Critiques

Keep in Touch et Gloria : Établir le contact

Si Keep in Touch et Gloria semblent liés par la présence de la musique, difficile de trouver programmes plus disparates ou de les faire entrer en résonance. Whitney Lafleur sait comment entrer en lien avec son public en quelques secondes, qualité certes essentielle pour qui souhaite se livrer à la performance. Flanquée de son assistant et traducteur John Boyle-Singfield (ce dédoublement de matériel devient vite inutilement lourd), elle propose un jeu. Les téléphones sont sortis des sacs et chacun émet une chanson sélectionnée dans la bibliothèque du propriétaire. Amusant, mais pas renversant. Lafleur réquisitionne ensuite quelques cellulaires et les insère précautionneusement dans des bocaux de verre, inscrivant sur le couvercle nom du propriétaire et code d’accès. Il est troublant ici de constater que personne n’a semblé hésiter à confier son code, supposément secret, preuve certaine de l’ascendant que la performeuse possède sur le groupe.

Une fois ce (trop long) préambule complété, la jeune femme se défait de son ample robe pour en révéler une beaucoup plus courte, moulante. Ouvrant les bocaux les uns après les autres, elle se prendra en photo, le volume du flot musical augmentant au fur et à mesure. Elle se dévêtira ensuite entièrement et s’allongera sur les récipients (déclinaison d’un numéro précédent de l’artiste présenté il y a deux ans), les déplacements plus ou moins lascifs de son corps mettant en relief pendant quelques secondes telle ou telle pièce. Elle finira par adopter une pose rappelant celle des odalisques des tableaux orientalistes, Boyle-Singfield inscrivant sur son dos son adresse courriel. La performance se terminera sur l’invitation aux propriétaires des téléphones d’envoyer à cette adresse les photos prises. Souhaite-t-on nous offrir une réflexion sur le narcissisme, aussi bien celui de la jeune femme que du public? La nudité voulait-elle signifier que nous portions notre musique (et nos fichiers) à même la peau? On reste assurément avec un sentiment d’incomplétude.

Quelques secondes du Gloria de Mykalle Bielinski (photo) suffisent pour comprendre que nous aurons affaire à tout autre chose. La voix de l’interprète, juste, pleine, envoûte même avant son entrée «en scène»; l’écoute du public se révèle totale. À travers une série de tableaux musicaux et visuels, présentés sur des écrans disposés autour du groupe, sur 360°, d’instants poétiques, aussi bien lus que récités, Mykalle Bielinski nous invite au voyage et au recueillement. «Toute la beauté tient dans l’éloge d’un lieu non atteint.» Cela donnera lieu à plusieurs instants presque magiques. Je pense ici à cette liste en apparence sans fin composée d’une soixantaine d’oppositions qui se referment sur elles-mêmes, Bielinski se servant adroitement du générateur de boucles pour établir un contrepoint avec elle-même. Il faut aussi souligner la puissance indéniable du chant traditionnel bulgare interprété, voix et vidéos de drones de paysages désertiques nous ramenant au centre de nous-mêmes. On sort des Écuries avec une impression de plénitude et de légèreté à la fois, se disant que la rencontre avec cette jeune artiste d’une rare polyvalence est à marquer d’une pierre blanche.

Keep in Touch

Performance de Whitney Lafleur. Aux Écuries, à l’occasion du OFFTA, jusqu’au 3 juin 2015.

Gloria

Performance de Mykalle Bielinski. Aux Écuries, à l’occasion du OFFTA, jusqu’au 3 juin 2015. Au Théâtre de Verdure dans le Parc La Fontaine, les 7 et 8 août 2018. En tournée durant la saison 2018-2019.

Lucie Renaud

À propos de

Décédée en 2016, elle était professeure, journaliste et rédactrice spécialisée en musique classique, en théâtre et en nouvelle littérature québécoise.