter notre adhésion, non pas que la chose soit inintéressante, mais peut-être par son indécision à s’inscrire dans une zone franche ; trop de jeu dans l’espace poétique, trop de poésie désincarnée dans l’espace théâtral, trop de théâtre dans l’espace de la performance. L’objet ainsi présenté nous empêche de clarifier les contours de nos perceptions. Comme si la générosité atténuait la richesse du don.
St-Agapit 1920
Conception et mise en scène d’Olivier Normand, en collaboration avec Alexandrine Warren. Une production des Instants suspendus. Présenté à Premier Acte jusqu’au 7 février 2015.