Il faudrait être grincheux pour bouder le plaisir qu’on ressent à suivre le réjouissant périple qu’Hugo Bélanger et ses compagnons de voyage nous ont organisé ! Il faut dire qu’ils sont inspirés par ce grand aventurier devant l’imaginaire qu’est Jules Verne.
C’est ainsi que de Londres à… Londres, en passant par Suez, l’Inde, la Chine, le Japon et les États-Unis, nous courons le monde, en compagnie de ce flegmatique et impeccable gentleman qu’est Phileas Fogg, de son indispensable factotum Jean Passepartout et de l‘obstiné détective Fix. Ce trio sera bientôt rejoint par la belle et exotique princesse Aouda. À voir la scène ronde surmontée par deux énormes boitiers de montre, nous devinons que la course se fera contre l’impitoyable engrenage du Temps.
Le prétexte de ce déplacement ? Le pari que fait, en 1872, le riche et énigmatique personnage, à la vie réglée comme une horloge (« Une véritable mécanique, cet homme ») avec ses trois partenaires de whist du Reform Club : faire le tour du monde en 80 jours seulement. S’il réussira, seul le deus ex machina le sait. Mais, chose certaine, le parcours, par bateau, chemin de fer, montgolfière (un ajout d’Hugo Bélanger), et même à dos d’éléphant, ne laissera personne souffler une minute, pas plus nous que le malheureux Passepartout, chargé de visiter les lieux à la place de son maître − aussi économe de ses mouvements que prodigue de son argent.
Si le principal protagoniste ne regarde rien des pays qu’il aborde, le metteur en scène du Baron de Münchhausen nous en met plein les yeux avec sa féérie de mouvements, de couleurs et de musique. On connaît le parti-pris du directeur artistique du Théâtre Tout à trac pour le jeu physique de l’acteur, les masques, les marionnettes et le théâtre d’ombres. On l’avait vu à l’œuvre dans La Princesse Turandot, où il réunissait avec brio les cultures occidentale et orientale. Ce tour du monde lui est l’occasion d’interpréter à sa façon les traditions des pays où abordent nos globe-trotters : kathakali indien, kabuki japonais, topeng de Bali, danses amérindiennes et même cinéma western, véritables intermèdes, plaisir pour l’œil et l’oreille plutôt qu’indispensables à l’action.
Les artisans du Tout à trac savent faire beaucoup avec peu de choses et, ceci, sans en avoir l’air. Grâce à la scénographie inventive et polyvalente de Francis Farley-Lemieux, nous passons, comme naturellement, d’un salon de club londonien à un quai de gare, à un port, à un pont de bateau, à un wagon ferroviaire. Comme par magie, des boîtiers se font valise, comptoir, cabine de train ou estrade de spectacle. On ne nous cache jamais les ficelles, tout en préservant la magie. En dehors des quatre comédiens principaux, un quatuor d’enfer se démultiplie, dansant, chantant, jouant divers instruments, chacun interprétant à lui tout seul plus d’une dizaine de personnages.
Un univers ludique et poétique, donc. Instructif aussi. Pas seulement par les civilisations que le voyage nous fait découvrir. Contrairement au héros de Verne, aussi impassible que chauvin (« Tout le monde ne peut pas être anglais »), qui ne semble découvrir l’amour qu’à la dernière page du roman, le Phileas Fogg revu et corrigé (dans les deux sens du mot) par Hugo Bélanger évolue. Le jeu mécanique (absolument convaincant) de Benoît Gouin va s’humaniser. On sent des sentiments peu à peu l’habiter. Il finira par fraterniser avec son domestique, comprendre qu’il y a d’autres civilisations que l’anglaise et, même, devenir… féministe.
Le dévoué Passepartout (Stéphane Breton, excellent, lui aussi) ira presque jusqu’à se rebeller («un monde sans valet ni maître») et la belle Aouda de Tania Kontoyanni fera montre de beaucoup plus de personnalité et d’initiative que la douce et reconnaissante princesse imaginée par Verne. En fait, c’est grâce à elle que le gentleman passe de sa vision colonialiste à celle d’un monde où toutes les civilisations ont de la valeur. Ce que le spectacle perd en pureté formelle, il le gagne en modernité.
Quoique le tableau final au Reform Club semble le pendant de celui de l’ouverture, le Phileas Fogg d’Hugo Bélanger a vécu un changement fondamental. Cet homme pour lequel le Temps était une sorte d’ennemi qu’il fallait « dompter », se débarrasse de sa montre et conclut : « Je ne me suis jamais senti aussi libre ».
Texte : Jules Verne, adapté et mis en scène par Hugo Bélanger. Une production du Théâtre Tout à trac. Présenté au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 23 mai 2015.
Il faudrait être grincheux pour bouder le plaisir qu’on ressent à suivre le réjouissant périple qu’Hugo Bélanger et ses compagnons de voyage nous ont organisé ! Il faut dire qu’ils sont inspirés par ce grand aventurier devant l’imaginaire qu’est Jules Verne.
C’est ainsi que de Londres à… Londres, en passant par Suez, l’Inde, la Chine, le Japon et les États-Unis, nous courons le monde, en compagnie de ce flegmatique et impeccable gentleman qu’est Phileas Fogg, de son indispensable factotum Jean Passepartout et de l‘obstiné détective Fix. Ce trio sera bientôt rejoint par la belle et exotique princesse Aouda. À voir la scène ronde surmontée par deux énormes boitiers de montre, nous devinons que la course se fera contre l’impitoyable engrenage du Temps.
Le prétexte de ce déplacement ? Le pari que fait, en 1872, le riche et énigmatique personnage, à la vie réglée comme une horloge (« Une véritable mécanique, cet homme ») avec ses trois partenaires de whist du Reform Club : faire le tour du monde en 80 jours seulement. S’il réussira, seul le deus ex machina le sait. Mais, chose certaine, le parcours, par bateau, chemin de fer, montgolfière (un ajout d’Hugo Bélanger), et même à dos d’éléphant, ne laissera personne souffler une minute, pas plus nous que le malheureux Passepartout, chargé de visiter les lieux à la place de son maître − aussi économe de ses mouvements que prodigue de son argent.
Si le principal protagoniste ne regarde rien des pays qu’il aborde, le metteur en scène du Baron de Münchhausen nous en met plein les yeux avec sa féérie de mouvements, de couleurs et de musique. On connaît le parti-pris du directeur artistique du Théâtre Tout à trac pour le jeu physique de l’acteur, les masques, les marionnettes et le théâtre d’ombres. On l’avait vu à l’œuvre dans La Princesse Turandot, où il réunissait avec brio les cultures occidentale et orientale. Ce tour du monde lui est l’occasion d’interpréter à sa façon les traditions des pays où abordent nos globe-trotters : kathakali indien, kabuki japonais, topeng de Bali, danses amérindiennes et même cinéma western, véritables intermèdes, plaisir pour l’œil et l’oreille plutôt qu’indispensables à l’action.
Les artisans du Tout à trac savent faire beaucoup avec peu de choses et, ceci, sans en avoir l’air. Grâce à la scénographie inventive et polyvalente de Francis Farley-Lemieux, nous passons, comme naturellement, d’un salon de club londonien à un quai de gare, à un port, à un pont de bateau, à un wagon ferroviaire. Comme par magie, des boîtiers se font valise, comptoir, cabine de train ou estrade de spectacle. On ne nous cache jamais les ficelles, tout en préservant la magie. En dehors des quatre comédiens principaux, un quatuor d’enfer se démultiplie, dansant, chantant, jouant divers instruments, chacun interprétant à lui tout seul plus d’une dizaine de personnages.
Un univers ludique et poétique, donc. Instructif aussi. Pas seulement par les civilisations que le voyage nous fait découvrir. Contrairement au héros de Verne, aussi impassible que chauvin (« Tout le monde ne peut pas être anglais »), qui ne semble découvrir l’amour qu’à la dernière page du roman, le Phileas Fogg revu et corrigé (dans les deux sens du mot) par Hugo Bélanger évolue. Le jeu mécanique (absolument convaincant) de Benoît Gouin va s’humaniser. On sent des sentiments peu à peu l’habiter. Il finira par fraterniser avec son domestique, comprendre qu’il y a d’autres civilisations que l’anglaise et, même, devenir… féministe.
Le dévoué Passepartout (Stéphane Breton, excellent, lui aussi) ira presque jusqu’à se rebeller («un monde sans valet ni maître») et la belle Aouda de Tania Kontoyanni fera montre de beaucoup plus de personnalité et d’initiative que la douce et reconnaissante princesse imaginée par Verne. En fait, c’est grâce à elle que le gentleman passe de sa vision colonialiste à celle d’un monde où toutes les civilisations ont de la valeur. Ce que le spectacle perd en pureté formelle, il le gagne en modernité.
Quoique le tableau final au Reform Club semble le pendant de celui de l’ouverture, le Phileas Fogg d’Hugo Bélanger a vécu un changement fondamental. Cet homme pour lequel le Temps était une sorte d’ennemi qu’il fallait « dompter », se débarrasse de sa montre et conclut : « Je ne me suis jamais senti aussi libre ».
Le Tour du monde en 80 jours
Texte : Jules Verne, adapté et mis en scène par Hugo Bélanger. Une production du Théâtre Tout à trac. Présenté au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 23 mai 2015.