On attendait beaucoup de Would, mouture entièrement repensée d’une commande de la danseuse torontoise Kate Holden. Avec raison! On ne peut que saluer la cohérence du langage chorégraphique de Mélanie Demers, l’excellence des deux interprètes (Marc Boivin a remporté un prix Dora Mavor Moore pour sa performance inoubliable) et l’adresse avec laquelle a été intégré le texte bilingue, qui nous fait passer du rire franc au questionnement sans que l’un ou l’autre des registres semble forcé.
La densité de la proposition permet d’en tirer des lectures multiples. Ils sont deux. Amoureux? Alter egos? Rescapés d’une catastrophe naturelle? Au début, il est seul à raconter, à nous laisser entrevoir un monde imaginaire, utopique, dans lequel on peut constamment se réinventer. «Recommencer ta vie à tous les cinq ans; pis ça t’tente!» Elle dessine, interprète, souligne certains aspects, froisse la feuille, recommence. Tout est possible. Peut-être pas.
Sa voix se juxtapose à la sienne, vient compléter, déformer ses propos. Deux histoires parallèles, deux fragments d’un récit, deux lectures qui se chevauchent parfois, fausses traductions qui trahissent et se trahissent, métaphore réussie de l’incommunicabilité, entre les deux langues, entre les deux sexes. Difficile ici de ne pas y voir un détournement de la «double vie» de L’homme invisible de Patrice Desbiens.
Narration en apparence claire, mais qui devient de plus en plus floue, comme ces gestes qui se dérobent, quand le corps ploie sous son propre poids, que le mouvement semble emprisonné, que l’homme et la femme se fuient l’un l’autre. Même quand il donne l’impression de la protéger, qu’elle le soutient, on se demande si une réconciliation, une réelle communion, est même envisageable. Quand les mains se touchent enfin, elles demeurent jonctions entre deux entités distinctes, se tendent jusqu’au point de rupture. Quand l’homme les pose sur le cou de la femme, on évolue sur une ligne très fine, entre contrôle de l’autre et acceptation.
On ressent tout au long de la pièce un immense sentiment de perte, mais aussi d’abandon. Le corps, l’esprit, le son, le silence, tout semble se fractionner, se démultiplier, comme si chaque geste posé ouvrait la porte à un ensemble presque infini de possibilités. «Ce serait là. Ce serait ici. Ce serait maintenant…» Mélanie Demers a su saisir l’instant, même si elle s’en déleste aussitôt, dans un seul geste parfaitement cohérent qui lie intuition et inventivité.
Mise en scène, texte et chorégraphie: Mélanie Demers avec la collaboration des interprètes. Éclairages: Alexandre Pilon-Guay. Musique: Joshua Van Tassel. Travail de voix: Sabrina Reeves. Avec Marc Boivin et Kate Holden. Une coproduction de Mayday et de Firstthingsfirst. À l’Usine C jusqu’au 11 avril 2015. À la Chapelle du 11 au 15 décembre 2017. En tournée durant la saison 2018-2019.
On attendait beaucoup de Would, mouture entièrement repensée d’une commande de la danseuse torontoise Kate Holden. Avec raison! On ne peut que saluer la cohérence du langage chorégraphique de Mélanie Demers, l’excellence des deux interprètes (Marc Boivin a remporté un prix Dora Mavor Moore pour sa performance inoubliable) et l’adresse avec laquelle a été intégré le texte bilingue, qui nous fait passer du rire franc au questionnement sans que l’un ou l’autre des registres semble forcé.
La densité de la proposition permet d’en tirer des lectures multiples. Ils sont deux. Amoureux? Alter egos? Rescapés d’une catastrophe naturelle? Au début, il est seul à raconter, à nous laisser entrevoir un monde imaginaire, utopique, dans lequel on peut constamment se réinventer. «Recommencer ta vie à tous les cinq ans; pis ça t’tente!» Elle dessine, interprète, souligne certains aspects, froisse la feuille, recommence. Tout est possible. Peut-être pas.
Sa voix se juxtapose à la sienne, vient compléter, déformer ses propos. Deux histoires parallèles, deux fragments d’un récit, deux lectures qui se chevauchent parfois, fausses traductions qui trahissent et se trahissent, métaphore réussie de l’incommunicabilité, entre les deux langues, entre les deux sexes. Difficile ici de ne pas y voir un détournement de la «double vie» de L’homme invisible de Patrice Desbiens.
Narration en apparence claire, mais qui devient de plus en plus floue, comme ces gestes qui se dérobent, quand le corps ploie sous son propre poids, que le mouvement semble emprisonné, que l’homme et la femme se fuient l’un l’autre. Même quand il donne l’impression de la protéger, qu’elle le soutient, on se demande si une réconciliation, une réelle communion, est même envisageable. Quand les mains se touchent enfin, elles demeurent jonctions entre deux entités distinctes, se tendent jusqu’au point de rupture. Quand l’homme les pose sur le cou de la femme, on évolue sur une ligne très fine, entre contrôle de l’autre et acceptation.
On ressent tout au long de la pièce un immense sentiment de perte, mais aussi d’abandon. Le corps, l’esprit, le son, le silence, tout semble se fractionner, se démultiplier, comme si chaque geste posé ouvrait la porte à un ensemble presque infini de possibilités. «Ce serait là. Ce serait ici. Ce serait maintenant…» Mélanie Demers a su saisir l’instant, même si elle s’en déleste aussitôt, dans un seul geste parfaitement cohérent qui lie intuition et inventivité.
Would
Mise en scène, texte et chorégraphie: Mélanie Demers avec la collaboration des interprètes. Éclairages: Alexandre Pilon-Guay. Musique: Joshua Van Tassel. Travail de voix: Sabrina Reeves. Avec Marc Boivin et Kate Holden. Une coproduction de Mayday et de Firstthingsfirst. À l’Usine C jusqu’au 11 avril 2015. À la Chapelle du 11 au 15 décembre 2017. En tournée durant la saison 2018-2019.