Si l’on ne peut que reconnaître le talent d’observation de l’auteure Annick Lefebvre, sa lucidité et sa capacité à donner une voix aux femmes de sa génération en employant une langue à la fois extrêmement actuelle et très recherchée, force est de constater que sa pièce porte mal son titre. Émile Zola était indigné au point de prendre la parole publiquement, d’oser risquer sa liberté en s’attaquant aux plus hautes instances du pouvoir pour défendre ses idées et tenter de sauver la vie d’un homme ; son « J’accuse » a, en son temps, fait trembler la société française tout entière.
Nul doute qu’Annick Lefebvre a la fibre militante. Mais que font ses personnages ? Ils sont mus uniquement par leur situation personnelle, ils chialent et ils se résignent, justifiant le fait qu’ils ne font rien par une foi en des lendemains moins moroses et en la beauté du monde.
Il y a la fille qui encaisse, Ève Landry, vendeuse de bas nylon pour avocates en manque de temps. Il y a la fille qui agresse, Catherine Trudeau, beau spécimen de la classe moyenne qui en arrache et qui est en colère contre à peu près tout et tout le monde, particulièrement les « BS » profiteurs et les immigrants voleurs de jobs. La fille qui adule, c’est Debbie Lynch-White, fan inconditionnelle d’Isabelle Boulay, à laquelle il est fait référence dans tous les monologues.
Alice Pascual est la fille qui intègre, une immigrante tellement désireuse de s’intégrer qu’elle a voracement ingurgité tout ce qui s’est fait en matière de culture québécoise, mais que l’on considère toujours comme une étrangère au point que – même si elle a beaucoup de choses à dire – elle choisit de « fermer sa gueule ». La dernière, la fille qui aime, est incarnée par Léane Labrèche-Dor ; elle vit une peine d’amour qui l’a conduite à s’enfermer chez elle, et réapprend peu à peu à vivre en se cuisinant de la soupe à l’oignon.
La seule qui accuse véritablement, c’est la fille qui adule. Ce monologue rempli d’ironie et d’autodérision, dans lequel l’auteure se fait interpeller par son personnage, tranche sur les autres par son ton humoristique et se révèle être le moment fort du spectacle.
Il n’en reste pas moins que la pièce porte un regard acéré sur notre société et rend fort bien compte de la dureté des rapports humains, du poids des préjugés, de l’aliénation causée par le travail, du besoin d’échappatoire et de la prédominance de la culture pop. Le fait même que les personnages ne fassent finalement rien pour changer les choses est assez emblématique de notre actualité où la minorité qui passe à l’action se fait presque unanimement conspuer.
Une fois n’est pas coutume, la mise en scène de Sylvain Bélanger frappe par son manque d’imagination. S’il semble avoir voulu donner préséance au texte en proposant aux comédiennes de livrer leurs monologues quasi immobiles, sa tentative de créer un lien entre ces cinq femmes en les faisant parfois se croiser ou apparaître dans un coin de la scène pendant le monologue d’une autre paraît bien maladroite et artificielle. L’utilisation de la vidéo pour nous montrer en gros plan le visage ravagé par les larmes de la fille qui aime est plutôt éculée, et on se demande bien pourquoi, pour nous expliquer qu’elle doit faire attention à son apparence parce qu’elle travaille dans une boutique de vêtements, Ève Landry est vêtue comme la chienne à Jacques.
De plus, le ton larmoyant et trop uniforme de plusieurs monologues ajoute à la sensation de longueur ressentie par le spectateur face à des textes qui comportent moult redites. Heureusement, les comédiennes font un travail remarquable et la construction dramatique de la pièce est plutôt habile.
J’accuse
Texte : Annick Lefebvre. Mise en scène : Sylvain Bélanger. Scénographie : Pierre-Étienne Locas. Costumes : Marc Senécal. Éclairages : Erwann Bernard. Son : Larsen Lupin. Vidéo : Ulysse del Drago. Coiffures et maquillages : Sylvie Rolland-Provost. Avec Léane Labrèche-Dor, Debbie Lynch-White, Catherine Paquin-Béchard, Alice Pascual et Catherine Trudeau. Au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 16 mai 2015, au Théâtre la Bordée du 10 janvier au 4 février 2017 et au Théâtre d’Aujourd’hui du 9 au 22 février 2017.
Si l’on ne peut que reconnaître le talent d’observation de l’auteure Annick Lefebvre, sa lucidité et sa capacité à donner une voix aux femmes de sa génération en employant une langue à la fois extrêmement actuelle et très recherchée, force est de constater que sa pièce porte mal son titre. Émile Zola était indigné au point de prendre la parole publiquement, d’oser risquer sa liberté en s’attaquant aux plus hautes instances du pouvoir pour défendre ses idées et tenter de sauver la vie d’un homme ; son « J’accuse » a, en son temps, fait trembler la société française tout entière.
Nul doute qu’Annick Lefebvre a la fibre militante. Mais que font ses personnages ? Ils sont mus uniquement par leur situation personnelle, ils chialent et ils se résignent, justifiant le fait qu’ils ne font rien par une foi en des lendemains moins moroses et en la beauté du monde.
Il y a la fille qui encaisse, Ève Landry, vendeuse de bas nylon pour avocates en manque de temps. Il y a la fille qui agresse, Catherine Trudeau, beau spécimen de la classe moyenne qui en arrache et qui est en colère contre à peu près tout et tout le monde, particulièrement les « BS » profiteurs et les immigrants voleurs de jobs. La fille qui adule, c’est Debbie Lynch-White, fan inconditionnelle d’Isabelle Boulay, à laquelle il est fait référence dans tous les monologues.
Alice Pascual est la fille qui intègre, une immigrante tellement désireuse de s’intégrer qu’elle a voracement ingurgité tout ce qui s’est fait en matière de culture québécoise, mais que l’on considère toujours comme une étrangère au point que – même si elle a beaucoup de choses à dire – elle choisit de « fermer sa gueule ». La dernière, la fille qui aime, est incarnée par Léane Labrèche-Dor ; elle vit une peine d’amour qui l’a conduite à s’enfermer chez elle, et réapprend peu à peu à vivre en se cuisinant de la soupe à l’oignon.
La seule qui accuse véritablement, c’est la fille qui adule. Ce monologue rempli d’ironie et d’autodérision, dans lequel l’auteure se fait interpeller par son personnage, tranche sur les autres par son ton humoristique et se révèle être le moment fort du spectacle.
Il n’en reste pas moins que la pièce porte un regard acéré sur notre société et rend fort bien compte de la dureté des rapports humains, du poids des préjugés, de l’aliénation causée par le travail, du besoin d’échappatoire et de la prédominance de la culture pop. Le fait même que les personnages ne fassent finalement rien pour changer les choses est assez emblématique de notre actualité où la minorité qui passe à l’action se fait presque unanimement conspuer.
Une fois n’est pas coutume, la mise en scène de Sylvain Bélanger frappe par son manque d’imagination. S’il semble avoir voulu donner préséance au texte en proposant aux comédiennes de livrer leurs monologues quasi immobiles, sa tentative de créer un lien entre ces cinq femmes en les faisant parfois se croiser ou apparaître dans un coin de la scène pendant le monologue d’une autre paraît bien maladroite et artificielle. L’utilisation de la vidéo pour nous montrer en gros plan le visage ravagé par les larmes de la fille qui aime est plutôt éculée, et on se demande bien pourquoi, pour nous expliquer qu’elle doit faire attention à son apparence parce qu’elle travaille dans une boutique de vêtements, Ève Landry est vêtue comme la chienne à Jacques.
De plus, le ton larmoyant et trop uniforme de plusieurs monologues ajoute à la sensation de longueur ressentie par le spectateur face à des textes qui comportent moult redites. Heureusement, les comédiennes font un travail remarquable et la construction dramatique de la pièce est plutôt habile.
J’accuse
Texte : Annick Lefebvre. Mise en scène : Sylvain Bélanger. Scénographie : Pierre-Étienne Locas. Costumes : Marc Senécal. Éclairages : Erwann Bernard. Son : Larsen Lupin. Vidéo : Ulysse del Drago. Coiffures et maquillages : Sylvie Rolland-Provost. Avec Léane Labrèche-Dor, Debbie Lynch-White, Catherine Paquin-Béchard, Alice Pascual et Catherine Trudeau. Au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 16 mai 2015, au Théâtre la Bordée du 10 janvier au 4 février 2017 et au Théâtre d’Aujourd’hui du 9 au 22 février 2017.