Avoir presque le même âge qu’une création de Robert Lepage et avoir l’occasion de la voir dans une nouvelle distribution et une nouvelle mise en scène est une chance inespérée. Reprendre Vinci, qui ne repose ni sur un entrelacs de personnages qui traversent les époques ni sur une machine scénique sophistiquée, tient du coup d’audace.
Les attentes étaient donc grandes dans la salle et la pression, on le devine, énorme sur la scène. La première s’est d’ailleurs ouverte sur un malaise grandissant, alors que Pierre-Philippe Guay a eu un blanc de mémoire au milieu de l’introduction en italien. Il est sorti de scène, a repris du début. Jusque là, le tout aurait pu faire partie du spectacle, dont l’un des thèmes est justement le processus de création qui parfois déraille, mais non…
Tout de même, le comédien s’est ressaisi, et rien n’y paraissait pendant le reste de la pièce. Le faux départ fait maintenant partie de l’histoire du spectacle, tout comme le report de la première des Aiguilles et l’opium à cause d’une blessure de Lepage, ou le bateau apparu à l’ouverture des portes du hangar lors de la création de La trilogie des dragons.
Il faut rappeler qu’il s’agit de la première création de Lepage à être soumise à la vision d’un autre metteur en scène. Frédéric Dubois marque donc l’évolution du théâtre québécois d’une pierre blanche tout en célébrant les 30 ans de Vinci (en 2016) et les 30 ans du Périscope (en 2015). Une tournée québécoise s’amorcera tout de suite après la série de représentations à Québec.
Le quotidien en jeu
Cette nouvelle mouture de Vinci contient la magie et les thèmes propres au théâtre lepagien. Dubois en fait une réinterprétation en douceur, tout près de l’hommage. Marie-Renée Bourget-Harvey a créé un espace traversé par de multiples couches transparentes, tantôt vitres et tantôt miroirs selon les scènes et les éclairages. Pascal Robitaille a orchestré, de la même manière, une série de couches sonores, tantôt enregistrées, tantôt assourdies, texturées, comme pour une œuvre radiophonique.
Les spectacles de Robert Lepage, qui reposent sur une écriture scénique très visuelle, ne se reprennent pas aussi aisément que les pièces du théâtre textocentriste. Comme auteur, Lepage est un as du dialogue quotidien, entremêlant les petits riens avec les phrases qui marquent les destins et les citations de personnages historiques. Mais les liens sont parfois un peu lâches entre les phrases d’une belle justesse et la courbe dramatique tend à s’enrouler sur elle-même.
Vinci ne fait pas exception. On y suit l’histoire de Philippe (Olivier Normand), un photographe dont les clichés froids — de salles de bain désertes — et l’état émotif se répondent. Affecté par le deuil d’un ami, qui était aussi son reflet artistique, il se lance sur les routes d’Europe et les traces de Léonard de Vinci. Un guide italien aveugle, presque une figure du théâtre grec, vient presque le hanter, tout comme le célèbre peintre et sa Mona Lisa, qui s’immiscent dans les pensées de Philippe aux moments les plus inattendus.
Le jeune homme est joué avec beaucoup de justesse par Olivier Normand, qui manie bien le jeu quotidien, presque cinématographique. Il sait toutefois se montrer flamboyant dans les numéros plus éclatés. Lorsqu’il prend les traits d’un guide touristique londonien, on croit un instant voir Rick Miller sur scène. La scène devient étourdissante, onirique, évoquant un peu le vertige des Aiguilles et l’opium. Olivier Normand a aussi certaines intonations qui rappellent celles de Marc Labrèche. Il se débat toutefois avec un texte inconstant, qui comportent des segments engourdissants. La pièce prend l’étoffe des songes, sans parvenir à nous émerveiller totalement.
Question d’équilibre
A-t-on trop vu de personnages d’artistes tourmentés par leur création sur les scènes québécoises depuis les années 80 ? Cette figure et son discours sur l’art, la reconnaissance, la critique, nous sont-ils devenus trop familiers ? Certaines séquences de gestes codifiés rappellent les premières pièces du Théâtre des Fonds de Tiroirs, mais la ligne aurait certainement pu être poussée bien plus loin. Les passages plus méticuleux et plus affirmés, joués comme des chorégraphies un peu surréalistes, sont d’ailleurs les plus réussies du spectacle.
Aurait-il fallu un meilleur équilibre entre les scènes effervescentes, presque des numbers — où, par exemple, Normand interprète la Mona Lisa au Burger King et Pierre-Philippe Guay dessine dans l’air avec un ruban à mesurer — et les errances mélancoliques ? Ces scènes connues, attendues, suscitent probablement moins d’étonnement et d’excitation que lors de la création. Mais les voir « pour vrai », ici et maintenant, plutôt que racontées dans des textes, est inespéré. Le théâtre, d’ordinaire, ne permet pas de revivre une scène complète, en mots et en gestes.
On goûte, on devine plutôt, cette magie des premiers spectacles de Lepage. On comprend un peu mieux le sourire énigmatique de ceux qui en ont été les témoins privilégiés. La scène de dialogue entre Philippe et Leonard de Vinci (où, à l’origine, Lepage utilisait ses deux profils et de la crème à barbe pour interpréter les deux interlocuteurs) est reprise ici dans un bain de vapeur, avec une lumière divine qui évoque les toiles des grands maîtres. Si certaines images sont très belles et ingénieuses, il n’en demeure pas moins que Vinci ne bouscule pas vraiment nos repères.
Texte et idée originale de Robert Lepage. Mise en scène de Frédéric Dubois. Au Théâtre Périscope jusqu’au 26 septembre 2015, puis en tournée à travers le Québec.
Avoir presque le même âge qu’une création de Robert Lepage et avoir l’occasion de la voir dans une nouvelle distribution et une nouvelle mise en scène est une chance inespérée. Reprendre Vinci, qui ne repose ni sur un entrelacs de personnages qui traversent les époques ni sur une machine scénique sophistiquée, tient du coup d’audace.
Les attentes étaient donc grandes dans la salle et la pression, on le devine, énorme sur la scène. La première s’est d’ailleurs ouverte sur un malaise grandissant, alors que Pierre-Philippe Guay a eu un blanc de mémoire au milieu de l’introduction en italien. Il est sorti de scène, a repris du début. Jusque là, le tout aurait pu faire partie du spectacle, dont l’un des thèmes est justement le processus de création qui parfois déraille, mais non…
Tout de même, le comédien s’est ressaisi, et rien n’y paraissait pendant le reste de la pièce. Le faux départ fait maintenant partie de l’histoire du spectacle, tout comme le report de la première des Aiguilles et l’opium à cause d’une blessure de Lepage, ou le bateau apparu à l’ouverture des portes du hangar lors de la création de La trilogie des dragons.
Il faut rappeler qu’il s’agit de la première création de Lepage à être soumise à la vision d’un autre metteur en scène. Frédéric Dubois marque donc l’évolution du théâtre québécois d’une pierre blanche tout en célébrant les 30 ans de Vinci (en 2016) et les 30 ans du Périscope (en 2015). Une tournée québécoise s’amorcera tout de suite après la série de représentations à Québec.
Le quotidien en jeu
Cette nouvelle mouture de Vinci contient la magie et les thèmes propres au théâtre lepagien. Dubois en fait une réinterprétation en douceur, tout près de l’hommage. Marie-Renée Bourget-Harvey a créé un espace traversé par de multiples couches transparentes, tantôt vitres et tantôt miroirs selon les scènes et les éclairages. Pascal Robitaille a orchestré, de la même manière, une série de couches sonores, tantôt enregistrées, tantôt assourdies, texturées, comme pour une œuvre radiophonique.
Les spectacles de Robert Lepage, qui reposent sur une écriture scénique très visuelle, ne se reprennent pas aussi aisément que les pièces du théâtre textocentriste. Comme auteur, Lepage est un as du dialogue quotidien, entremêlant les petits riens avec les phrases qui marquent les destins et les citations de personnages historiques. Mais les liens sont parfois un peu lâches entre les phrases d’une belle justesse et la courbe dramatique tend à s’enrouler sur elle-même.
Vinci ne fait pas exception. On y suit l’histoire de Philippe (Olivier Normand), un photographe dont les clichés froids — de salles de bain désertes — et l’état émotif se répondent. Affecté par le deuil d’un ami, qui était aussi son reflet artistique, il se lance sur les routes d’Europe et les traces de Léonard de Vinci. Un guide italien aveugle, presque une figure du théâtre grec, vient presque le hanter, tout comme le célèbre peintre et sa Mona Lisa, qui s’immiscent dans les pensées de Philippe aux moments les plus inattendus.
Le jeune homme est joué avec beaucoup de justesse par Olivier Normand, qui manie bien le jeu quotidien, presque cinématographique. Il sait toutefois se montrer flamboyant dans les numéros plus éclatés. Lorsqu’il prend les traits d’un guide touristique londonien, on croit un instant voir Rick Miller sur scène. La scène devient étourdissante, onirique, évoquant un peu le vertige des Aiguilles et l’opium. Olivier Normand a aussi certaines intonations qui rappellent celles de Marc Labrèche. Il se débat toutefois avec un texte inconstant, qui comportent des segments engourdissants. La pièce prend l’étoffe des songes, sans parvenir à nous émerveiller totalement.
Question d’équilibre
A-t-on trop vu de personnages d’artistes tourmentés par leur création sur les scènes québécoises depuis les années 80 ? Cette figure et son discours sur l’art, la reconnaissance, la critique, nous sont-ils devenus trop familiers ? Certaines séquences de gestes codifiés rappellent les premières pièces du Théâtre des Fonds de Tiroirs, mais la ligne aurait certainement pu être poussée bien plus loin. Les passages plus méticuleux et plus affirmés, joués comme des chorégraphies un peu surréalistes, sont d’ailleurs les plus réussies du spectacle.
Aurait-il fallu un meilleur équilibre entre les scènes effervescentes, presque des numbers — où, par exemple, Normand interprète la Mona Lisa au Burger King et Pierre-Philippe Guay dessine dans l’air avec un ruban à mesurer — et les errances mélancoliques ? Ces scènes connues, attendues, suscitent probablement moins d’étonnement et d’excitation que lors de la création. Mais les voir « pour vrai », ici et maintenant, plutôt que racontées dans des textes, est inespéré. Le théâtre, d’ordinaire, ne permet pas de revivre une scène complète, en mots et en gestes.
On goûte, on devine plutôt, cette magie des premiers spectacles de Lepage. On comprend un peu mieux le sourire énigmatique de ceux qui en ont été les témoins privilégiés. La scène de dialogue entre Philippe et Leonard de Vinci (où, à l’origine, Lepage utilisait ses deux profils et de la crème à barbe pour interpréter les deux interlocuteurs) est reprise ici dans un bain de vapeur, avec une lumière divine qui évoque les toiles des grands maîtres. Si certaines images sont très belles et ingénieuses, il n’en demeure pas moins que Vinci ne bouscule pas vraiment nos repères.
Vinci
Texte et idée originale de Robert Lepage. Mise en scène de Frédéric Dubois. Au Théâtre Périscope jusqu’au 26 septembre 2015, puis en tournée à travers le Québec.