Critiques

Le Repas des fauves : Un souper moins que parfait

Le Repas des fauves est l’une de ces productions qui font envie sur papier : une pièce montée plus de 600 fois à Paris, lauréate de trois Molières, un page d’histoire qui sert de toile de fond à l’expression de la lâcheté humaine, une distribution toutes étoiles, une metteure en scène qui n’en est certes plus à ses premières armes… On voudrait souscrire à la proposition, saluer la pertinence du texte, la densité du jeu des acteurs, mais cela se révèle impossible ici.

D’entrée de jeu, cela sonne faux, laissant une impression de pièce de boulevard, alors que le propos est bien sûr tout sauf léger. En 1942, à Paris, sept amis sont réunis pour souligner l’anniversaire de la douce et blonde Sophie. Outre son mari libraire, on retrouve aussi un médecin, un ancien combattant devenu aveugle, une veuve de guerre, un professeur de philosophie et un homme d’affaires véreux. On papote, on boit, on évoque le repas qui sera pris (auquel on n’assistera pas, toute l’action se déroulant dans le salon). Une parenthèse hors du temps. Mais voilà que deux officiers allemands sont abattus devant l’immeuble et le Commandant Kaubach débarque, annonçant que deux otages devront être désignés parmi les convives. Insinuations et bassesses se multiplieront, chacun tentant de se donner le beau rôle.

Ce huis clos étouffant aurait pu devenir synonyme de moment de grâce, mais il n’en est rien, tant on est agacé par les libertés historiques (on fume des cigarettes filtres, les vêtements semblent ne jamais avoir été portés) et le jeu des acteurs, trois fois plus grands que nécessaire. Les deux femmes héritent déjà de partitions moins que nuancées (Marie-Pier Labrecque en blonde nunuche, Sophie Faucher en veuve de guerre qui flirte au quotidien avec la mort). Si Frédéric Desager se révèle efficace en Commandant Kaubach, on ne peut en dire autant de Patrice Coquereau qui campe un médecin vieillissant en deux dimensions, de Benoît McGinnis dans le rôle du « pauvre » aveugle, de François-Xavier Dufour tout droit sorti d’un film français de troisième zone et de Marc Béland, le plus caricatural de tous, aucune subtilité n’étant apportée au personnage – certes exécrable – de l’industriel André Lequebec. N’aurait-il pas été plus pertinent de privilégier les demi-teintes? Seul Jean-François Casabonne réussit à tirer son épingle du jeu et démontre une réelle cohérence dans le traitement de son Vincent.

Côté distribution, on peut également se demander pourquoi ce jeune couple dans la vingtaine a choisi d’inviter des amis ayant plus de deux fois leur âge. Aussi, avait-on besoin de projeter des documents d’archives stéréotypés entre les scènes, d’adopter un accent franchouillard (aux multiples déclinaisons) plutôt qu’international?

Pourquoi avoir transformé une tragédie en grasse comédie? La ligne est parfois fine entre les deux, il est vrai. On ne la découvre que lorsqu’on l’a franchie.

Le Repas des fauves

Texte de Vahé Katcha, adapté par Julien Sibre. Mise en scène de Denise Filiatrault. Une production du Théâtre du Rideau Vert, présentée jusqu’au 6  juin 2015.

Lucie Renaud

À propos de

Décédée en 2016, elle était professeure, journaliste et rédactrice spécialisée en musique classique, en théâtre et en nouvelle littérature québécoise.