Il y en a pour qui Marlene Monteiro Freitas n’est plus une surprise. Il s’agit du troisième passage au FTA de la chorégraphe et danseuse cap-verdienne établie à Lisbonne. Le titre du spectacle qu’elle présente cette année, De marfim e carne : as estátuas também sofrem peut se traduire par « D’ivoire et de chair : les statues meurent aussi ».
Freitas met en scène des corps en constante tension avec eux-mêmes, grimaçants, aux yeux écarquillés, secoués de mouvements frénétiques, parfois retenus, parfois déployés, aux gestes saccadés. Des figures apparaissent, plus que des corps. Comme si les danseurs portaient des masques et que cette qualité figée, pétrifiée du visage, s’emparait de l’état du corps entier. Malgré toute l’énergie et la force qui les habite, les interprètes s’appréhendent comme des statues. Et malgré leurs gestes découpés et mécaniques, leur présence s’affirme étrangement comme charnelle.
Il y en a pour qui l’expérience sera plus agréable que d’autres. La musique au rythme répétitif et aux basses très fortes, ainsi que les effets stroboscopiques placent une atmosphère nocturne qui renferme à la fois de quoi envoûter ceux qui s’y plaisent instinctivement et excéder, même épuiser, ceux qui ne s’y retrouvent pas. Et là où certains perçoivent une souffrance grimaçante, tendue, distendue, qui s’empare entièrement des corps, d’autres y voient une grimace ridicule.
Dans la salle, les rires se frottent à l’indifférence, à la nervosité, aux plaisirs et au trouble des spectateurs, pour rassembler une multitude d’attitudes face à cet objet multiple. Et si la pièce se métamorphose perpétuellement d’un segment à l’autre, elle contient sa propre logique sensible, débridée et surprenante mais cohérente.
Il y a tant à dire sur la proposition esthétique et plastique, sur la corporéité et la gestuelle du spectacle. Mais il semble nécessaire de nommer quelques pistes d’une lecture intériorisée et moins instinctive qui se pose et se défend. Quelques rapports de force entre les figures s’esquissent tout au long de De marfim e carne.
Au fil des segments, dans la douleur autant que dans le grotesque comique, on voit le contrôle de certains performeurs sur d’autres, le contrôle de la musique par certains mouvements des interprètes et inversement, la soumission de ces derniers au retentissement des alarmes. La manière, aussi, dont les danseurs s’exhibent, se livrent, face au public, souligne le rapport de force qui s’organise entre la scène et la salle.
Sachant alors que le sous-titre de la pièce renvoie à un court documentaire réalisé au début des années 50 par Alain Resnais et Chris Marker qui questionne, dans le contexte de la décolonisation, le rapport français à l’art africain qui se retrouve au musée de l’Homme et hors des grands musées, ces tensions prennent plus d’importance. À la lumière de cette référence, la part blessée du spectacle se perçoit autrement et oblige à repenser la force du plaisir provoqué par la proposition.
Et si, comme le propose le documentaire français, les statues meurent, elles aussi, pour devenir de l’art, qu’en est-il de la danse de Freitas ? Il serait convenu de conclure en disant que sa danse est bien vivante (parce qu’elle est agitée). Disons plutôt qu’elle semble chercher une vitalité qui lui est propre à l’intérieur de son art (parce qu’elle s’y débat). Un morceau de survivance qui a de quoi émouvoir les sens, autant que l’intelligence.
Chorégraphie de Marlene Monteiro Freitas. Une production P.OR.K. Présentée jusqu’au 4 juin 2015 à la Cinquième salle de la Place des Arts, dans le cadre du FTA.
Il y en a pour qui Marlene Monteiro Freitas n’est plus une surprise. Il s’agit du troisième passage au FTA de la chorégraphe et danseuse cap-verdienne établie à Lisbonne. Le titre du spectacle qu’elle présente cette année, De marfim e carne : as estátuas também sofrem peut se traduire par « D’ivoire et de chair : les statues meurent aussi ».
Freitas met en scène des corps en constante tension avec eux-mêmes, grimaçants, aux yeux écarquillés, secoués de mouvements frénétiques, parfois retenus, parfois déployés, aux gestes saccadés. Des figures apparaissent, plus que des corps. Comme si les danseurs portaient des masques et que cette qualité figée, pétrifiée du visage, s’emparait de l’état du corps entier. Malgré toute l’énergie et la force qui les habite, les interprètes s’appréhendent comme des statues. Et malgré leurs gestes découpés et mécaniques, leur présence s’affirme étrangement comme charnelle.
Il y en a pour qui l’expérience sera plus agréable que d’autres. La musique au rythme répétitif et aux basses très fortes, ainsi que les effets stroboscopiques placent une atmosphère nocturne qui renferme à la fois de quoi envoûter ceux qui s’y plaisent instinctivement et excéder, même épuiser, ceux qui ne s’y retrouvent pas. Et là où certains perçoivent une souffrance grimaçante, tendue, distendue, qui s’empare entièrement des corps, d’autres y voient une grimace ridicule.
Dans la salle, les rires se frottent à l’indifférence, à la nervosité, aux plaisirs et au trouble des spectateurs, pour rassembler une multitude d’attitudes face à cet objet multiple. Et si la pièce se métamorphose perpétuellement d’un segment à l’autre, elle contient sa propre logique sensible, débridée et surprenante mais cohérente.
Il y a tant à dire sur la proposition esthétique et plastique, sur la corporéité et la gestuelle du spectacle. Mais il semble nécessaire de nommer quelques pistes d’une lecture intériorisée et moins instinctive qui se pose et se défend. Quelques rapports de force entre les figures s’esquissent tout au long de De marfim e carne.
Au fil des segments, dans la douleur autant que dans le grotesque comique, on voit le contrôle de certains performeurs sur d’autres, le contrôle de la musique par certains mouvements des interprètes et inversement, la soumission de ces derniers au retentissement des alarmes. La manière, aussi, dont les danseurs s’exhibent, se livrent, face au public, souligne le rapport de force qui s’organise entre la scène et la salle.
Sachant alors que le sous-titre de la pièce renvoie à un court documentaire réalisé au début des années 50 par Alain Resnais et Chris Marker qui questionne, dans le contexte de la décolonisation, le rapport français à l’art africain qui se retrouve au musée de l’Homme et hors des grands musées, ces tensions prennent plus d’importance. À la lumière de cette référence, la part blessée du spectacle se perçoit autrement et oblige à repenser la force du plaisir provoqué par la proposition.
Et si, comme le propose le documentaire français, les statues meurent, elles aussi, pour devenir de l’art, qu’en est-il de la danse de Freitas ? Il serait convenu de conclure en disant que sa danse est bien vivante (parce qu’elle est agitée). Disons plutôt qu’elle semble chercher une vitalité qui lui est propre à l’intérieur de son art (parce qu’elle s’y débat). Un morceau de survivance qui a de quoi émouvoir les sens, autant que l’intelligence.
De marfim e carne
Chorégraphie de Marlene Monteiro Freitas. Une production P.OR.K. Présentée jusqu’au 4 juin 2015 à la Cinquième salle de la Place des Arts, dans le cadre du FTA.