À Montréal, la famille Grenon se trouve réunie dans une chambre d’hôtel pour assister au procès du plus jeune, Aimé, accusé du meurtre d’un rival amoureux. Les membres du clan feront tout pour faire acquitter le benjamin de la famille, pour sauver leur honneur et rentrer à Saint-Tite la tête haute. Or, l’issue du procès, ils le découvriront bientôt, repose sur le témoignage du cousin Bousille.
La satire de Gratien Gélinas dépeint une société prompte à se réclamer de la justice mais somme toute peu vertueuse, dirigée par une apparence de religion. La mère dévote réclame son chapelet et parle de prières, incarnant ce qu’il reste du catholicisme; cela tient plutôt de la coquille, et le père du théâtre québécois multiplie les pointes contre un discours délesté de son sens.
Sur ce point, plusieurs répliques au potentiel satirique deviennent de simples clins d’œil au public : est-ce la mise en scène moqueuse de Jean-Philippe Joubert, est-ce le demi-siècle qui nous sépare de la pièce? Le prêche pathétique du frère Nolasque — qui, venu réconforter la mère Grenon, empile les citations bibliques fort peu appropriées — nous tire un aimable sourire en coin.
Créée à l’aube de la Révolution tranquille, la pièce touchait peut-être alors des cordes autrement plus sensibles. Il restait encore beaucoup à faire contre le carcan religieux et le spectacle se faisait le moteur d’un changement social. Ici, la satire est, pour cet élément du moins, vidée de son poids critique et penche du côté de la farce; on rit, mais sans retour sur soi, et la pièce y perd de son mordant.
L’autre élément fort de la satire garde par ailleurs son tranchant. Dans ce huis clos à la solide structure dramatique, on voit très vite se préciser la couleur des liens, la structure familiale et la place que chacun y occupe. Par-delà les personnages, c’est un système qu’il s’agit de présenter, et Bousille, devant ce canevas à la fibre serrée, est cet homme qu’on sommera de choisir : ce qu’il a de plus précieux, ou ce qu’on attend de lui. Christian Michaud livre d’ailleurs un rôle-titre remarquable, benêt mais sincère. Le regard vague et la mâchoire relâchée, il déploie des manies suffisamment discrètes, sa proposition a tout pour attirer une réelle sympathie sans verser dans la composition mielleuse.
À mesure qu’approche le procès, le piège se referme ainsi sur un personnage à l’innocence parfaitement exposée, bien ressentie. On jouera de tous les instruments pour le ramener dans le giron : mensonge, flatterie et manipulations, travestissement de la vérité, menaces déguisées, menaces ouvertes, au final la force se pointera en renfort. Sur ce point, la pièce garde toute son efficacité en exposant les façons dont un système casse la droiture, un propos qui a de quoi résonner dans une société idéologiquement cordée comme la nôtre.
Texte de Gratien Gélinas. Mise en scène de Jean-Philippe Joubert. Une production du Théâtre de La Bordée. Au Théâtre de La Bordée jusqu’au 10 octobre 2015.
À Montréal, la famille Grenon se trouve réunie dans une chambre d’hôtel pour assister au procès du plus jeune, Aimé, accusé du meurtre d’un rival amoureux. Les membres du clan feront tout pour faire acquitter le benjamin de la famille, pour sauver leur honneur et rentrer à Saint-Tite la tête haute. Or, l’issue du procès, ils le découvriront bientôt, repose sur le témoignage du cousin Bousille.
La satire de Gratien Gélinas dépeint une société prompte à se réclamer de la justice mais somme toute peu vertueuse, dirigée par une apparence de religion. La mère dévote réclame son chapelet et parle de prières, incarnant ce qu’il reste du catholicisme; cela tient plutôt de la coquille, et le père du théâtre québécois multiplie les pointes contre un discours délesté de son sens.
Sur ce point, plusieurs répliques au potentiel satirique deviennent de simples clins d’œil au public : est-ce la mise en scène moqueuse de Jean-Philippe Joubert, est-ce le demi-siècle qui nous sépare de la pièce? Le prêche pathétique du frère Nolasque — qui, venu réconforter la mère Grenon, empile les citations bibliques fort peu appropriées — nous tire un aimable sourire en coin.
Créée à l’aube de la Révolution tranquille, la pièce touchait peut-être alors des cordes autrement plus sensibles. Il restait encore beaucoup à faire contre le carcan religieux et le spectacle se faisait le moteur d’un changement social. Ici, la satire est, pour cet élément du moins, vidée de son poids critique et penche du côté de la farce; on rit, mais sans retour sur soi, et la pièce y perd de son mordant.
L’autre élément fort de la satire garde par ailleurs son tranchant. Dans ce huis clos à la solide structure dramatique, on voit très vite se préciser la couleur des liens, la structure familiale et la place que chacun y occupe. Par-delà les personnages, c’est un système qu’il s’agit de présenter, et Bousille, devant ce canevas à la fibre serrée, est cet homme qu’on sommera de choisir : ce qu’il a de plus précieux, ou ce qu’on attend de lui. Christian Michaud livre d’ailleurs un rôle-titre remarquable, benêt mais sincère. Le regard vague et la mâchoire relâchée, il déploie des manies suffisamment discrètes, sa proposition a tout pour attirer une réelle sympathie sans verser dans la composition mielleuse.
À mesure qu’approche le procès, le piège se referme ainsi sur un personnage à l’innocence parfaitement exposée, bien ressentie. On jouera de tous les instruments pour le ramener dans le giron : mensonge, flatterie et manipulations, travestissement de la vérité, menaces déguisées, menaces ouvertes, au final la force se pointera en renfort. Sur ce point, la pièce garde toute son efficacité en exposant les façons dont un système casse la droiture, un propos qui a de quoi résonner dans une société idéologiquement cordée comme la nôtre.
Bousille et les justes
Texte de Gratien Gélinas. Mise en scène de Jean-Philippe Joubert. Une production du Théâtre de La Bordée. Au Théâtre de La Bordée jusqu’au 10 octobre 2015.